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Yefim Bronfman — La musique en partage

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Yefim Bronfman ©DR
Yefim Bronf­man ©DR
« Vous savez quand on grandit dans un minus­cule deux-pièces à Tachkent (Cap­i­tale de l’Ouzbék­istan) où il n’y a rien à faire et qu’on est dans une famille de musi­ciens, on ne peut que devenir soi-même musi­cien ! », explique Yefim Bronf­man en souri­ant. Né dans ce qui était encore l’URSS, il a pu émi­gr­er en Israël où il a fait ses débuts inter­na­tionaux avant de devenir citoyen des Etats-unis. « Mais je ne me sens pas spé­ciale­ment améri­cain. A New York où je vis, je par­le aus­si sou­vent russe qu’en Russie, melt­ing-pot oblige ! ».

De Chostakovitch à Mick­ey Mouse
« C’est comme pour la musique. Qu’elle soit alle­mande, française ou russe, je la joue avec un égal plaisir ». Comme lui, sa musique n’a donc pas de nation­al­ité claire­ment définie même s’il a récem­ment surtout enreg­istré Bar­tok, Prokofiev, Rach­mani­nov, Mous­sorgs­ki, Stravin­sky, Tchaïkovs­ki, Aren­sky et qu’il vient de graver les Con­cer­tos 1 et 2 et le Quin­tette pour piano de Chostakovitch !

« Un grand morceau », dit-il aus­sitôt. Une opin­ion que les artistes de Dis­ney parta­gaient sans nul doute puisque c’est pré­cisé­ment ce Sec­ond con­cer­to en fa majeur, com­posé en 1957, qu’ils ont choisi pour être l’une des huit séquences de Fan­ta­sia 2000. « J’ai été très heureux d’ap­pren­dre qu’on allait faire un nou­veau Fan­ta­sia. Je con­nais tant de gens qui ont décou­vert la musique clas­sique grâce au pre­mier film et en sont tombés amoureux. Et de nos jours, Hol­ly­wood n’u­tilise plus la musique clas­sique pour accom­pa­g­n­er ses films ».

Pour autant, sa lib­erté artis­tique, ain­si que celle du mae­stro James Levine qui dirigeait le Chica­go Sym­pho­ny Orches­tra, a été com­plète. « Bien sûr, je savais que la musique que je jouais serait ani­mée sur l’his­toire du Petit sol­dat de plomb et j’en étais ravi car j’adore depuis tou­jours les con­tes d’An­der­sen. Mais je n’avais aucune idée de ce à quoi cela ressem­blerait au final. Mon inter­pré­ta­tion a servi de base à la réflex­ion des ani­ma­teurs ». Et il est enchan­té du résul­tat. « C’est un man­i­feste artis­tique fort pour le nou­veau siè­cle. Les images sont par­ti­c­ulière­ment belles. Quand la musique et l’im­age vont ain­si de pair, c’est mer­veilleux ».

Lors de la sor­tie du pre­mier Fan­ta­sia, en 1940, cer­tains s’é­taient émus qu’on impose ain­si une vision unique et défini­tive — étant don­né le car­ac­tère prég­nant des films d’an­i­ma­tion de Walt Dis­ney — à une musique sen­sée par ailleurs stim­uler les images men­tales per­son­nelles. Une cri­tique que Yefim Bronf­man récuse de façon impa­ra­ble. « Vaut-il mieux écouter de la musique avec ou sans images ? Il vaut mieux écouter de la musique, point. Et de toute façon, dans le bal­let aus­si, on ‘donne à voir’ la musique ! Moi, je sais que grâce à ce film, des mil­lions d’en­fants vont enten­dre Chostakovitch pour la pre­mière fois et ça, c’est remar­quable. C’est quand on ne la joue pas qu’on fait du tort à la musique. En ce sens, Fan­ta­sia 2000 est une con­tri­bu­tion majeure à la dif­fu­sion de la musique clas­sique auprès du grand pub­lic ».

Ceux qui ont vu le film, de l’ou­ver­ture abstraite de Beethoven au final mil­lé­nar­iste de Stravin­sky en pas­sant par le con­cer­to pour piano de Chostakovitch juste­ment (ani­mé avec une tech­nolo­gie de pointe au ser­vice d’un style déli­cieuse­ment « à l’an­ci­enne ») ne peu­vent qu’être d’ac­cord. Et ceux qui ne l’ont pas vu pour­ront tou­jours imag­in­er leurs pro­pres scé­nar­ios à l’é­coute de l’album.

Dédrama­tis­er la musique classique
C’est d’ailleurs pour lancer Fan­ta­sia 2000 qui sort partout dans le monde, mais unique­ment dans des salles IMAX dans un pre­mier temps, que Yefim Bronf­man est venu à Paris. De pas­sage au Théâtre des Champs-Elysées, il a joué en com­pag­nie du Lon­don Sym­pho­ny Orches­tra. Un moment rare puisqu’au dessus de l’orchestre, un grand écran avait été dressé pour pro­jeter le film. Le rêve de Walt Dis­ney qui voulait mêler images et musique en direct venait enfin de devenir réal­ité. « C’é­tait extra­or­di­naire. C’est une façon de lancer un film que je ne rever­rai sans doute jamais de mon vivant ». D’ailleurs, quel artiste peut se van­ter d’avoir ser­ré la main au grand patron de Dis­ney, Mick­ey Mouse soi-même, mon­té sur scène à la fin du con­cert ? « Un grand moment », dit-il en écla­tant de rire, « mais vous savez, ce n’é­tait pas vrai­ment une sur­prise : ça s’é­tait déjà pro­duit il y a trois jours à New York et encore hier à Lon­dres ! ». Et l’on soupçonne que la célèbre souris sera encore là lors des autres étapes de ce marathon plané­taire, à Tokyo et sur ses ter­res, à Los Angeles.

« Pour moi, c’est une nou­velle façon de m’ex­primer. La musique subit actuelle­ment une muta­tion très pro­fonde et nous devons trou­ver de nou­velles façons d’ex­is­ter. Si les gens ont par­fois peur de la musique clas­sique, c’est en grande par­tie notre faute », déclare-t-il sans ambage. « Les con­certs sont sou­vent trop formels et il faut encour­ager le con­tact entre l’artiste et le pub­lic. Par­fois, entre deux morceaux, j’en­gage le dia­logue avec les spec­ta­teurs et sou­vent, ils sem­blent alors mieux s’i­den­ti­fi­er à la musique. C’est ce petit quelque chose qui peut faire la dif­férence ».

« Aimer la musique clas­sique peut pren­dre du temps et il faut lui laiss­er le temps de grandir en vous », con­cède-t-il. En ce sens, il fau­dra peut-être des années pour que des enfants ayant vu — et enten­du — Fan­ta­sia 2000 veu­lent en savoir plus sur Chostakovitch. Mais ce temps vien­dra. « Vous savez », con­clut Yefim Bronf­man, « j’ai invité des gens à venir m’en­ten­dre en con­cert et je crois que cela a, d’une cer­taine façon, changé leur vie. Et c’est de cela dont je suis le plus fier ».