
De Chostakovitch à Mickey Mouse
« C’est comme pour la musique. Qu’elle soit allemande, française ou russe, je la joue avec un égal plaisir ». Comme lui, sa musique n’a donc pas de nationalité clairement définie même s’il a récemment surtout enregistré Bartok, Prokofiev, Rachmaninov, Moussorgski, Stravinsky, Tchaïkovski, Arensky et qu’il vient de graver les Concertos 1 et 2 et le Quintette pour piano de Chostakovitch !
« Un grand morceau », dit-il aussitôt. Une opinion que les artistes de Disney partagaient sans nul doute puisque c’est précisément ce Second concerto en fa majeur, composé en 1957, qu’ils ont choisi pour être l’une des huit séquences de Fantasia 2000. « J’ai été très heureux d’apprendre qu’on allait faire un nouveau Fantasia. Je connais tant de gens qui ont découvert la musique classique grâce au premier film et en sont tombés amoureux. Et de nos jours, Hollywood n’utilise plus la musique classique pour accompagner ses films ».
Pour autant, sa liberté artistique, ainsi que celle du maestro James Levine qui dirigeait le Chicago Symphony Orchestra, a été complète. « Bien sûr, je savais que la musique que je jouais serait animée sur l’histoire du Petit soldat de plomb et j’en étais ravi car j’adore depuis toujours les contes d’Andersen. Mais je n’avais aucune idée de ce à quoi cela ressemblerait au final. Mon interprétation a servi de base à la réflexion des animateurs ». Et il est enchanté du résultat. « C’est un manifeste artistique fort pour le nouveau siècle. Les images sont particulièrement belles. Quand la musique et l’image vont ainsi de pair, c’est merveilleux ».
Lors de la sortie du premier Fantasia, en 1940, certains s’étaient émus qu’on impose ainsi une vision unique et définitive — étant donné le caractère prégnant des films d’animation de Walt Disney — à une musique sensée par ailleurs stimuler les images mentales personnelles. Une critique que Yefim Bronfman récuse de façon imparable. « Vaut-il mieux écouter de la musique avec ou sans images ? Il vaut mieux écouter de la musique, point. Et de toute façon, dans le ballet aussi, on ‘donne à voir’ la musique ! Moi, je sais que grâce à ce film, des millions d’enfants vont entendre Chostakovitch pour la première fois et ça, c’est remarquable. C’est quand on ne la joue pas qu’on fait du tort à la musique. En ce sens, Fantasia 2000 est une contribution majeure à la diffusion de la musique classique auprès du grand public ».
Ceux qui ont vu le film, de l’ouverture abstraite de Beethoven au final millénariste de Stravinsky en passant par le concerto pour piano de Chostakovitch justement (animé avec une technologie de pointe au service d’un style délicieusement « à l’ancienne ») ne peuvent qu’être d’accord. Et ceux qui ne l’ont pas vu pourront toujours imaginer leurs propres scénarios à l’écoute de l’album.
Dédramatiser la musique classique
C’est d’ailleurs pour lancer Fantasia 2000 qui sort partout dans le monde, mais uniquement dans des salles IMAX dans un premier temps, que Yefim Bronfman est venu à Paris. De passage au Théâtre des Champs-Elysées, il a joué en compagnie du London Symphony Orchestra. Un moment rare puisqu’au dessus de l’orchestre, un grand écran avait été dressé pour projeter le film. Le rêve de Walt Disney qui voulait mêler images et musique en direct venait enfin de devenir réalité. « C’était extraordinaire. C’est une façon de lancer un film que je ne reverrai sans doute jamais de mon vivant ». D’ailleurs, quel artiste peut se vanter d’avoir serré la main au grand patron de Disney, Mickey Mouse soi-même, monté sur scène à la fin du concert ? « Un grand moment », dit-il en éclatant de rire, « mais vous savez, ce n’était pas vraiment une surprise : ça s’était déjà produit il y a trois jours à New York et encore hier à Londres ! ». Et l’on soupçonne que la célèbre souris sera encore là lors des autres étapes de ce marathon planétaire, à Tokyo et sur ses terres, à Los Angeles.
« Pour moi, c’est une nouvelle façon de m’exprimer. La musique subit actuellement une mutation très profonde et nous devons trouver de nouvelles façons d’exister. Si les gens ont parfois peur de la musique classique, c’est en grande partie notre faute », déclare-t-il sans ambage. « Les concerts sont souvent trop formels et il faut encourager le contact entre l’artiste et le public. Parfois, entre deux morceaux, j’engage le dialogue avec les spectateurs et souvent, ils semblent alors mieux s’identifier à la musique. C’est ce petit quelque chose qui peut faire la différence ».
« Aimer la musique classique peut prendre du temps et il faut lui laisser le temps de grandir en vous », concède-t-il. En ce sens, il faudra peut-être des années pour que des enfants ayant vu — et entendu — Fantasia 2000 veulent en savoir plus sur Chostakovitch. Mais ce temps viendra. « Vous savez », conclut Yefim Bronfman, « j’ai invité des gens à venir m’entendre en concert et je crois que cela a, d’une certaine façon, changé leur vie. Et c’est de cela dont je suis le plus fier ».