Yan Duffas, Zorro, c’est votre première incursion dans la comédie musicale ?
C’est la première fois dans une comédie musicale mais j’ai déjà joué dans un spectacle musical chanté et dansé qui s’appelait Délit d’ivresse, mis en scène par Roland Petit, avec Jérôme Pradon et Fabrice de la Villehervé. J’étais sensible à la comédie musicale mais je ne voyais pas de débouché possible en France pour un comédien. Dans les gros projets commerciaux autour d’un album, il n’y a pas tellement de place pour les acteurs. Même si de bons comédiens sont engagés, ils ne sont souvent pas dirigés et n’ont pas grand-chose à défendre. On sent bien que la comédie est la cinquième roue du carrosse alors que, selon moi, c’est essentiel dans une comédie musicale. Heureusement, maintenant, on commence à voir des comédies musicales qui font la part belle aux acteurs et à la comédie. C’est d’ailleurs pour moi l’un des points forts de Zorro.
Comment vous est venue l’envie de devenir comédien ?
J’ai commencé par la danse. Je prenais beaucoup de cours de danse, puis j’ai voulu prendre des cours de théâtre. Et finalement, ça a pris toute la place. Mais c’est seulement quand j’ai été reçu au concours d’entrée du Conservatoire que je me suis dit que j’allais peut-être en faire mon métier.
Vous avez beaucoup travaillé sous la direction du metteur en scène Roger Planchon. Quels souvenirs en gardez-vous ?
Un souvenir avec beaucoup d’affection parce ce que c’est le premier metteur en scène qui m’a distribué dans un spectacle, j’étais encore élève au Conservatoire. J’ai fait sept spectacles avec lui, c’est mon père de théâtre, il m’a tout appris : la scène, la mise en scène aussi. Et contrairement à la réputation qu’il avait, c’est le personnage le plus humain et le plus attentif aux acteurs que j’ai jamais rencontré. Il avait un amour démesuré pour les acteurs.
Vous avez été aussi pensionnaire à la Comédie Française. Qu’avez-vous retiré de cette expérience ?
Planchon avait voulu me faire engager à la Comédie Française quand il devait y monter un Marivaux mais ça ne s’est pas fait. Un peu plus tard, c’est un autre metteur en scène qui m’a proposé comme pensionnaire. J’y suis resté trois ans et demi. C’est un outil magnifique, il y a tout ce qu’il faut pour que l’acteur puisse s’épanouir. Mais il faut être patient et avoir envie de faire partie d’une troupe de manière permanente. J’ai toujours voulu faire ce métier pour avoir de l’autonomie, de l’indépendance et surtout pour m’éloigner le plus possible de ce monde de l’entreprise qu’on retrouve à la Comédie Française. Je ne me sentais pas heureux artistiquement, je devais partir. J’avais 28 ans et, si j’attendais encore quelques années, cela n’aurait plus été possible pour moi de faire demi-tour. J’ai pris un risque énorme parce que c’est très confortable socialement d’être à la Comédie Française.
Comment passe-t-on de Planchon et la Comédie Française à une comédie musicale grand public comme Zorro ?
Cela ne me change pas énormément car les spectacles de Roger (Planchon) étaient très populaires aussi, au sens noble du terme. A la Comédie Française aussi, je me rappelle avoir joué dans une production très grand public des Fourberies de Scapin. Sur Zorro, j’ai l’impression d’être dans mon monde, ce n’est pas du tout un grand écart !
La production de Zorro a contacté mon agent qui m’a envoyé au premier rendez-vous. J’ai vu tout de suite qu’on avait à faire à des gens de qualité. J’ai passé deux tours d’audition avec Christopher Renshaw, le metteur en scène, qui m’a reçu comme un amour, j’ai été très sensible à son respect des artistes. On sentait que toute l’équipe était là pour tirer le meilleur des artistes qui passaient l’audition, le but était de les valoriser. Je ne savais pas grand-chose du spectacle, je me suis basé uniquement sur la confiance, sur la manière dont Christopher m’a parlé du rôle, sur le fait que c’était un personnage de méchant. Je trouve que ce sont des personnages assez moteurs dans ce genre de spectacle. C’est toujours agréable d’imaginer qu’on va jouer un méchant, moi j’adore ça !
Le travail de répétition a‑t-il été très différent de ce que vous aviez connu jusqu’à maintenant ?
J‘avais l’habitude de répétitions sur le plateau avec le metteur en scène. Là, c’était comme une fourmilière. Pendant que certains travaillaient la comédie, d’autres répétaient le chant, la danse ou l’escrime. Chacun travaillait dans son coin et on se retrouvait ensuite sur le plateau. J’attendais ce moment avec impatience parce qu’on découvrait le travail des autres. Ce système d’ateliers a permis de travailler beaucoup plus vite. Le spectacle s’est monté en un mois et demi. Quand le metteur en scène est bon et qu’il sait organiser son travail, ce n’est pas trop court.
Vos partenaires viennent, pour la plupart d’entre eux, du milieu de la comédie musicale. Vous ne vous êtes pas senti trop dépaysé ?
C’est une bouffée d’air. Quand on travaille avec des danseurs et des chanteurs, on relativise beaucoup. On se rend compte que ces disciplines artistiques demandent un travail autrement plus difficile. Les acteurs ont souvent tendance à se plaindre tout le temps. Les danseurs et les chanteurs ont une régularité dans le travail, ils ne se plaignent pas, comme s’ils étaient habitués à souffrir. Je suis très admiratif de leur talent, du travail qu’ils ont effectué pour en arriver là. J’ai toujours été très admiratif, surtout des danseurs parce que, pour en avoir fait, je sais quels sacrifices la danse demande. Le corps s’abîme au fur et à mesure. Je suis vraiment très heureux avec cette troupe. Retrouver tous mes camarades sur scène le soir, c’est l’une de mes principales motivations avec celle de défendre la mise en scène de Christopher Renshaw.
Parlez-nous du terrible Ramon, votre personnage…
C’est un enfant blessé qui a grandi avec sa blessure et qui, à un moment donné de sa vie, va libérer toute sa rancœur. C’est un mal-aimé qui va exprimer son manque d’amour de manière tyrannique. Il a une dose de sadisme. C’est une forme de folie, il perd complètement la maîtrise des choses et ne peut pas revenir en arrière. Ce qui m’intéresse dans un personnage aussi fort, c’est de rendre ses agissements réalistes. C’est vraiment dans l’émotion que j’ai essayé de le faire exister. Je prends beaucoup de plaisir à le jouer. C’est plus intéressant d’interpréter un salaud torturé qu’un personnage éthéré qui n’a que des bons sentiments. Ce sera toujours plus intéressant de jouer Richard III qu’un amoureux transi de Molière !
Vos camarades de jeu disent en plaisantant que Ramon a tendance à déteindre sur vous, c’est vrai ?
Oui je le reconnais (rires). Etre pendant trois heures sur scène le personnage haï de tous, rejeté et en manque d’amour notamment de la part de son père, ça m’a mis, à un moment donné, dans une position un peu fragile. J’avais, en dehors du spectacle, un énorme besoin d’affection que je recherchais auprès de mes camarades de jeu. Comme s’il y avait un manque, un besoin que je n’arrivais pas à combler. Ca va mieux, je vous rassure ! Mais toujours maintenant, après le spectacle, j’ai besoin de m’isoler un moment, j’ai besoin d’un temps de « redescente » pour me retrouver.
Regrettez-vous de ne chanter que quelques phrases a cappella ?
Un peu. J’ai toujours voulu chanter dans les spectacles. Ce n’est pas pour cette fois-ci, mais je ne suis pas frustré. J’ai une grosse partition à défendre en tant qu’acteur et, comme Ramon a des poussées vocales assez puissantes, je ne pense pas que ce soit compatible avec la technique de chant. Mais j’ai encore envie de chanter, j’espère qu’un jour je pourrai le faire, pourquoi pas dans une autre comédie musicale.
Est-ce parce que vous n’êtes pas dans les tableaux chantés et dansés qu’on ne vous voit pas dans les promos du spectacle, en télé par exemple ?
Je comprends que la production axe d’abord la promotion sur les parties festives, chantées, dansées parce que c’est très visuel, on en prend plein les yeux dans le spectacle. Après, je trouve dommage qu’il n’y ait pas aussi une communication sur l’aspect théâtral, le travail des acteurs, c’est un spectacle qui pourrait attirer les amateurs de théâtre aussi.
Vous avez tourné pour le cinéma et la télévision. Quelles ont été vos meilleures expériences ?
Je garde un bon souvenir du tournage de Clara Sheller. Cette manière d’aborder l’homosexualité m’a plu, surtout en sachant que la série serait diffusée sur une chaîne nationale à une heure de grande écoute. C’est vraiment dommage qu’il n’y ait pas eu de suite, il y avait plein de choses à faire avec ces personnages, ces situations… Pour ce qui est du cinéma, tous les acteurs qui sont sortis du lot et qui ont été salués pour leur talent dans un film ont été vraiment regardés et filmés par le réalisateur. C’est une question de rencontre, de désir. Je n’ai pas encore fait cette rencontre.
Vous réalisez aussi des clips et des courts-métrages…
J’ai commencé par la photo à quinze ans. Cela m’a sensibilisé à l’image. Au Conservatoire, j’ai bifurqué un peu vers la mise en scène. Photo plus mise en scène, ça m’a conduit à la réalisation. Cela me passionne. Dès que j’ai un moment et un peu d’argent, j’initie un projet de réalisation. C’est très valorisant comme travail.
En jouant dans un spectacle comme Zorro, arrivez-vous à travailler sur d’autres projets en même temps ?
J’ai le temps mais pas l’énergie. Je crois que c’est lié à l’intensité de mon personnage qui me crame même physiquement. J’attends avec impatience le moment où j’aurai suffisamment d’énergie pour faire des choses dans la journée. J’ai toujours des projets que j’avais initiés avant d’être engagé sur Zorro dont un long-métrage que j’ai écrit avec un ami, une comédie qu’on essaie de faire produire et que j’aimerais réaliser. Mais là, dans l’immédiat, il faut que je me rende au « fight call » quotidien où on revoit tous les combats d’épée du spectacle avant chaque représentation !