Au Playhouse Theatre de Londres
Musique & Lyrics: David Yazbek
Livret: Jeffrey Lane (d’après le film de Pedro Almodóvar)
Mise en scène: Bartlett Sher
Notre avis :
Femmes au bord de la crise de nerfs, le musical et son “dream cast” (Sherie Rene Scott, Patti LuPone, Brian Stokes Mitchell, Laura Benanti) firent un bref passage par Broadway fin 2010 en laissant derriére eux des opinions pour le moins mitigées et un enregistrement original à écouter sans modération. Autant dire qu’une reprise à Londres avec Tamsin Greig, une tête d’affiche plus habituée des planches que des portées musicales, était un pari osé. Mais le West Est ne pouvait résister plus longtemps à un livret plein d’intelligence et de bons mots, fidèle au film éponyme de Pedro Almodovar en 1988, sur une partition géniale de David Yazbeck (The Full Monthy, Dirty Rotten Scoundrels).
La production du Playhouse Theater est beaucoup plus sobre que celle, extravagante à tout niveau, y compris financier probablement, du Belasco Theatre de New York. Pendant tout le début du premier acte, il n’y a sur scène que des élements de décor sur roulettes qui vont et viennent entre des murs blancs, un grand escalier et un balcon où s’est logé un (petit) orchestre. Des projections d’aplats de couleurs pastels, signature visuelle du show, tentent de créer une dynamique mais le tout fait tout de même un peu “cheap”. De plus, tous les personnages sont présents sur scène et interagissent de façon abstraite, sans se voir, en se passant des objets ou en effectuant des sortes de chorégraphies corporelles. L’idée est probablement de créer un sentiment de confusion et de rythme endiablé, propre au film, mais c’est au final plus ridicule que bluffant. Deux éléments de mise en scène marquants à New York ont également disparu : le taxi en structure tubulaire et le vrai feu sur le lit — Pepa y jette sa cigarette par inadvertance. Ils sont remplacés respectivement par un volant recouvert de peau de vache et de simples fumigènes, c’est décevant. Peu avant l’entracte, l’appartement complet de Pepa apparaît comme un vrai beau décor de théâtre de boulevard, enfin !
Heureusement, le talent de la troupe comble largement les lacunes matérielles. Tamsin Greig est une Pepa plus vraie que nature sachant chanter, certes moins puissamment que Sherie Rene Scott, mais juste dans le ton et dans l’interprétation. Haydn Gwynne est encore plus impressionnante dans le rôle de Lucia, la femme abandonnée. Déjà nommée aux Olivier Awards pour Billy Elliot, ce n’est pas vraiment une surprise, mais sa longue chanson “Invisible”, où elle explique au tribunal ce qu’elle ressent après vingt ans d’abandon, est un pur bonheur. On retrouve aussi avec plaisir notre Jérôme Pradon national, quelques octaves au-dessus de Brian Stokes Mitchell, qui campe avec sa jovialité naturelle un mari trompeur pas vraiment les pieds sur terre, presque sympathique. Les autres rôles sont aussi de haut vol : Anna Skellern est une Candela délicieusement déjantée et Rocardo Afonso un chauffeur de taxi qui met le feu à la salle avec sa seule guitare. Enfin Haydn Oakley, qui ne ressemble pas à grand chose — son rôle de fils “castré” par ses parents n’aide pas -, explose littéralement lorsqu’il déclare son amour pour Candela en chanson.
Il est vraiment dommage qu’une telle troupe ne soit pas mise en valeur avec plus de moyens… ou de génie. Oui, il faut aller voir Femmes au bord de la crise de nerfs, le musical à Londres pour l’oeuvre et sa parfaite interprétation mais il faudra renoncer à “l’effet wow” que l’on est en droit d’attendre dans le West End.