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Virginie Lemoine — Une diva à la Comédie Bastille

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Virginie Lemoine ©DR
Vir­ginie Lemoine ©DR
Vir­ginie Lemoine, com­ment vous est venue l’idée de ce spectacle ?
J’ai pas mal d’amis chanteurs lyriques. En les fréquen­tant, je me suis vrai­ment ren­due compte de la dif­fi­culté de ce méti­er. C’est psy­chologique­ment très dif­fi­cile et physique­ment très exigeant, ce qui leur crée des com­porte­ments par­ti­c­uliers. Ils sont très frag­ilisés, très cen­trés sur eux, ce qui est tout à fait compréhensible.
J’ai imag­iné ce spec­ta­cle il y a quelques années mais je ne trou­vais per­son­ne qui pou­vait l’in­ter­préter. Il fal­lait une femme ébréchée, folle, drôle et qui soit une vraie chanteuse d’opéra. Un jour, je suis allée à l’Ate­lier Théâtre de Mont­martre pour voir cette salle ouverte par mon amie Michèle Tolle­mer, direc­trice de cast­ing au départ, et c’est comme ça que j’ai ren­con­tré Brigitte Fau­re, et Michel Tav­ernier son parte­naire. A par­tir de là, tout a été possible.

C’est la pre­mière fois que vous écrivez pour quelqu’un d’autre que vous. Com­ment s’est passée l’écriture ?
J’ai écrit cette pièce avec beau­coup de flu­id­ité. Je pense que j’ai été très inspirée par Brigitte. J’ai tout écrit d’une traite sur un petit cahi­er. On est allées au parc des Buttes Chau­mont, on s’est mis­es dans l’herbe et par trois fois, des petits moineaux ont fait caca sur mon cahi­er, alors je me suis dit que ça allait me porter chance !
Ensuite, je l’ai lu à Marie Cheval­ot [NDLR : assis­tante à la mise en scène et comé­di­enne sur la pièce] qui a été plus cri­tique, plus objec­tive. J’ai écouté ses remar­ques sur les longueurs, les répéti­tions. Puis, je me suis acheté un ordi­na­teur et j’ai com­mencé à ren­tr­er le texte, acte par acte. Je ne pou­vais pas entr­er un acte tant que je n’é­tais pas con­tente du précé­dent. J’ai écrit env­i­ron sept ver­sions par acte et six ver­sions de la pièce en tout.

Vous signez égale­ment votre pre­mière mise en scène. Com­ment avez-vous abor­dé cette étape ?
Ca me paraît tou­jours insen­sé de « pré­par­er » une mise en scène. Il faut par­tir des comé­di­ens, c’est beau­coup plus amu­sant de les voir faire, et de faire ensem­ble. Etant comé­di­enne moi-même, je sais qu’il ne faut pas forcer les gens. Il faut les amen­er quelque part, les accom­pa­g­n­er, mais ne pas les contraindre.
Par exem­ple, Michel Tav­ernier et Brigitte Fau­re se con­nais­sent depuis trente ans. Ils sont le jour et la nuit dans leur façon de tra­vailler. Brigitte est extrême­ment généreuse dès la pre­mière lec­ture, tan­dis que Michel lisait à plat. Ce n’é­tait pas du tout le même tra­vail et c’é­tait très intéres­sant avec l’un comme avec l’autre.
On a beau­coup tra­vail­lé ensem­ble, on a cher­ché, c’é­tait exigeant et sym­pa­thique à la fois, avec des moments d’en­t­hou­si­asme… et de dés­espoir ! Clas­sique, quoi ! Et on con­tin­ue encore à tra­vailler aujour­d’hui car il y a des choses que j’ai envie d’améliorer.

Com­ment s’est fait le choix des airs lyriques et des chan­sons inter­prétés dans le spectacle ?
J’ai tout choisi sauf la fin du pre­mier acte, « Le chant à la Lune » de Rusal­ka, qui est une propo­si­tion de Brigitte. Pour le reste, je voulais absol­u­ment met­tre « J’ai per­du mon Eury­dice » car mes par­ents se sont con­nus sur cet air. C’est un petit hom­mage. Et puis, j’ai mis « L’Air des Bijoux » car au départ, c’est une comédie sur l’opéra et je ne voulais pas que ça fasse peur aux néo­phytes. J’ai donc fait exprès de pren­dre la référence la plus pop­u­laire qui puisse être.

Vous par­lez d’une artiste lyrique, mais on peut éten­dre votre pro­pos aux artistes en général…
D’une façon très large, on par­le de tous les gens qui ont un rêve, une pas­sion. Il y a deux façons de l’abor­der : soit on y renonce, soit on n’y renonce pas. Pietra ne peut pas renon­cer, elle a ça dans le sang, même si elle n’a pas le tal­ent suff­isant pour ce qu’elle imag­i­nait devoir faire. Quand on est habité par une pas­sion et qu’on n’est pas à la hau­teur, on meurt, on s’échappe, on devient fou…

Com­ment définiriez-vous le ton de votre spectacle ?
Il y a un doux mélange de folie et de réal­isme puisqu’on a une femme broyée par sa car­rière et qui retrou­ve le plein épanouisse­ment de son âme en chan­tant dans sa cui­sine devant un pub­lic imag­i­naire. On est aus­si ancré dans la réal­ité, puisque la pièce traite aus­si d’une expulsion.

Diriez-vous qu’un cer­tain pes­simisme s’en dégage ?
Non, il n’y a pas de pes­simisme, j’es­saie d’être lucide. J’ai l’im­pres­sion qu’on par­ticipe tous à une ronde folle, qu’on est tous en train de courir de façon effrénée, et moi la pre­mière. Et quand les gens sont exclus de cette ronde, ils tombent sur le mur et s’écrabouil­lent par terre. J’avais envie d’écrire une pièce sur quelqu’un qui tombe au sol, et tout le monde con­tin­ue à courir. Mais ce n’est pas pes­simiste, car Pietra a un univers très gai. Elle s’a­muse comme une folle !

Vous vous sen­tez des points com­muns avec elle ?
Bien sûr ! Je pour­rais très bien vivre ça. Je pour­rais être demain dans la pré­car­ité, me retrou­ver avec des dettes insen­sées et me rac­crocher à mes sou­venirs. J’ai été très heureuse dans ma vie et si je devais être mal­heureuse, for­cé­ment, je tomberais de très haut.
Mes amis me dis­ent que Pietra, c’est moi. J’ai un ami psy qui a analysé la pièce et qui m’a dit que les deux per­son­nages représen­taient l’in­térieur de moi : l’un est com­plète­ment fou et l’autre n’est pas mar­rant et ramène le pre­mier con­stam­ment à la réalité.

Quel mes­sage avez-vous envie de faire pass­er par le biais de Pietra ?
Je crois qu’il faut sim­ple­ment regarder les gens avec empathie et sans juge­ment. Aucun per­son­nage de la pièce ne la juge. Tout le monde peut se recon­naître car tout le monde peut avoir un rêve d’en­fant qui s’est brisé. C’est très dur de devoir renon­cer. Et on est finale­ment très peu dans la pop­u­la­tion à vivre nos rêves d’en­fants. Quand on a ce priv­ilège, c’est indé­cent de juger les autres. C’est ça que j’avais envie de dire aussi.