
J’ai pas mal d’amis chanteurs lyriques. En les fréquentant, je me suis vraiment rendue compte de la difficulté de ce métier. C’est psychologiquement très difficile et physiquement très exigeant, ce qui leur crée des comportements particuliers. Ils sont très fragilisés, très centrés sur eux, ce qui est tout à fait compréhensible.
J’ai imaginé ce spectacle il y a quelques années mais je ne trouvais personne qui pouvait l’interpréter. Il fallait une femme ébréchée, folle, drôle et qui soit une vraie chanteuse d’opéra. Un jour, je suis allée à l’Atelier Théâtre de Montmartre pour voir cette salle ouverte par mon amie Michèle Tollemer, directrice de casting au départ, et c’est comme ça que j’ai rencontré Brigitte Faure, et Michel Tavernier son partenaire. A partir de là, tout a été possible.
C’est la première fois que vous écrivez pour quelqu’un d’autre que vous. Comment s’est passée l’écriture ?
J’ai écrit cette pièce avec beaucoup de fluidité. Je pense que j’ai été très inspirée par Brigitte. J’ai tout écrit d’une traite sur un petit cahier. On est allées au parc des Buttes Chaumont, on s’est mises dans l’herbe et par trois fois, des petits moineaux ont fait caca sur mon cahier, alors je me suis dit que ça allait me porter chance !
Ensuite, je l’ai lu à Marie Chevalot [NDLR : assistante à la mise en scène et comédienne sur la pièce] qui a été plus critique, plus objective. J’ai écouté ses remarques sur les longueurs, les répétitions. Puis, je me suis acheté un ordinateur et j’ai commencé à rentrer le texte, acte par acte. Je ne pouvais pas entrer un acte tant que je n’étais pas contente du précédent. J’ai écrit environ sept versions par acte et six versions de la pièce en tout.
Vous signez également votre première mise en scène. Comment avez-vous abordé cette étape ?
Ca me paraît toujours insensé de « préparer » une mise en scène. Il faut partir des comédiens, c’est beaucoup plus amusant de les voir faire, et de faire ensemble. Etant comédienne moi-même, je sais qu’il ne faut pas forcer les gens. Il faut les amener quelque part, les accompagner, mais ne pas les contraindre.
Par exemple, Michel Tavernier et Brigitte Faure se connaissent depuis trente ans. Ils sont le jour et la nuit dans leur façon de travailler. Brigitte est extrêmement généreuse dès la première lecture, tandis que Michel lisait à plat. Ce n’était pas du tout le même travail et c’était très intéressant avec l’un comme avec l’autre.
On a beaucoup travaillé ensemble, on a cherché, c’était exigeant et sympathique à la fois, avec des moments d’enthousiasme… et de désespoir ! Classique, quoi ! Et on continue encore à travailler aujourd’hui car il y a des choses que j’ai envie d’améliorer.
Comment s’est fait le choix des airs lyriques et des chansons interprétés dans le spectacle ?
J’ai tout choisi sauf la fin du premier acte, « Le chant à la Lune » de Rusalka, qui est une proposition de Brigitte. Pour le reste, je voulais absolument mettre « J’ai perdu mon Eurydice » car mes parents se sont connus sur cet air. C’est un petit hommage. Et puis, j’ai mis « L’Air des Bijoux » car au départ, c’est une comédie sur l’opéra et je ne voulais pas que ça fasse peur aux néophytes. J’ai donc fait exprès de prendre la référence la plus populaire qui puisse être.
Vous parlez d’une artiste lyrique, mais on peut étendre votre propos aux artistes en général…
D’une façon très large, on parle de tous les gens qui ont un rêve, une passion. Il y a deux façons de l’aborder : soit on y renonce, soit on n’y renonce pas. Pietra ne peut pas renoncer, elle a ça dans le sang, même si elle n’a pas le talent suffisant pour ce qu’elle imaginait devoir faire. Quand on est habité par une passion et qu’on n’est pas à la hauteur, on meurt, on s’échappe, on devient fou…
Comment définiriez-vous le ton de votre spectacle ?
Il y a un doux mélange de folie et de réalisme puisqu’on a une femme broyée par sa carrière et qui retrouve le plein épanouissement de son âme en chantant dans sa cuisine devant un public imaginaire. On est aussi ancré dans la réalité, puisque la pièce traite aussi d’une expulsion.
Diriez-vous qu’un certain pessimisme s’en dégage ?
Non, il n’y a pas de pessimisme, j’essaie d’être lucide. J’ai l’impression qu’on participe tous à une ronde folle, qu’on est tous en train de courir de façon effrénée, et moi la première. Et quand les gens sont exclus de cette ronde, ils tombent sur le mur et s’écrabouillent par terre. J’avais envie d’écrire une pièce sur quelqu’un qui tombe au sol, et tout le monde continue à courir. Mais ce n’est pas pessimiste, car Pietra a un univers très gai. Elle s’amuse comme une folle !
Vous vous sentez des points communs avec elle ?
Bien sûr ! Je pourrais très bien vivre ça. Je pourrais être demain dans la précarité, me retrouver avec des dettes insensées et me raccrocher à mes souvenirs. J’ai été très heureuse dans ma vie et si je devais être malheureuse, forcément, je tomberais de très haut.
Mes amis me disent que Pietra, c’est moi. J’ai un ami psy qui a analysé la pièce et qui m’a dit que les deux personnages représentaient l’intérieur de moi : l’un est complètement fou et l’autre n’est pas marrant et ramène le premier constamment à la réalité.
Quel message avez-vous envie de faire passer par le biais de Pietra ?
Je crois qu’il faut simplement regarder les gens avec empathie et sans jugement. Aucun personnage de la pièce ne la juge. Tout le monde peut se reconnaître car tout le monde peut avoir un rêve d’enfant qui s’est brisé. C’est très dur de devoir renoncer. Et on est finalement très peu dans la population à vivre nos rêves d’enfants. Quand on a ce privilège, c’est indécent de juger les autres. C’est ça que j’avais envie de dire aussi.