Véronic DiCaire — Une Roxie dynamique et séduisante

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Veronic DiCaire ©DR
Veron­ic DiCaire ©DR

Quelle artiste êtes-vous ?
Tout d’abord, au Québec je suis avant tout chanteuse. Mon pre­mier album éponyme vient de sor­tir. La danse et le jeu sont arrivés grâce à la comédie musi­cale. J’ai eu la chance de jouer Sandy dans Grease. Cela m’a per­mis d’ex­plor­er un peu ces deux ter­ri­toires. Toute­fois le per­son­nage est moins présent que Dan­ny ou Riz­zo. J’ai donc eu le sen­ti­ment de n’avoir que goûté à la danse et la comédie. Comme un amuse bouche. Pour Chica­go, je suis passée à la vitesse supérieure : ce spec­ta­cle con­stitue le plus grand défi à ce jour en matière de comédie musi­cale ! Dès le début, j’ai eu pour objec­tif que les dis­ci­plines soient mêlées et parais­sent naturelles, de manière à ce que le pub­lic pense que j’ai fait cela toute ma vie. J’avais en face des danseurs pro­fes­sion­nels, il fal­lait que je me mêle à eux sans être ridicule, je ne voulais pas qu’ils voient que j’avais tra­vail­lé dur pour arriv­er à égaler mes partenaires.

Je dois dire que nous avons eu des maîtres comme coachs. Ils nous ont vrai­ment fait décou­vrir la choré­gra­phie, la mise en scène, de manière très pré­cise. Je respecte énor­mé­ment Scott Faris, le met­teur en scène, qui a pris le temps de vrai­ment nous for­mer. Il m’a mon­tré qui était Rox­ie. Un priv­ilège et un hon­neur de tra­vailler avec cette équipe. Pour les choré­gra­phies, Gary Chryst fut notre men­tor. Il a tra­vail­lé avec Ann Reink­ing qui a col­laboré, tout comme lui, avec Bob Fos­se : quelle filiation !

Com­bi­en de temps avez-vous répété ?
Les représen­ta­tions ont eu lieu l’été dernier à Mon­tréal. Nous avons eu env­i­ron sept semaines de répéti­tion. Ce qui est rare chez nous. Cela peut paraître peu de temps, mais il faut savoir que tous les jours, sauf le dimanche, nous étions du matin au soir à tra­vailler. J’avais presque le sen­ti­ment d’être de nou­veau l’é­col­ière qui va à son cours de danse, de théâtre… Tout cela était assez excep­tion­nel et nou­veau pour moi. J’ai adoré pren­dre mon temps pour décou­vrir le per­son­nage, m’in­ter­roger, travailler.

Com­ment abor­der un tel rôle ?
Au début, j’avais une image pré­conçue du per­son­nage comme étant la blonde typ­ique, un peu naïve qui ne savait pas trop où elle va. En étu­di­ant le per­son­nage avec Scott, je me suis vite ren­du compte qu’elle sait très bien ce qu’elle veut, elle n’est pas si tim­o­rée qu’elle en a l’air. Elle a des hauts et des bas, même à l’in­térieur d’une scène, ce qui est très plaisant à jouer. Elle peut deman­der à son mari de l’ar­gent très gen­ti­ment et devenir garce immé­di­ate­ment après. Elle change d’at­ti­tude d’une sec­onde à l’autre. J’ai abor­dé le rôle tran­quille­ment, en faisant con­fi­ance au met­teur en scène qui savait où Rox­ie devait se ren­dre. Avec lui, nous avons exploré ce qui devait ressor­tir de mon inter­pré­ta­tion. Il ne faut pas penser qu’il for­mate toutes les « Rox­ie » dans le monde : chaque inter­prète apporte sa touche per­son­nelle. Une ligne direc­trice est établie, ensuite à nous de nous laiss­er aller. J’aime beau­coup Rox­ie, c’est un très bon per­son­nage à jouer.

Quel fut votre cre­do avant le spectacle ?
Un seul mot d’or­dre : de tou­jours jouer vrai. A Mon­tréal on com­mence unique­ment à abor­der les comédies musi­cales améri­caines. On s’imag­ine quand on les voit que tout est exagéré, qu’il faut car­i­ca­tur­er les per­son­nages afin que le pub­lic com­prenne. Bien au con­traire, nous choi­sis­sons de jouer vrai. Le pub­lic le ressent directe­ment. Nous voulons que les gens com­pren­nent et aiment nos per­son­nages avec leurs défauts et leurs qualités.

En tant que chanteuse, com­ment avez-vous abor­dé les chansons ?
D’une part, j’avais eu l’op­por­tu­nité de voir Chica­go sur scène. D’autre part, j’ai eu la chance de faire la voix chan­tée française du film [NDLR : au Cana­da, les chan­sons étaient égale­ment dou­blées, ce qui n’é­tait pas le cas en France]. J’ai donc dou­blé Renée Zell­weger dans toutes ses chan­sons. Bien enten­du, cela m’a un peu influ­encée pour jouer le per­son­nage, mais j’ai tenu à aller chercher mon inspi­ra­tion de ci, de là. De même lorsque je suis retournée voir le spec­ta­cle à Broad­way, je m’en suis inspirée car les lignes direc­tri­ces sont les mêmes, mais là encore, j’ai fait ma petite cui­sine per­son­nelle. J’ai ten­té de par­tir de zéro.

Quelles furent vos impres­sions de spectatrice ?
Lorsque j’ai décou­vert Chica­go en 1998, j’ai tout de suite adoré. J’avais enten­du quelques extraits à la télévi­sion qui m’avaient plu. Voir la comédie musi­cale sur scène m’a trans­portée. Ce côté min­i­mal­iste, qui laisse l’imag­i­na­tion du spec­ta­teur en éveil me plait. J’aime ces sortes de flash-pho­to que l’on présente aux gens. Les lumières sont extra­or­di­naires. C’est un spec­ta­cle qui stim­ule l’e­sprit : telle­ment de choses se passent en une seule scène qu’il faut se con­cen­tr­er sur la pièce. J’aime égale­ment cet aspect fausse­ment léger. Tous ces élé­ments m’avaient sur­prise. Voir et revoir Chica­go per­met de s’apercevoir de tout ce qu’on a loupé la pre­mière fois : il s’en passe pen­dant 2h30 ! C’est un spec­ta­cle riche. J’avais adoré les cos­tumes, le fait de représen­ter de manière con­tem­po­raine les vête­ments des années 20, que les filles dans la prison évo­quent un bor­del des années 30, mais avec un twist con­tem­po­rain. Voir les musi­ciens sur scène est extra­or­di­naire. Impos­si­ble d’imag­in­er une bande sonore. J’aime Chica­go pour son sar­casme, son cynisme et un côté immoral. Partout dans le monde, le spec­ta­cle rem­porte un grand suc­cès. Ce n’est pas pour rien : je pense qu’on peut trou­ver des his­toires par­al­lèles à celles de Rox­ie et Vel­ma au qua­tre coins du globe. Ces filles qui s’en sor­tent grâce à la manip­u­la­tion des médias…

Com­ment se passe votre vie à Paris ?
Je m’aperçois que, même si je ne dois pas m’in­fliger une dis­ci­pline trop con­traig­nante, j’ai besoin d’avoir des repères. Comme je m’en­dors tard, je me lève tard, si pos­si­ble sans réveil. Je pro­tège mes cordes vocales un peu sen­si­bles en évi­tant de trop par­ler durant la journée. Je prof­ite de la ville, en étant rési­dente et non pas vis­i­teur. C’est génial. J’ar­rive tou­jours au théâtre vers 18h30 pour sen­tir la salle. J’aime être ici, c’est un cocon assez fer­mé. Le spec­ta­cle est très exigeant physique­ment, je m’or­donne donc des exer­ci­ces, un petit repos avant le show. Une petite rou­tine s’in­stalle, mais dans le même temps, il ne faut pas trop « capot­er » comme on dit chez nous !

Qu’est-ce qui vous sem­ble le plus dif­fi­cile dans le show ?
Je par­lerais davan­tage de défi que de dif­fi­culté. Il con­siste à se remet­tre à zéro pour chaque représen­ta­tion et redé­cou­vrir les paroles, les chan­sons comme si on ne les avait jamais chan­tées. Je ne dois pas pren­dre pour acquis ce que j’ai fait la veille et ten­ter d’évoluer avec ce per­son­nage sans ren­tr­er dans un moule, jouer sur « pilote automa­tique ». Décou­vrir ce qui peut ali­menter le per­son­nage. Une petite étin­celle me fait sys­té­ma­tique­ment réalis­er quelque chose sur Rox­ie. Par exem­ple, lors de la dernière représen­ta­tion, nous avons fail­li avoir un fou rire avec Stéphane Rousseau dans une scène pour­tant très intense. Le rire peut être très près de cette inten­sité. J’é­tais dans l’a­gres­siv­ité et j’ai buté sur mon texte. C’est la pre­mière fois que cela nous arrive et, du coup, j’ai pris con­science du côté ténu entre le jeu et le rire : on peut vite se laisse entraîn­er, il faut faire atten­tion. Tout est en direct, il faut l’as­sumer car n’im­porte quoi peut arriv­er. Ces petits acci­dents font par­tie du plaisir de ces spec­ta­cles. Comme expéri­ence de comédie musi­cale, avec un rôle aus­si intense que celui de Rox­ie Hart, je pense que j’au­rais du mal à m’en­gager dans un spec­ta­cle musi­cal plus léger… La barre est fixée très haut.

Que pensez-vous de Bob Fosse ?
Un génie. Je ne con­nais pas bien la danse puisque je n’ai pas eu de for­ma­tion en ce sens, je ne pour­rais pas vous par­ler des tech­niques qu’il utilise, mais j’ai remar­qué que chez lui le min­i­mal­isme devient red­outable­ment effi­cace. On par­le d’un « mou­ve­ment à la Fos­se », cela veut tout dire. J’ai répété énor­mé­ment pour y arriv­er. Pour le choré­graphe comme pour moi, ce fut très émou­vant le soir de la pre­mière représen­ta­tion de voir que, en par­tant de si loin, j’ai pu arriv­er à danser Chica­go. Je ne pou­vais pas croire que j’avais atteint ce niveau. J’en tire une cer­taine fierté !!

Les réac­tions du pub­lic cana­di­en et français diffèrent-elles ?
J’ig­nore si cela a un rap­port avec la tra­duc­tion ou avec les gens. A mes yeux, le pub­lic français est très dif­férent. A Mon­tréal, nous avons un côté très latin, expres­sif, gestuel. On ne se gêne pas pour se lever. Ici, le pub­lic est très atten­tif à tout, et par­ti­c­ulière­ment au texte. Cela fut impres­sion­nant pour nous. Je me sou­viens du pre­mier soir au Casi­no de Paris, nous étions tous à l’ar­rière scène durant le spec­ta­cle à nous angoiss­er : « est-ce qu’ils aiment ou pas ? ». A la toute fin, nous avons su que nous avions con­quis notre salle, mais nous n’avions pas pu le savoir avant. Les applaud­isse­ments sont généreux et chaleureux, on le sent. Mais les réac­tions pen­dant le spec­ta­cle sont moins mar­quées que dans mon pays. D’ailleurs, les réac­tions sont dif­férentes : en France, on rit à des scènes qui lais­saient les spec­ta­teurs cana­di­ens impas­si­bles et récipro­que­ment. J’aime le pub­lic français, j’avais hâte de le rencontrer.

Le pub­lic français a moins la cul­ture de la comédie musicale…
Il est vrai que pen­dant les deux pre­mières scènes, on ressent un éton­nement de la part du pub­lic français. Voir une scène épurée, les musi­ciens. Des chais­es et des lumières comme acces­soires puis les pro­tag­o­nistes. Dès la troisième scène, le pub­lic est embar­qué, il s’est lais­sé apprivois­er. Même chez nous, où nous con­nais­sons un peu mieux la comédie musi­cale anglo-sax­onne, traduire les pièces ne va pas de soi. D’ailleurs j’avais une crainte pour Chica­go : le défi est de taille pour garder cet état d’e­sprit, cette dureté. Je lève mon cha­peau à Lau­rent Ruquier pour son adaptation.

Quel est votre univers musi­cal personnel ?
Il est très dif­férent de ce que je vis avec Chica­go. Depuis petite, j’ai été mar­quée par La Mélodie du Bon­heur à la télévi­sion, j’ai joué à chanter dans les champs comme Maria ! A tous les Noëls, il ne fal­lait pas louper Mary Pop­pins, quelque chose de mag­ique, de féerique se dégageait des comédies musi­cales. J’aimais mélanger la chan­son et le théâtre dans mon enfance. En tant que chanteuse, mes envies vont vers le rock folk. Je tra­vaille sur un sec­ond album qui sera peut-être le pre­mier qui sor­ti­ra en France. Il ne faut pas se voil­er la face : chanter actuelle­ment à Paris me per­me­t­tra peut-être de percer ici, ce serait un rêve pour moi. En revanche, je ne sais pas si je pour­rai con­tin­uer à chanter en français dans des comédies musicales.

Les pro­duc­teurs de Broad­way sont venus à Paris ?
Oui, le pro­duc­teur de New York est venu nous voir. Il nous a com­pli­men­tées, Ter­ra et moi. Ce qui nous a beau­coup touchées.

L’après Chica­go ?
Avec mes deux albums, j’aimerais faire un spec­ta­cle, des tournées. Je ne dis pas toute­fois que je ne remon­terai pas sur scène, l’ex­péri­ence de Chica­go fut d’un tel niveau que cela donne envie de reten­ter quelque chose. D’ailleurs, si on m’in­vite sur Broad­way pour faire Rox­ie en anglais, je n’hésit­erai pas un quart de seconde.