C’est une chanson, rédigée un matin de 2014, dans la brume de sa Normandie natale, par le parolier Sylvain Lebel. Intitulée « Les Québécois », elle évoque ces hommes ayant débarqué en France le 6 juin 1944. Une simple chanson, sans autre intention que de leur rendre hommage. Lebel a la Normandie dans le sang, il sait ce que sa terre doit aux soldats. Mettre à l’honneur les héros inconnus et les résistants de l’ombre, l’idée touche immédiatement Erick Benzi. Alors, à son tour, l’auteur-compositeur des plus grands (Céline Dion, Goldman, Hallyday…) prend la plume. Dans la peau d’un soldat, il raconte la nuit du 6 juin sur la plage, dans celle d’une infirmière, la fuite vers Paris, puis la liesse de la libération… En quelques notes, l’Histoire défile et les mots galopent sur le sable de Normandie…
Deux ans plus tard, les partitions sont devenues un spectacle, Un été 44, à l’affiche du Comédia pour quatre mois. Une aventure rendue possible grâce à Valéry Zeitoun. « Au printemps 2015, François Bernheim m’a proposé de venir écouter des maquettes. ‘C’est un projet un peu dingue autour du Débarquement, une sorte d’hommage aux anonymes dont quelques amis ont écrit et composé des chansons’ me dit-il. ‘Ils voudraient faire deux ou trois représentations à Caen’. » L’ancien poids-lourd d’une des plus grandes maisons de disque, récemment producteur des Vieilles Canailles accepte, bien décidé à décliner toute proposition éventuelle. « Je ne suis pas très branché spectacle musical. Très peu d’entre eux trouvent grâce à mes yeux. Je trouve souvent que ça chante fort, que ça joue mal. J’avais donc prévu de dire non ‘poliment’. » La première écoute le fait vaciller. La deuxième l’emballe. « J’ai trouvé ça fantastique ! Et au fur et à mesure des titres, je me suis mis à reconnaitre des styles et la patte de grands artistes. » Il faut dire que depuis « Les Québécois », Lebel et Benzi ont contacté leurs amis, qui comptent parmi les plus prestigieuses signatures de la variété française : Goldman, Chamfort, Jean Fauque, Aznavour, Le Forestier… Tous ont spontanément accepté d’écrire une chanson. Chacun son thème, chacun sa sensibilité. Un swing entrainant façon « Andrews Sisters » fait défiler les « Rochambelles », un chorus de guitare et de sonorités écossaises réveillent le commando Kieffer, une ballade collégiale invite à « ne pas oublier ». « A la fin des vingt titres, j’étais convaincu : ‘Oui, je veux vous produire. Mais pas seulement pour un concert à Caen, je veux monter un vrai spectacle’. »
Les chansons sous le bras, Zeitoun va alors trouver Anthony Souchet. Le conseiller artistique de Mylène Farmer et de nombreux shows télévisés succombe aux voix, accepte de co-écrire le livret et d’assurer la mise en scène. Avec Benzi à la mise en musique et à la réalisation de l’album et Zeitoun à la production, un trio est constitué. Aucun n’ayant jamais eu la moindre expérience en termes de comédies musicales… « Je ne me suis même pas posé la question » sourit Zeitoun, « de toutes façons, je ne peux pas suivre les codes de choses dont je ne suis pas fan. On a fait comme on le sentait. »
Ce qu’ils sentent n’est pas tant un spectacle musical qu’une sorte de film sur scène. « Nous partageons la même passion pour des chefs d’œuvre tels que Le Vieux fusil, L’Armée des ombres, Le Dernier métro… tous ces films fabuleux des années 70, qui racontent –en temps de guerre– des histoires d’inconnus. Suivre des destins qui se croisent, se recroisent, se mêlent… voilà l’esprit avec lequel nous avons écrit l’histoire, à partir des chansons. » On y croise une jeune coiffeuse, un soldat écossais, un adolescent rêvant d’être un héros, une future féministe… autant d’anonymes plongés au cœur de la guerre. « Nous les accompagnons au fil d’un road-movie de trois mois, du Débarquement jusqu’à la Libération de Paris, chacun avec sa personnalité, sa perception des évènements, son attitude durant cet été pas comme les autres. Avec une grande place faite aux femmes. « En temps de guerre, je les trouve plus solides que les hommes, et elles ont toujours en plus l’angoisse de la perte d’un être cher, leur père, leur frère, leur fiancé… »
Mais leur été 44 n’est pas fait seulement de peurs ou de doutes. Valéry Zeitoun a tenu à y ajouter une histoire d’amour. Pas n’importe laquelle, celle entre une française et un allemand. « Ce n’est pas un horrible SS, comme on voit toujours, mais un simple troufion » précise –t‑il. « Entre 40 et 44, 200 000 enfants sont nés d’histoires d’amour entre des Allemands et des Françaises. Rien à voir avec la collaboration horizontale, des amours véritables. Nous voulions aussi évoquer cette réalité. » Pour cela, comme pour le reste, pas question d’ailleurs pour lui de transiger avec la vérité : « Sur un tel sujet, on n’a pas le droit à l’erreur. Tous les textes des chansons ont été visés par des historiens. Bien sûr, le récit est une fiction, mais tout se base sur des éléments véridiques. Nous avons notamment travaillé avec le Mémorial de Caen. » C’est d’ailleurs là-bas qu’une des chansons trouve son origine : « Je suis tombé sur un piano Steinway. J’ai alors appris qu’avec les soldats, 2436 pianos avaient aussi débarqué sur les plages. Qui le sait ? Nous en avons fait l’une des scènes les plus festives du spectacle. » Un respect de l’histoire poussé à l’extrême dont Anthony Souchet n’est pas peu fier : « Ce n’est pas un hasard si les héroïnes s’enveloppent de couverture sur scène. S’il faisait très chaud en Normandie en ce mois de juin, dans les caves, la température était très inférieure. »
Les équipes créatives d’Un été 44 ont poussé la logique jusqu’au bout. Pour camper ces héros inconnus, ils ont choisi six jeunes chanteurs… inconnus. Ceux-là même des premières maquettes et qui n’imaginaient surement pas que poser leur voix sur quelques titres les conduirait au Comédia… « Ce ne sont pratiquement que des débutants ou des artistes ayant peu d’expérience » confie Zeitoun, « mais ils ont un vrai talent, et surtout, ils ne sont pas formatés ». Le message est limpide. « Certains nous ont conseillé de prendre une tête d’affiche, nous avons refusé tout de suite. La star ici, c’est l’Histoire. Et puis, nous racontons des destins d’anonymes, héros victimes d’une époque. Les artistes doivent être à leur image. Une vedette n’aurait pas la même fraicheur, la charge émotionnelle disparaitrait derrière un calcul marketing. Le producteur aux millions de disques vendus sait de quoi il parle. Ses propos n’en sont que plus sincères. « Nous avons déjà de très grands noms à notre générique, comme on dit au Québec, il ne faut pas sucrer le sucre! » Valéry Zeitoun ne le cache pas, il a fait énormément travailler sa troupe ces derniers mois. « Le gros défaut de la France est qu’on ne fait pas assez travailler la comédie aux jeunes qui se lancent. J’ai dit à nos artistes : vous ne devez pas être des chanteurs, mais des entertainers, des showmen, chanteurs, comédiens, danseurs.» Les spectateurs ayant assisté au showcase peuvent le confirmer : Alice Raucoules, Barbara Pravi, Sarah-Lane Roberts, Philippe Krier, Nicolas Laurent, Tomislav Matosin sont impressionnants de justesse et de talent.
Ils évolueront sur une scène qu’Anthony Souchet a voulue symbolique : « À jardin, les femmes, la cave et l’attente… À cour, les garçons, la guerre, les bars, la fête. Je joue sur cette ligne et ces deux univers bien séparés…. Au fur et à mesure tout va se mélanger… » À cour se trouveront aussi les musiciens. Seuls, cuivres et cordes ont été enregistrés par un orchestre philharmonique. « Comme au cinéma, la musique est quasi-permanente » confie Zeitoun. Restait la narratrice. Pour conter le récit, les créateurs sont allés à Londres convaincre celle qui a tourné avec Kubrick, Visconti, ou Clint Eastwood : Marisa Berenson… « Nous ignorions que son père était dans l’armée américaine et avait fait le débarquement. Elle apporte une dimension internationale. »
Une vraie émotion aussi, dans un spectacle dont Valéry Zeitoun tient à préciser « qu’il n’est pas sur la guerre, mais sur la paix, avec la fin de la guerre en toile de fond, nuance ! ». Le producteur qui considère son équipe comme des artisans, non des industriels du spectacle, l’avoue : « Mon objectif est triple, que ce spectacle existe, qu’il soit aimé, et qu’il dure. Je rêve qu’on le joue encore dans quinze ans. À l’instar du petit René, (l’un des personnages ndlr), je nous considère comme des résistants. Des résistants dans la qualité des chansons, des textes, de la réalisation. Alors on prend peut-être un risque, mais si c’est celui de la qualité, avec un spectacle qui a de la gueule, de la tenue et du fond, ça me va… »
Lorsqu’il a tourné sa première bande-annonce il y a un an et demi, l’homme n’avait aucun financement… Seuls quelques partitions, un parcours impressionnant et un pan de l’histoire de France. Avec ses artistes talentueux, son lot exceptionnel d’auteurs-compositeurs, ses textes et musiques de haute-volée, ce spectacle inattendu, né dans les brumes normandes a d’ores et déjà rempli son pari. Zeitoun n’y est pas pour rien. Et l’on se dit que l’homme, dont le grand-père, membre de la 2ème DB, est mort à 26 ans après avoir libéré Paris, y a sans doute mis un peu de lui-même…
Un été 44 – Une histoire, leurs 20 ans, notre liberté.
A partir du 4 novembre au Comédia, 4 boulevard de Strasbourg- Paris
Puis en tournée dans toute la France
Liste complète des auteurs-compositeurs: Michel Amsellem, Charles Aznavour, Erick Benzi, François Bernheim, Alain Chamfort, Yves Duteil, Jean Fauque, Jean-Jacques Goldman, Guy Iachella, Joelle Kopf, Maxime Le Forestier, Sylvain Lebel, Florent Lebel, Claude Lemesle, Christian Loigerot, Jean-Pierre Marcellesi, Nérac et Christian Vie.
Informations et réservations sur http://www.unete44.com/