Quel titre pour une comédie musicale ! Indéniablement, voici le spectacle le plus « pipi-caca » du répertoire du théâtre musical, et il faut quelques efforts pour en saisir la très sérieuse substance. L’auteur du texte ? Greg Kotis — vient à la rescousse en racontant la genèse du spectacle dans le livret joint au CD : suite à une grave pénurie d’eau, les urinoirs ont été organisés en monopole et il faut payer pour soulager sa vessie (« It’s a Privilege to Pee »). Les infractions sont sanctionnées par l’exil dans un lieu mystérieux et redouté appelé « Urinetown ». Une poignée de courageux entre en révolte contre l’odieux exploitant du monopole.
Détrompant l’impression première du titre, Urinetown est bien plus futé qu’il en donne l’air. Tel un enfant naturel des fables satiriques de Kurt Weill et Bertold Brecht (L’opéra de Quat’sous, Splendeur et Décadence de la ville de Mahagonny), il retient de ses prédécesseurs la texture musicale et le ton contestataire, sans oublier les accents révolutionnaires. L’histoire démarre avec une très astucieuse scène d’introduction (« Too Much Exposition ») aux accents d’auto-dérision. Le développement répond avec entrain (« Run, Freedom, Run !») à la curiosité suscitée. Un petit instant il manque un peu de souffle au milieu du 2e acte. Les chansons sont très gaies et entraînantes en surface, mais désabusées dans le fond. Les acteurs-chanteurs les interprètent avec beaucoup de verve et d’engagement. Les rythmes appellent des chorégraphies échevelées rassemblant du monde sur scène. Au bilan, le CD est plus que plaisant, quoiqu’un peu difficile d’accès par rapport au Broadway habituel. Un conseil pour être à la hauteur du défi : privilégiez une écoute attentive avec le livret de paroles sur les genoux pour en apprécier pleinement l’esprit provocateur et le pessimisme vertigineux.