Pour les fêtes de fin d’année 2013, la compagnie Ars Lyrica proposait La Mélodie du bonheur ; le classique de Rodgers et Hammerstein était présenté à l’occasion en version française, dans plusieurs villes de Belgique. Cette année, c’est un autre classique du répertoire de Broadway qui est proposé : Un Violon sur le toit. Ce chef d’œuvre de Bock et Harnick, même s’il reste un spectacle familial, aborde des thèmes plus graves et plus adultes. Mohamed Yamani, directeur artistique, nous explique son choix : « Jusqu’à présent, on a fait beaucoup de spectacles pour enfants et on voulait changer. Ce qui m’intéresse dans Un Violon sur le toit, c’est que ses thèmes — problèmes entre les communautés, rejet de l’autre… — peuvent se transposer à n’importe quelle époque et n’importe quel peuple. Ici, cette histoire concerne des juifs mais elle pourrait concerner n’importe qui. »
Une des grandes réussites de cette production est justement d’avoir choisi un parti pris visuel épuré soulignant l’intemporalité de l’histoire. Certes, si les costumes créés par Gaël Bros Vandyck sont bien ceux de paysans russes du début du XXe siècle, la scénographie de Mohamed Yamani, faite d’éléments modulables en bois et de miroirs, compose un intéressant équilibre entre ruralité et modernité. « Pour la scénographie, j’ai fait beaucoup de recherches sur les symboles forts du judaïsme, explique-t-il. Ici, le symbole religieux est la menorah. Je voulais également quelque chose qui rappelle Dieu. Le miroir symbolise la communication avec Dieu. Quand Tevye s’adresse à ce miroir, il s’adresse à son reflet. Dieu est nous tous. » A cet égard, la fin de l’ouverture, où le miroir suspendu et incliné révèle que les éléments vus d’en haut forment une ménorah, est particulièrement marquant.
La production est servie par une formation de vingt musiciens, fait de plus en plus rare de nos jours, en dehors des opéras. Patrick Leterme, directeur musical et co-directeur artistique s’en réjouit : « On a la chance sur cette production de travailler avec la version complète, à savoir vingt instruments, donc ce n’est pas une réduction. C’est un grand classique de Broadway qui a la particularité d’aborder la musique par l’angle de la culture juive. Il y a une grande mélancolie sur certaines mélodies mais il y a aussi, au niveau des ambiances, l’aspect festif des musiques de l’Est qu’on peut trouver, plus près de nous, dans les films de Kusturica. Ces gens sont dans la misère mais, quand ils font la fête, ils peuvent être complètement débridés. »
Les chorégraphies ont été créées par Johan Nus qui faisait partie de la production parisienne mise en scène par Olivier Benezech au Comedia il y a quelques années. « Il était important de faire différent de Paris tout en ayant la référence de Jerome Robbins, précise-t-il. Par exemple, je ne voulais pas toucher à la danse des bouteilles car elle est emblématique. Ce numéro là devait exister en tant que tel. D’autre part, je voulais mettre en avant des gens qui puissent à la fois chanter et danser. Pour le cauchemar, on a donc fait un vrai numéro de musical à la Broadway avec des portés pendant que la soprano chante en même temps. Et j’ai insisté pour que Fyedka soit un vrai chanteur-danseur pour qu’on puisse avoir des acrobaties. C’était important pour moi de pouvoir mettre ma patte et que ce soit différent de Paris, même si l’énergie et la stylistique de Robbins sont présentes du début à la fin. »
Dans cette production, Chris de Moor interprète le rôle de Tevye de façon très émouvante et la relation du père avec ses filles est particulièrement crédible. Basse belge, Chris est en tête d’une distribution mêlant Belges et Français, et artistes venant du théâtre musical et de l’univers lyrique. « Je viens de l’opéra, j’ai pris ma retraite il y a quelques mois et les gens se disent : ‘il est retraité donc il est libre’ alors ils m’engagent pour des opérettes et des comédies musicales, et ça m’intéresse beaucoup, plaisante-t-il. Ce qui me plaît dans Tevye, c’est qu’il est intégré dans une histoire universelle et ce n’est pas l’actualité qui me contredira. Dans Un Violon sur le toit, il y a la relation d’un père avec ses enfants, et qui veut décider de leur avenir matrimonial. Et puis, il y a la menace de pogroms qui grande autour de ce petit village juif, entre le dictateur et les oppressés. Et malheureusement, c’est toujours d’actualité. »
Joseph-Emmanuel Biscardi, artiste belge vu sur les scènes parisiennes dans Fame, Cabaret ou encore Les Instants volés, joue ici le rôle de Motel et renchérit sur la pertinence de cette œuvre. « On y parle de valeurs comme la tolérance, l’amour. Je crois qu’en fait, c’est une œuvre qui parle d’amour : amour de sa terre, amour des traditions, amour de l’autre. Et depuis quelques jours, je pense que ça résonne de façon beaucoup plus forte. »
Un Violon sur le toit marque une étape de plus pour Ars Lyrica qui propose des spectacles plus abouti de saison en saison et espère continuer ainsi sur sa lancée, entre classiques et — pourquoi pas , — créations. « Pour l’instant, on reste dans le répertoire de Broadway pour habituer les gens, car ce n’est pas un répertoire très courant en Belgique. Mais plus tard, on aimerait faire des créations, d’ailleurs on a un projet avec Patrick Leterme qu’on espère monter d’ici deux ans, conclut Mohamed Yamani. »
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Plus d’infos sur le site d’Ars Lyrica.