Résumé : Des jeunes vies vont se croiser sur la route qui mène à la liberté. Quinze auteurs-compositeurs prestigieux ont écrit spécialement les chansons de ce spectacle musical : Michel Amsellem, Charles Aznavour, Erick Benzi, François Bernheim, Alain Chamfort, Yves Duteil, Jean Fauque, Jean-Jacques Goldman, Guy Iachella, Joëlle Kopf, Maxime Le Forestier, Sylvain Lebel, Florent Lebel, Claude Lemesle, Christian Loigerot. Mais c’est aussi la découverte de notre histoire et de ses épisodes méconnus : L’histoire des Rochambelles, l’histoire des pianos Steinway V Victory et des 2436 jazzmen debarqués avec eux. La grande Histoire regorge d’aventures à découvrir tout au long du spectacle.
Notre avis : 6 juin 1944, 5 heures du matin… La France n’en finit plus d’être en guerre. Dans les caves humides de Caen, l’angoisse règne et l’espoir faiblit. Mais voilà qu’un ballet de parachutes blancs se mêle aux étoiles et qu’une armada de navires surgit de l’écume… Tombant du ciel et jaillissant des eaux, la liberté a choisi la Normandie comme terre d’asile et cet été 44 va rentrer dans l’Histoire, marquant à jamais la vie de milliers d’inconnus.
Des décennies plus tard, le spectacle présenté au Comédia depuis le 4 novembre est sans doute le plus bel hommage que l’on pouvait leur rendre sur scène. Et il est magnifique. Car la bonne idée des créateurs d’Un Été 44 est artistiquement double : se focaliser sur six personnages, leurs personnalités, leurs réactions et leur destin, en les suivant du débarquement de Normandie à la Libération de Paris, et le faire à partir d’une vingtaine de titres signés des plus grands auteurs-compositeurs français. Rien de moins que Goldman, Chamfort, Le Forestier, Aznavour, Duteil, ont en effet écrit les chansons du spectacle. Loin de tubes marketés ou de mélodies artificielles, elles se révèlent toutes de qualité, rien de surprenant de la part de ces redoutables poids lourds de la variété française. Les textes sont travaillés, les musiques soignées et variées, et si l’on déplore les rimes faciles et déconcertantes des « Lunettes cassées », les mots ont un sens. L’on sent bien d’ailleurs que ces titres puissants sont la base, bien solide, mais aussi le cœur du spectacle. Restait à les lier par une histoire. Celle de six civils et militaires, dont les 20 ans résonnent de bombardements, d’amour et d’un espoir de liberté…
On les découvre dans un sous-sol de Normandie, intelligemment recréé : Solange, féministe en devenir, Petit René, qui brave les interdits et rêve de s’engager dans les FFI, Rose-Marie, insouciante amoureuse d’un soldat allemand, et Yvonne, ainée protectrice et sensible… L’ambiance oppressante est là. Au fil des heures et des chansons dont se dégagent mélancolie et tendresse, les caractères se dessinent et leurs discussions sont prétextes à évoquer des acteurs majeurs du conflit. La scène s’élargit alors et la musique se fait plus pop. Un chorus de guitare et de sonorités écossaises accompagnent un soldat du Commando Kieffer, premier bataillon de fusiliers marins et seuls français à débarquer sur les plages, des cuivres rythmés font renaitre les Rochambelles –ces infirmières qui s’engagèrent dans la division blindée du général Leclerc– et sur des arrangements rock la troupe entière rappelle les Justes, qui risquèrent leur vie pour sauver celle des autres, « des petits gestes, dont on meurt ». Si les oreilles regrettent « F… bocage », qui détonnent franchement avec la beauté des autres tableaux, les harmonies vocales sont superbes, et les chœurs et arrangements d’Erick Benzi donnent parfois des frissons. S’ouvrant sur un poignant hommage aux villes bombardées, la deuxième partie, davantage riche en actions, voit nos quatre héros en route vers Paris. A mesure que la capitale s’approche, l’ambiance se fait plus festive et animée. Car sur cette belle route de la liberté, qui n’empêche pas la nostalgie, ‑l’occasion de tableaux dépouillés et intenses‑, ils vont croiser les soldats alliés, leurs chewing-gums, leur jazz et leurs pianos Steinway débarqués avec eux en Normandie. Les airs se font plus swings et entrainants, les lumières plus colorées. Sur un boogie-woogie, hommage aux Andrew Sisters, les vainqueurs sont à l’honneur, et les jeunes françaises se mettent même à « apprendre l’amour en anglais ». Paris hier martyrisé est enfin libéré… C’est la liesse au bout de la route de nos héros, qui ne doit pas faire oublier tous ceux tombés pour la France.
Un Eté 44 ne les oublie pas dans cet hommage musical, qui ne tombe jamais dans la facilité d’un manichéisme de base, ni dans le piège de clichés larmoyants, s’attachant au contraire au point de vue des personnages, dans une mise en scène astucieuse, et des décors relativement minimes mais suffisants pour recréer l’atmosphère. Sa distribution, composée d’artistes inconnus du théâtre musical, révèle une troupe au talent impeccable. Sans jamais crier, ni surjouer, tous sont vocalement parfaits et impressionnants de justesse dans leur interprétation. A l’image de leurs personnages, ils oscillent entre fraicheur et gravité, offrant un jeu touchant et authentique. Citons notamment Tomislav Matosin et son timbre rocailleux ou Nicolas Laurent, âgé d’à peine 17 ans, étonnant de sincérité. Quant à Barbara Pravi, elle offre une interprétation du titre d’Aznavour « Seulement connu de Dieu », particulièrement remarquable. Une prestation à capella, osons le dire, sublime, avant un chorus final signé du maitre en la matière : Jean-Jacques Goldman.
Sans danseur, sans effets spéciaux, sans débauche de moyens superficiels, à mi-chemin entre concert et road-movie musical, Un Été 44 se révèle définitivement un spectacle pas tout à fait comme les autres. La force de son histoire, la qualité de ses chansons, le talent et l’authenticité de sa troupe entre solos émouvants et ensembles festifs, en font un musical profond et magnifique, source de nombreux frissons. Soixante-dix ans après le débarquement, les armes de ces artistes ont visé juste : le cœur est touché.