Musique et Lyrics : George Gershwin.
Musique et Lyrics : Ira Gershwin.
Livret : Craig Lucas.
Direction musicale et arrangements : Rob Fisher.
Mise en scène et Chorégraphy : Christopher Wheeldon.
Décors et Costumes : Bob Crowley.
Lumières : Natasha Katz.
Son : Jon Weston.
Orchestre : Ensemble musical du Châtelet.
Avec : Robert Fairchild (Jerry Mulligan), Leanne Cope (Lise), Veanne Cox (Madame Baurel), Jill Paice (Milo Davenport), Brandon Uranowitz (Adam Hochberg) & Max Von Essen (Henri Baurel).
Après la libération, désireux de reprendre sa vie et de tirer un trait sur les violences de la Seconde Guerre mondiale, le vétéran Jerry Mulligan s’installe à Paris et tente de se faire un nom comme artiste peintre. Il trouve un soutien en la personne de Milo Davenport, une riche américaine au passé trouble. L’existence de Jerry se complique lorsqu’il tombe amoureux de Lise, jeune vendeuse parisienne qui porte aussi sa part de secrets, car son ami Adam – un compositeur juif américain, et Henri — un aristocrate parisien — se disputent également son amour. Cette situation sans issue ne trouve de dénouement que dans le miracle de la danse, sur les musiques et lyrics parmi les plus beaux jamais composés. Ce récit culte de jeunesse et d’errance dans le Paris d’Après-Guerre est ici repensé pour la scène du 21e siècle.
Notre avis : Ce n’est pas tous les jours que l’on assiste à la première mondiale d’une comédie musicale… Ce mardi 10 décembre Un Américain à Paris fit, après plusieurs previews, ses « parisian debuts » avant d’investir, en mars 2015, le Palace Theatre de Broadway. La concrétisation de cette aventure inédite due à la pugnacité de Jean-Luc Choplin et de ses partenaires américains a provoqué une situation inédite : un musical co-financé par les deux pays, dont la création a lieu à Paris. L’inverse est bien plus répandu. Moment émouvant, donc.
Basé sur le film de Vincente Minnelli, ou plutôt sur le souvenir de ce film, le spectacle est essentiellement basé sur le mouvement. Son metteur en scène Christopher Wheeldon est avant tout chorégraphe, donc rien d’étonnant. L’ouverture, qui résume des faits marquants de la fin de la Seconde Guerre mondiale et montre les rencontres fortuites des deux personnages principaux, se déroule sans une seule parole. Par la suite le dispositif scénique, qui fait appel à plusieurs panneaux sur roulettes, reflète lui aussi ce parti pris du mouvement. Les chorégraphies originales participent grandement à la réussite de l’entreprise. Inspirées, exigeantes, elles servent de parfait moteur à l’intrigue. Le livret a été revu de manière à étoffer un scénario qui était particulièrement faible. Craig Lucas a donc changé l’époque, comme nous l’avons vu, créé des personnages (les parents d’Henri Baurel), donné plus de profondeur psychologiques aux protagonistes. Ces bonnes idées rejoignent celles, dans la mise en scène, où par exemple les décors se font l’écho de la passion de Jerry Mulligan pour l’art graphique. Ainsi nous voyons s’esquisser au crayon, grâce à une projection vidéo, chaque nouveau décor qui finit par prendre vie. C’est astucieux.
Adam Hochberg devient un personnage emblématique. Le film s’ouvrait par une voix off (celle de Jerry), le spectacle s’ouvre avec un narrateur. Enfin Adam n’est pas vraiment le « maitre de cérémonie », personnage récurrent dans l’histoire du musical, puisqu’il est intégré dans la dramaturgie, mais ce statut particulier lui permet de relancer l’intrigue, voire d’entrer dans un rêve. En effet dans le tableau « I’ll build a stairway to Paradise », ne vient-il pas rappeler à Henri, qui s’étonne de le retrouver dans son numéro, qu’après tout c’est lui qui a écrit la musique ? Adam est donc un peu l’ombre de Gershwin dont la musique est magnifiée durant le spectacle. Les chansons ajoutées offrent une toute autre saveur au spectacle. « Soon », chanté par Jill Paice, modifie sensiblement Milo, qui n’est pas réduite à la mécène sans état d’âme, mais nourrit de réels espoirs dans sa relation naissante avec Jerry. Le choix des titres retirés ou ajoutés se révèle judicieux. Certes il semble toutefois que l’intrigue soit un peu un résultat hybride, destiné à plaire au public français et américain. C’est un peu la limite du genre. Ainsi dans la dramaturgie certains éléments auraient mérité d’être plus développés, par exemple la judaïté de Lise, cachée par la famille Baurel durant la guerre et qui a perdu ses parents déportés (mais, a priori, elle l’ignore). Cette bonne idée est juste lâchée dans le dernier tiers du spectacle, alors qu’elle aurait mérité d’être bien plus développée afin d’étoffer les personnages. Mais le mouvement l’emporte. Quant au fameux ballet, le clou du film, il est astucieusement intégré dans l’intrigue : Lise étant ici la fille d’une grande danseuse, elle-même talentueuse, elle intègre la troupe… du Châtelet aidée par Henri à qui elle est promise (même si le goût d’Henri pour faire les boutiques affaiblit sa virilité), mise en musique par Adam et sur des décors de Jerry. Le public applaudit à tout rompre à l’issue de ce ballet, saluant les prouesses acrobatiques des danseurs (clin d’œil à Kelly ?). Christopher Wheeldon et son équipe connaissent leur petit Broadway sur le bout des doigts, offrant plusieurs moments épatants tel ce « I got rhythm » chanté dans un café qui subit, fin de la guerre oblige, une coupure d’électricité, ou ce « Stairway to Paradise » chanté par un Henri Baurel qui n’est pas, comme dans le film, chanteur à succès, mais qui cherche sa voie et teste timidement ce numéro dans un cabaret avant que son rêve ne s’en empare. Show stopper…
Ce pari d’adaptation d’un classique est donc réussi, le couple vedette se révèle bien charmant et l’ensemble de la troupe ne démérite pas. Une belle manière de terminer l’année…