
Quand avez-vous commencé à danser le tango ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de pratiquer cette danse ?
Junior Cervila : Je suis originaire du Brésil et, après avoir vu un spectacle de tango là-bas, j’ai décidé d’aller à Buenos Aires pour apprendre le tango pendant trois mois… Et cela fait vingt ans que j’y vis. Je suis tombé amoureux de cette danse, de cette ville. J’ai décidé de m’y installer et de changer de pays.
Leticia Fallacara : C’est un peu pareil pour moi. Je faisais des études de théâtre quand j’ai vu un spectacle de tango et j’ai décidé de prendre quelques cours, et j’ai adoré. Aujourd’hui, cela fait quinze ans que je danse le tango.
Esteban Domenichini : En ce qui me concerne, j’ai commencé à cinq ans à danser ce qu’on appelle le « folklore argentin » ; on y apprenait aussi le tango. J’ai commencé réellement à dix ans et, à 18 ans, je dansais le tango de façon professionnelle.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le tango ?
Leticia Fallacara : On danse avec quelqu’un qu’on ne connaît pas forcément, et pendant trois minutes il se passe quelque chose d’intense avec cette personne qu’on ne reverra peut-être jamais. Il faut le danser pour pouvoir comprendre cette sensation !
Junior Cervila : Le tango, qui est dansé dans le monde entier, est un langage universel, il ne nécessite pas de traduction. Je peux danser le tango avec une Française, une Chinoise, sans avoir besoin d’interprète… C’est la connexion de deux personnes.
Esteban Domenichini : Le tango a cette particularité de pouvoir ouvrir une forme de dialogue avec sa partenaire. On s’ouvre à une personne que l’on ne connaît pas, qui nous découvre. La danse représente ce que l’on est à ce moment donné. Et puis, il y a aussi la possibilité de conquérir, de séduire que permet le tango.
Parlez-nous de vos personnages.
Esteban Domenichini : Je joue Lorenzo, un docker du port. C’est un homme audacieux, séducteur, et qui, sans le vouloir, va découvrir l’amour en ayant un coup de foudre pour Gisèle, une Française qui débarque à Buenos Aires. Mais Gisèle est sous le charme de Gaudencio. Lorenzo pense néanmoins que Gisèle lui appartient et va se battre pour cela.
Leticia Fallacara : Gisèle est une petite Française qui va à Buenos Aires pour se marier avec Gaudencio, qu’on lui a promis. Elle va rencontrer Lorenzo mais doit respecter sa promesse de mariage. Elle va réaliser que Gaudencio est malhonnête et va tout faire pour se sortir de ses griffes.
Junior Cervila : Gaudencio est un mafieux qui a du pouvoir…
Leticia Fallacara : Il est méchant ! (Rires)
Junior Cervila : Il est très généreux avec ceux qui lui sont fidèles. Si sa promise lui est fidèle, tout va bien. Mais à partir du moment où il découvre qu’elle lui ment, il ne pense qu’à la vengeance.
Comment voyez-vous la forme de ce spectacle ? C’est un ballet ? Une comédie musicale ?
Junior Cervila : Ce qui change des spectacles typiques de tango, c’est qu’il y a une histoire et des personnages. Ici, on interprète un rôle du début à la fin, ce ne sont pas nos propres personnalités que l’on voit.
Leticia Fallacara : Il y a aussi une chanteuse et un orchestre qui ajoutent une certaine narration, puisque les chansons commentent l’action. Cela participe à la linéarité et fait de Tanguera une comédie musicale plus qu’un ballet.

Est-ce que c’est plus excitant de jouer ça ?
Junior Cervila : Personnellement, j’adore interpréter un personnage. J’adore le travail de comédien qui s’ajoute à la danse. C’est en voyant le film Tango (1997) de Carlos Saura (qui a été nommé aux Oscars) que j’ai réalisé que ça me plairait de jouer aussi.
Quel est votre moment favori du spectacle ?
Leticia Fallacara : Pour moi, c’est la scène où je me regarde dans le miroir. Personnellement, ça m’évoque toute cette carrière de comédienne que j’ai mise un peu de côté. C’est une scène très jolie et très intime.
Junior Cervila : J’aime la scène où Gaudencio montre pour la première fois son aspect violent et méchant, juste après après cette scène du miroir, quand il oblige Gisèle à se prostituer. J’aime aussi le combat entre Gaudencio et Lorenzo, c’est une scène très masculine, avec beaucoup de force, mais qui s’exprime dans la danse.
Esteban Domenichini : J’aime la fin de la première partie, dans le port où tous les dockers dansent ensemble. Il y a une force, une énergie, une joie. J’aime aussi le combat, il demande beaucoup de concentration car on danse avec des couteaux. Enfin, il y a notre trio, très saccadé, avec beaucoup de jeux de jambes, de tension.
Qu’est-ce qui est le plus difficile ?
Junior Cervila : Le trio justement, avec ses passes à six jambes. On n’est pas habitués à ça !
Leticia Fallacara : Ce qui est difficile, c’est aussi de toujours maintenir son personnage sur la durée, et ne pas tomber dans la monotonie. Il faut se réinventer chaque soir.
Esteban Domenichini : En effet, c’est un spectacle très fatigant au jour le jour. Quand on est en tournée, tout le monde pense qu’on est en vacances ! Mais on doit se reposer après chaque spectacle car c’est très éprouvant physiquement. Il faut donc savoir trouver son rythme afin de maintenir son énergie.
Vous avez joué dans le monde entier. Le public français est-il différent dans sa perception du tango ?
Esteban Domenichini : Ayant déjà joué au Châtelet en 2008, je suis très ému de revenir à Paris. Je ne sais pas ce qui s’est passé mais j’ai vécu un moment exceptionnel. Le premier soir, durant les saluts, on a reçu un tel accueil du public que je me suis mis à pleurer. Je n’ai jamais ressenti ça ailleurs et je me suis dit que le public était beaucoup plus réceptif.

Leticia Fallacara : J’ai dansé il y a dix ans à Chaillot mais dans un spectacle plus intimiste. J’ai hâte de découvrir le public du Châtelet.
Junior Cervila : J’ai joué le spectacle un peu partout dans le monde mais c’est ma première fois en France. Je crois que Paris est une ville très importante pour le tango. C’est grâce à Paris que le tango est glamour comme il l’est aujourd’hui. Autrement, il serait sans doute resté marginal comme il l’était à ses débuts. L’émergence du tango argentin dans les années 20 doit beaucoup à la haute société parisienne. De plus, le tango a connu une renaissance dans les années 80–90 grâce à Paris, avec notamment des spectacles comme Tango Argentino qui s’est joué au Châtelet en 1983. Paris représente la naissance et la renaissance du tango, c’est pourquoi cette ville nous est très chère.
[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=aR0D3kM9GrM[/youtube]
Plus d’infos sur Tanguera