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Thierry Harcourt — Retrouver l’esprit de Paris

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Thierry Harcourt ©DR
Thier­ry Har­court ©DR
Dans quel état êtes-vous ?
L’orchestre vient de nous rejoin­dre pour répéter, ce qui pose des prob­lèmes aux chanteurs, habitués aux arrange­ments pour piano. Je ne dors plus, puisque je pense à tous ces détails qu’il faut régler. Je suis très excité et fatigué mais j’ai l’én­ergie néces­saire pour que le jour de la pre­mière le pub­lic voit un spec­ta­cle totale­ment abouti, et pas un show en rodage. On a très envie de le montrer.

Quel est votre parcours ?
Parisien d’o­rig­ine, j’ai fait le cours Flo­rent pour devenir comé­di­en. Très vite, j’ai bifurqué pour tra­vailler à Europe 1, puis je fus admin­is­tra­teur du théâtre des Bouffes du Nord, régis­seur sur des films. En bref des choses en périphérie du méti­er de met­teur en scène, en faisant des petits rôles dans des films, au théâtre. Avec le recul je m’aperçois que je n’é­tais pas prêt pour être comé­di­en, trop jeune, inqui­et et timide. Je suis par­ti à Lon­dres pour chang­er d’air, sans par­ler anglais ni con­naître per­son­ne, pour une semaine. Cela fait 15 ans que j’y habite ! La pre­mière comédie musi­cale que j’ai vue à Lon­dres fut Fol­lies de Sond­heim dans une pro­duc­tion de Cameron Mack­in­tosch, une révéla­tion. Pour vivre j’ai fait pas mal de petits boulots, j’ai com­mencé à vouloir être de nou­veau comé­di­en. Un agent m’a fait tra­vailler. Une chose en amenant une autre, un ami m’a demandé de met­tre en scène sa pièce dans un tout petit théâtre. Non seule­ment j’ai aimé cela mais la pièce a rem­porté suc­cès pub­lic et cri­tique. J’ai eu d’autres propo­si­tions. Peu à peu je me suis davan­tage con­sacré à la mise en scène de théâtre en délais­sant mon activ­ité de comé­di­en. Etre met­teur en scène per­met de m’ex­primer plus complètement.

Quels ont été vos pre­miers rap­ports avec la comédie musicale ?
J’ai tou­jours aimé cette forme. Je pos­sède une vraie cul­ture ciné­matographique. Je ne loupais aucun des films de Min­nel­li ou de Gene Kel­ly au Mac Mahon. J’en ai beau­coup plus décou­vert plus tard mais le pli était pris ! Pour tout vous dire, je pas­sais presque toutes mes vacances avec mes par­ents au Club Méditer­ran­née. Là bas, on monte des spec­ta­cles sans arrêt. Je suis per­suadé que mon désir de faire des shows vient de là ! Enfant ces sou­venirs restent gravés. En revanche je n’ai jamais accroché avec l’opéra. A mon sens, l’outil, en l’oc­curence la voix, est priv­ilégié par rap­port à l’his­toire. J’adore en écouter mais je suis moins intéressé théâ­trale­ment. Toute­fois on m’a pro­posé de tra­vailler sur un opéra. Le défi me motive. Je sens que j’ai des choses à apporter.

L’air de Paris est-elle votre pre­mière mise en scène musicale ?
Non. Mon plus gros pro­jet musi­cal fut Mar­lene, un spec­ta­cle con­stam­ment réécrit qui a fait le tour du monde, basé sur de dernier con­cert de la star mythique, Mar­lene Diet­rich. Le spec­ta­cle était chan­té mais n’é­tait pas con­stru­it comme une comédie musi­cale. En revanche, d’avoir été comé­di­en dans des musi­cals m’a per­mis de com­pren­dre la «tech­nique » par l’ob­ser­va­tion. J’ai eu un petit rôle durant 14 mois au Roy­al Nation­al The­ater de Lon­dres dans A lit­tle night music de Stephen Sond­heim. Je ne suis pas allé une seule fois à recu­lons au théâtre. Voir tra­vailler Dame Judi Dench reste un sou­venir for­mi­da­ble. La com­pag­nie était très soudée. C’est là que j’ai ren­con­tré Sian Phillips qui a inter­prété Mar­lene. J’ai eu tout le loisir pour observ­er tra­vailler met­teur en scène et artistes. J’en ai prof­ité pour tir­er des leçons pour mon­ter une comédie musi­cale : com­ment utlis­er une chan­son, com­ment faire marcher un numéro ? Les con­di­tions de tra­vail sont idéales avec neuf semaines de répéti­tion, tout est très organ­isé. Organ­i­sa­tion qui me manque beau­coup à Paris… J’ai l’habi­tude de tra­vailler en petit comité, pour L’air de Paris c’est comme si je fai­sais un film ! Je dois faire partager ma vision des choses avec beau­coup plus de monde.

C’est extra­or­di­naire d’avoir Roland Romanel­li à la direc­tion musi­cale, c’est un génie. Il arrive avec tout son monde qu’il faut adapter au mien. Tout se passe très bien mais c’est une nou­velle façon de tra­vailler. Bruno Agati a «fait» Ali Baba, je trou­ve qu’il a sauvé ce spectacle.

Que pensez-vous de la comédie musi­cale made in France ?
Je suis très fan de comédie musi­cale et pense bien con­naître cette forme. J’ai un peu de mal à lier cette tra­di­tion du musi­cal avec ce que j’ai vu récem­ment en France… Je ne con­sid­ère pas ces spec­ta­cles comme des comédies musi­cales. Mon souci est, quel que soit le spec­ta­cle que je monte, de pou­voir racon­ter une his­toire avec un début, un milieu intéres­sant et une fin. L’air de Paris est un pro­jet dif­férent puisqu’on racon­te l’his­toire d’une femme qui tombe dans un monde à la Lewis Car­oll. A tra­vers son par­cours on ren­con­tre divers per­son­nages, présen­tés à l’aide de chan­sons que tout le monde con­naît. Les 45 chan­sons de Paris n’ont pas été écrites pour le spec­ta­cle, l’au­teur s’est servi de ces petits joy­aux en les inté­grant dans son réc­it. Aucune chan­son n’est une par­en­thèse mais elle fait pro­gress­er l’his­toire, soutenues par des arrange­ments musi­caux, tous nou­veaux, de Romanel­li, ain­si que par la choré­gra­phie. Comme si chaque chan­son appor­tait sa couleur à une palette extrême­ment riche. J’ai un énorme respect pour les gens qui font de la comédie musi­cale car ils sont générale­ment bien plus dis­ci­plinés que les autres. C’est un genre très com­plet et exigeant.

Pourquoi vous retrou­vez-vous à Paris pour ce spectacle ?
Pierre Cardin a vu mon spec­ta­cle sur Mar­lene à Lon­dres et a voulu que l’on vienne à Paris. En effet, il avait présen­té Mar­lène Diet­rich à Paris pour son dernier tour de chant, qui était juste­ment le sujet de notre spec­ta­cle. Cela réson­nait donc pour lui. J’ai décou­vert un être fasci­nant, j’ai beau­coup de respect pour lui. Il a une envie con­stante de faire des nou­velles choses, ce qui est remar­quable de nos jours.

Je suis revenu mon­ter Out­rage aux moeurs sur Paris au Théâtre 14. Ce fut un suc­cès pub­lic et cri­tique. Pierre Cardin est venu le voir, il est tombé fou amoureux du spec­ta­cle et m’a pro­posé de le repren­dre dans son espace. Nous sommes restés deux mois ici, ce fut un vrai bon­heur. C’est durant cette occa­sion que j’ai eu la pos­si­bil­ité de le con­naître mieux. Nous sommes depuis tou­jours resté en con­tact. J’é­tais à New York en juin où j’ai mon­té le one woman show de Sian Phillips. Il m’a appelé pour me pro­pos­er de mon­ter l’air de Paris. Tout s’est ensuite fait très vite, j’ai ren­con­tré Bruno Agati avec qui le courant est immé­di­ate­ment passé. Nous avons eu très peu de temps pour pré­par­er le show, tout est très con­cen­tré. J’avais des pro­jets pour Paris qui n’avaient rien à voir avec la comédie musi­cale. Aujour­d’hui je n’en monte pas une, mais deux ! Main­tenant que je me con­sid­ère plus chez moi à Lon­dres, je suis un peu déraciné…

Avec L’air de Paris, que voulez-vous apporter au public ?
D’abord, quelque chose de tout bête : ne rési­dant plus à Paris, j’ai une nos­tal­gie des chan­sons très français­es, très parisi­ennes. De les enten­dre réar­rangées au goût du jour avec la sen­si­bil­ité de Roland Romanel­li, c’est un tel bon­heur… Cha­cune pos­sède un petit scé­nario qui me per­met de tra­vailler avec chaque comé­di­en. Ces chan­sons con­stituent un monde impor­tant qu’il ne faut pas oubli­er et qui nous per­met à nous, pub­lic intel­li­gent, de par­tir dans notre monde imag­i­naire. Je trou­ve qu’on nous donne trop la bec­quée, sans nous faire con­fi­ance. A tra­vers des choses que l’on con­naît j’ai envie de faire pass­er de belles émo­tions qui s’adressent à cha­cun. 10 per­son­nes sur scène, 5 musi­ciens : c’est une entre­prise à hau­teur d’homme, acces­si­ble, loin des gross­es machines qui, per­son­nelle­ment, ne me font pas vibrer.

Et j’aimerais faire décou­vrir de nou­velles facettes de Patrick Dupond. Il m’a tou­jours fasciné: on ne peut pas danser comme lui sans être un comé­di­en for­mi­da­ble. Sa tech­nique de danse est par­faite mais il ajoute une âme à tout cela, et c’est ce qui le rend unique. Sa voix lui ressem­ble com­plète­ment, elle est très belle. Cela peut véri­ta­ble­ment être une révéla­tion : il amène un monde extra­or­di­naire au spec­ta­cle. Il est du niveau d’un Mon­tand. Une per­son­nal­ité très forte avec une qual­ité de voix for­mi­da­ble, un jeu d’ac­teur intel­li­gent et fin. En plus il bouge très bien. Lui dire : «ne me joue rien, soit toi-même et à tra­vers cela on va trou­ver le rôle», c’est fascinant.

Par­lez-nous de votre prochain spec­ta­cle musicale ?
Deux Belges ont adap­té Tris­tan et Iseult en comédie musi­cale. Cette his­toire d’amour très trag­ique, très extrême, me fascine. J’aime cet aspect qua­si opéra­tique. Ce pro­jet m’ef­frayait, mais les chan­sons, mag­nifiques, très mélodiques, déchi­rantes m’ont con­va­in­cu. J’aimerais, à l’in­star de Cocteau que j’aime beau­coup, faire de ce spec­ta­cle une oeu­vre hors du temps, une légende de notre temps racon­tée de manière mod­erne. Ren­dez-vous à l’e­space Cardin !