L’orchestre vient de nous rejoindre pour répéter, ce qui pose des problèmes aux chanteurs, habitués aux arrangements pour piano. Je ne dors plus, puisque je pense à tous ces détails qu’il faut régler. Je suis très excité et fatigué mais j’ai l’énergie nécessaire pour que le jour de la première le public voit un spectacle totalement abouti, et pas un show en rodage. On a très envie de le montrer.
Quel est votre parcours ?
Parisien d’origine, j’ai fait le cours Florent pour devenir comédien. Très vite, j’ai bifurqué pour travailler à Europe 1, puis je fus administrateur du théâtre des Bouffes du Nord, régisseur sur des films. En bref des choses en périphérie du métier de metteur en scène, en faisant des petits rôles dans des films, au théâtre. Avec le recul je m’aperçois que je n’étais pas prêt pour être comédien, trop jeune, inquiet et timide. Je suis parti à Londres pour changer d’air, sans parler anglais ni connaître personne, pour une semaine. Cela fait 15 ans que j’y habite ! La première comédie musicale que j’ai vue à Londres fut Follies de Sondheim dans une production de Cameron Mackintosch, une révélation. Pour vivre j’ai fait pas mal de petits boulots, j’ai commencé à vouloir être de nouveau comédien. Un agent m’a fait travailler. Une chose en amenant une autre, un ami m’a demandé de mettre en scène sa pièce dans un tout petit théâtre. Non seulement j’ai aimé cela mais la pièce a remporté succès public et critique. J’ai eu d’autres propositions. Peu à peu je me suis davantage consacré à la mise en scène de théâtre en délaissant mon activité de comédien. Etre metteur en scène permet de m’exprimer plus complètement.
Quels ont été vos premiers rapports avec la comédie musicale ?
J’ai toujours aimé cette forme. Je possède une vraie culture cinématographique. Je ne loupais aucun des films de Minnelli ou de Gene Kelly au Mac Mahon. J’en ai beaucoup plus découvert plus tard mais le pli était pris ! Pour tout vous dire, je passais presque toutes mes vacances avec mes parents au Club Méditerrannée. Là bas, on monte des spectacles sans arrêt. Je suis persuadé que mon désir de faire des shows vient de là ! Enfant ces souvenirs restent gravés. En revanche je n’ai jamais accroché avec l’opéra. A mon sens, l’outil, en l’occurence la voix, est privilégié par rapport à l’histoire. J’adore en écouter mais je suis moins intéressé théâtralement. Toutefois on m’a proposé de travailler sur un opéra. Le défi me motive. Je sens que j’ai des choses à apporter.
L’air de Paris est-elle votre première mise en scène musicale ?
Non. Mon plus gros projet musical fut Marlene, un spectacle constamment réécrit qui a fait le tour du monde, basé sur de dernier concert de la star mythique, Marlene Dietrich. Le spectacle était chanté mais n’était pas construit comme une comédie musicale. En revanche, d’avoir été comédien dans des musicals m’a permis de comprendre la «technique » par l’observation. J’ai eu un petit rôle durant 14 mois au Royal National Theater de Londres dans A little night music de Stephen Sondheim. Je ne suis pas allé une seule fois à reculons au théâtre. Voir travailler Dame Judi Dench reste un souvenir formidable. La compagnie était très soudée. C’est là que j’ai rencontré Sian Phillips qui a interprété Marlene. J’ai eu tout le loisir pour observer travailler metteur en scène et artistes. J’en ai profité pour tirer des leçons pour monter une comédie musicale : comment utliser une chanson, comment faire marcher un numéro ? Les conditions de travail sont idéales avec neuf semaines de répétition, tout est très organisé. Organisation qui me manque beaucoup à Paris… J’ai l’habitude de travailler en petit comité, pour L’air de Paris c’est comme si je faisais un film ! Je dois faire partager ma vision des choses avec beaucoup plus de monde.
C’est extraordinaire d’avoir Roland Romanelli à la direction musicale, c’est un génie. Il arrive avec tout son monde qu’il faut adapter au mien. Tout se passe très bien mais c’est une nouvelle façon de travailler. Bruno Agati a «fait» Ali Baba, je trouve qu’il a sauvé ce spectacle.
Que pensez-vous de la comédie musicale made in France ?
Je suis très fan de comédie musicale et pense bien connaître cette forme. J’ai un peu de mal à lier cette tradition du musical avec ce que j’ai vu récemment en France… Je ne considère pas ces spectacles comme des comédies musicales. Mon souci est, quel que soit le spectacle que je monte, de pouvoir raconter une histoire avec un début, un milieu intéressant et une fin. L’air de Paris est un projet différent puisqu’on raconte l’histoire d’une femme qui tombe dans un monde à la Lewis Caroll. A travers son parcours on rencontre divers personnages, présentés à l’aide de chansons que tout le monde connaît. Les 45 chansons de Paris n’ont pas été écrites pour le spectacle, l’auteur s’est servi de ces petits joyaux en les intégrant dans son récit. Aucune chanson n’est une parenthèse mais elle fait progresser l’histoire, soutenues par des arrangements musicaux, tous nouveaux, de Romanelli, ainsi que par la chorégraphie. Comme si chaque chanson apportait sa couleur à une palette extrêmement riche. J’ai un énorme respect pour les gens qui font de la comédie musicale car ils sont généralement bien plus disciplinés que les autres. C’est un genre très complet et exigeant.
Pourquoi vous retrouvez-vous à Paris pour ce spectacle ?
Pierre Cardin a vu mon spectacle sur Marlene à Londres et a voulu que l’on vienne à Paris. En effet, il avait présenté Marlène Dietrich à Paris pour son dernier tour de chant, qui était justement le sujet de notre spectacle. Cela résonnait donc pour lui. J’ai découvert un être fascinant, j’ai beaucoup de respect pour lui. Il a une envie constante de faire des nouvelles choses, ce qui est remarquable de nos jours.
Je suis revenu monter Outrage aux moeurs sur Paris au Théâtre 14. Ce fut un succès public et critique. Pierre Cardin est venu le voir, il est tombé fou amoureux du spectacle et m’a proposé de le reprendre dans son espace. Nous sommes restés deux mois ici, ce fut un vrai bonheur. C’est durant cette occasion que j’ai eu la possibilité de le connaître mieux. Nous sommes depuis toujours resté en contact. J’étais à New York en juin où j’ai monté le one woman show de Sian Phillips. Il m’a appelé pour me proposer de monter l’air de Paris. Tout s’est ensuite fait très vite, j’ai rencontré Bruno Agati avec qui le courant est immédiatement passé. Nous avons eu très peu de temps pour préparer le show, tout est très concentré. J’avais des projets pour Paris qui n’avaient rien à voir avec la comédie musicale. Aujourd’hui je n’en monte pas une, mais deux ! Maintenant que je me considère plus chez moi à Londres, je suis un peu déraciné…
Avec L’air de Paris, que voulez-vous apporter au public ?
D’abord, quelque chose de tout bête : ne résidant plus à Paris, j’ai une nostalgie des chansons très françaises, très parisiennes. De les entendre réarrangées au goût du jour avec la sensibilité de Roland Romanelli, c’est un tel bonheur… Chacune possède un petit scénario qui me permet de travailler avec chaque comédien. Ces chansons constituent un monde important qu’il ne faut pas oublier et qui nous permet à nous, public intelligent, de partir dans notre monde imaginaire. Je trouve qu’on nous donne trop la becquée, sans nous faire confiance. A travers des choses que l’on connaît j’ai envie de faire passer de belles émotions qui s’adressent à chacun. 10 personnes sur scène, 5 musiciens : c’est une entreprise à hauteur d’homme, accessible, loin des grosses machines qui, personnellement, ne me font pas vibrer.
Et j’aimerais faire découvrir de nouvelles facettes de Patrick Dupond. Il m’a toujours fasciné: on ne peut pas danser comme lui sans être un comédien formidable. Sa technique de danse est parfaite mais il ajoute une âme à tout cela, et c’est ce qui le rend unique. Sa voix lui ressemble complètement, elle est très belle. Cela peut véritablement être une révélation : il amène un monde extraordinaire au spectacle. Il est du niveau d’un Montand. Une personnalité très forte avec une qualité de voix formidable, un jeu d’acteur intelligent et fin. En plus il bouge très bien. Lui dire : «ne me joue rien, soit toi-même et à travers cela on va trouver le rôle», c’est fascinant.
Parlez-nous de votre prochain spectacle musicale ?
Deux Belges ont adapté Tristan et Iseult en comédie musicale. Cette histoire d’amour très tragique, très extrême, me fascine. J’aime cet aspect quasi opératique. Ce projet m’effrayait, mais les chansons, magnifiques, très mélodiques, déchirantes m’ont convaincu. J’aimerais, à l’instar de Cocteau que j’aime beaucoup, faire de ce spectacle une oeuvre hors du temps, une légende de notre temps racontée de manière moderne. Rendez-vous à l’espace Cardin !