The Producers, le film — La mélodie du Führer

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Affiche du film de 2005 ©DR
Affiche du film de 2005 ©DR
Du rire…

N’est-ce pas ridicule d’ap­plaudir un film, hormis à un fes­ti­val ou à une pre­mière, si ni les acteurs ni les réal­isa­teurs ne sont dans la salle ? C’est pour­tant ce qui s’est passé lors de cette banale séance de ciné : des éclats de rire sincères et des applaud­isse­ments spon­tanés, tout au long des 2 h 30 de pro­jec­tion. Évidem­ment, nous sommes aux États Unis, où le pub­lic est con­nu pour son ent­hou­si­asme osten­ta­toire, sou­vent irri­tant pour les Européens de pas­sage, et plus par­ti­c­ulière­ment à New York, cham­pi­onne du monde pour les stand­ing ovations.

Jusqu’au bout du générique de fin, les gens sont restés dans leur siège, écoutant atten­tive­ment la seule chan­son inédite du film par Nathan Lane et Matthew Brod­er­ick, suiv­ie d’une ver­sion slow de « Guten Tag Hop-Clop » par Will Fer­rell, col­li­sion hila­rante du gai folk­lore teu­ton et des tremo­los lan­goureux. Enfin, Mel Brooks appa­raît, déclare la fin de la séance et ordonne de quit­ter la salle. To leave or not to leave ? Par­tir ou pas ? Com­ment savoir si c’est bien fini ou si l’on risque de rater un ultime gag ?

Pour les nom­breux fans de The Pro­duc­ers, ce film est un bon­heur, un hom­mage à ce musi­cal classé au Pan­théon du box-office. Les moin­dres détails du spec­ta­cle sont repris (pour la plu­part déjà présents dans le film orig­i­nal d’ailleurs), Lane et Brod­er­ick exé­cu­tant stricte­ment leur rôle tel que défi­ni dans la pièce. C’est un peu comme si, pour 10 dol­lars, vous pre­niez une place au pre­mier rang du théâtre. Toutes les chan­sons sont inter­prétées dans leur inté­gral­ité, sauf « The King Of Broad­way » et « Where Did We Go Right? », ce qui est regret­table, mais le film dure déjà plus de deux heures. Pour appréci­er, il vous fau­dra donc aimer les atmo­sphères théâ­trales et, bien sûr, la comédie musicale.

… aux larmes !

C’est bien con­nu, on a les défauts de ses qual­ités. La cri­tique ciné­matographique se déchaîne con­tre la fidél­ité à la ver­sion de Broad­way, le manque de per­son­nal­ité de ce film qui, au fond, ressem­ble à un enreg­istrement de ?Au théâtre ce soir?.

Pour­tant, Susan Stro­man, réal­isatrice et choré­graphe de la pièce égale­ment en charge de cette ver­sion filmée, parvient quelque­fois à dépass­er les lim­ites qu’elle s’est elle-même fixées. « We Can Do It » nous bal­lade dans New York avant de finir dans la fontaine de Cen­tral Park, référence qua­si-oblig­a­toire à la ver­sion de 1968. Et « I Wan­na Be A Pro­duc­er » explose dans un univers imag­i­naire con­stru­it sur des enseignes lumineuses emboitées à l’in­fi­ni. Mais rapi­de­ment, le car­can scénique reprend le dessus. Même la ren­con­tre avec Roger DeBris et ses Vil­lage Peo­ple, qui aurait pu être haute en couleurs, nous rep­longe dans l’ap­parte­ment vu et revu, depuis les années 70, de Georges et Albin dans La Cage Aux Folles.

Incon­testable­ment, Susan Stro­man est une grande fig­ure dans monde du théâtre (avec cinq Tony Awards et cinq nom­i­na­tions), mais encore une fig­u­rante dans celui du ciné­ma. On est très loin, par exem­ple, de l’ingéniosité employée par Bob Mar­shall dans la mise en scène de son extra­or­di­naire ver­sion filmée de Chica­go (2002).

Enfin, The Pro­duc­ers pou­vait être inter­prété comme une évo­ca­tion nos­tal­gique de ce temps loin­tain où les pro­duc­teurs avaient encore une fonc­tion sociale, où leur per­son­nal­ité et leur culot per­me­t­taient la décou­verte de nou­velles formes de spec­ta­cle et de nou­veaux tal­ents. Entre les revivals et les remakes de films, les créa­tions orig­i­nales se font bien rares sur Broadway…

Mel Brooks pou­vait-il don­ner l’ex­em­ple plutôt que la leçon ?