
N’est-ce pas ridicule d’applaudir un film, hormis à un festival ou à une première, si ni les acteurs ni les réalisateurs ne sont dans la salle ? C’est pourtant ce qui s’est passé lors de cette banale séance de ciné : des éclats de rire sincères et des applaudissements spontanés, tout au long des 2 h 30 de projection. Évidemment, nous sommes aux États Unis, où le public est connu pour son enthousiasme ostentatoire, souvent irritant pour les Européens de passage, et plus particulièrement à New York, championne du monde pour les standing ovations.
Jusqu’au bout du générique de fin, les gens sont restés dans leur siège, écoutant attentivement la seule chanson inédite du film par Nathan Lane et Matthew Broderick, suivie d’une version slow de « Guten Tag Hop-Clop » par Will Ferrell, collision hilarante du gai folklore teuton et des tremolos langoureux. Enfin, Mel Brooks apparaît, déclare la fin de la séance et ordonne de quitter la salle. To leave or not to leave ? Partir ou pas ? Comment savoir si c’est bien fini ou si l’on risque de rater un ultime gag ?
Pour les nombreux fans de The Producers, ce film est un bonheur, un hommage à ce musical classé au Panthéon du box-office. Les moindres détails du spectacle sont repris (pour la plupart déjà présents dans le film original d’ailleurs), Lane et Broderick exécutant strictement leur rôle tel que défini dans la pièce. C’est un peu comme si, pour 10 dollars, vous preniez une place au premier rang du théâtre. Toutes les chansons sont interprétées dans leur intégralité, sauf « The King Of Broadway » et « Where Did We Go Right? », ce qui est regrettable, mais le film dure déjà plus de deux heures. Pour apprécier, il vous faudra donc aimer les atmosphères théâtrales et, bien sûr, la comédie musicale.
… aux larmes !
C’est bien connu, on a les défauts de ses qualités. La critique cinématographique se déchaîne contre la fidélité à la version de Broadway, le manque de personnalité de ce film qui, au fond, ressemble à un enregistrement de ?Au théâtre ce soir?.
Pourtant, Susan Stroman, réalisatrice et chorégraphe de la pièce également en charge de cette version filmée, parvient quelquefois à dépasser les limites qu’elle s’est elle-même fixées. « We Can Do It » nous ballade dans New York avant de finir dans la fontaine de Central Park, référence quasi-obligatoire à la version de 1968. Et « I Wanna Be A Producer » explose dans un univers imaginaire construit sur des enseignes lumineuses emboitées à l’infini. Mais rapidement, le carcan scénique reprend le dessus. Même la rencontre avec Roger DeBris et ses Village People, qui aurait pu être haute en couleurs, nous replonge dans l’appartement vu et revu, depuis les années 70, de Georges et Albin dans La Cage Aux Folles.
Incontestablement, Susan Stroman est une grande figure dans monde du théâtre (avec cinq Tony Awards et cinq nominations), mais encore une figurante dans celui du cinéma. On est très loin, par exemple, de l’ingéniosité employée par Bob Marshall dans la mise en scène de son extraordinaire version filmée de Chicago (2002).
Enfin, The Producers pouvait être interprété comme une évocation nostalgique de ce temps lointain où les producteurs avaient encore une fonction sociale, où leur personnalité et leur culot permettaient la découverte de nouvelles formes de spectacle et de nouveaux talents. Entre les revivals et les remakes de films, les créations originales se font bien rares sur Broadway…
Mel Brooks pouvait-il donner l’exemple plutôt que la leçon ?