Beaucoup de fans les attendaient, et au vu du marketing absolument colossal déployé pour l’occasion, il était difficile de les rater: ça y est, les mormons sont à Londres.
Envahissant le Prince of Wales Theatre à côté de Leicester Square (l’ancienne maison de Mamma Mia, délocalisé au Novello quelques rues plus loin), cette troupe principalement anglaise a une pêche d’enfer.
Petite piqure de rappel, le pitch : deux mormons, Elder Price (Gavin Creel) et Elder Cunningham (Jared Gertner) sont sur le point de quitter Salt Lake City afin de sillonner le monde pour prêcher la bonne parole. Alors que leurs camarades sont assignés à des destinations somme toute plutôt agréables, les voila catapultés… en Ouganda.
Le chef du village est un dictateur armé jusqu’au dents, la population lutte contre la faim, la pauvreté, et la maladie, et nos deux héros se retrouvent en total décalage avec leur mission d’évangélisme.
Mais évidemment, rien ne se passe comme prévu…
Les billets l’indiquent, The Book of Mormon n’est pas recommandé pour le jeune public. Clairement, nous avons affaire à un spectacle adulte, parfois provoc, et très irrévérencieux. Assez logique quand l’on sait que Matt Stone et Trey Parker, les créateurs de South Park, sont aux commandes. Même s’il s’agit de leur première comédie musicale, il faut se souvenir que les chansons ont toujours eu une place assez importante dans leur travail, et notamment dans le film South Park qui contenait déjà plusieurs numéros musicaux ! Cependant, ils ont choisi de s’associer à un nom déjà connu de Broadway, Robert Lopez, grâce au succès phénoménal d’Avenue Q (on s’en souvient, Tony du meilleur spectacle face à Wicked en 2004).
Donc nous avons un dessin animé connu pour son côté provoc, un musical mettant en scène des marionnettes parfois trash, pour créer un nouveau spectacle sur la religion ? Evidemment, nous sommes loin (vraiment très loin) d’un Matilda, Newsies ou Once. Mais ce n’est pas une mauvaise chose.
Religion, racisme, maladie, sexe, absolument tout y passe. Les sujets les plus sensibles sont abordés avec ce côté « Broadway » second degré (de grands tableaux chantés et dansés pour dire parfois les pire atrocités), comme déjà Avenue Q pouvait le faire en chantant que « tout le monde est un petit peu raciste » avec un grand sourire et une mélodie entrainante. Mais dans The Book of Mormon, le trio va bien plus loin et si l’on rit franchement devant certaines scènes, il est clair que tout le monde n’appréciera pas cet humour. On pense notamment au passage du deuxième acte où Hitler (parmi d’autres meurtriers ou personnages tristement célèbres) est représenté sur scène, la fameuse chanson « Hasa Diga Eebowai » (si vous voulez garder la surprise, ne cherchez pas ce que cela veut dire !), et les danses très… évocatrices des villageois sur un des tableaux.
La provoc pour la provoc, c’est le fonds de commerce de Parker et Stone, donc au final assez prévisible. Mais là ou on ne les attendait pas forcément, c’est sur la parodie de Broadway ! Car si le fan de South Park ne connaissant pas forcément grand chose à la comédie musicale appréciera probablement The Book of Mormon, l’habitué de Broadway y trouvera également son compte vu le nombre considérable de mini références à la comédie musicale qui sont faites ! La Mélodie du Bonheur, Le Violon sur le Toit, évidemment Le Roi Lion, les auteurs ont trouvé le bon équilibre en les mentionnant toujours de façon subtile, mais assez claire pour que cela soit saisi par une majorité de spectateurs. En particulier, ils jouent très souvent sur la mélodie, en reprenant ça et là des phrases musicales connues aux moments opportuns. Il est rare de faire rire uniquement à l’entente de quelques notes de violon… et pourtant, cela est bel et bien le cas ici !
Gavin Creel et Jared Gertner n’en sont pas a leur coup d’essai; les deux américains ont joué leurs rôles respectifs déjà en tournée au Etats-Unis avant de venir à Londres. Alexia Kadhime (Nabulungi) Stephen Ashfield (Elder McKinley), ou Giles Terera (Mafala Hatimbi) sont des habitués du West End qui ont déjà fait leurs preuves. En résumé, le cast est irréprochable. Il y a une vraie cohésion de troupe et clairement la volonté de faire partie d’un spectacle pas comme les autres.
Est-ce que les Anglais vont apprécier ce concept très loin des gros blockbusters du West End ? On se souvient des flops de Spring Awakening, Rent, ou même Hair outre-Manche. La première officielle a eu lieu il y a quelques jours, et les critiques sont partagés : trop choquant (ou parfois pas assez selon certains !), livret un peu faible, humour agressif… L’équipe marketing ayant présenté le show depuis des mois comme étant une petite révolution, forcément il y a une certaine déception de voir tant de tapage pour « ça ». Mais le public jeune et recherchant quelque chose d’un peu subversif y trouvera probablement son compte. Au vu des ventes, cela semble bien parti pour les Mormons. Les réservations sont déjà ouvertes jusqu’en Janvier 2014.
Plus d’infos sur le site de The Book of Mormon — London