Les auteurs compositeurs de ce petit bijou d’humour décalé, décapant et complètement politiquement et religieusement incorrect sont des spécialistes du genre : Matt Stone et Trey Parker, les créateurs de la série animée South Park, et Robert Lopez, co-auteur et compositeur de Avenue Q, autre musical déjanté à succès. Matt Stone et Trey Parker voulaient écrire un musical pour Broadway depuis longtemps. C’est un genre qui les a toujours attirés. En 1993, alors qu’ils étaient encore étudiants, ils avaient commis ensemble un film musical qui laissait déjà présager de leur humour : Cannibal ! The musical… Leur série South Park est également très « musical friendly » . Pour l’anecdote, un épisode était déjà consacré à une évocation musicale et loufoque de Joseph Smith et de ses apparitions divines qui l’ont conduit à la traduction du Livre de Mormon et à la création de la religion mormone, l’Eglise de Jésus Christ des saints des derniers jours. Leur rencontre avec Robert Lopez a été déterminante. Ils ont travaillé ensemble pendant sept ans sur The Book of Mormon dès que la série South Park leur laissait un peu de temps. Robert Lopez a apporté son expérience de Broadway, sa connaissance du process de fabrication d’un musical comme par exemple la nécessité d’un workshop pour tester et améliorer le show, étape qui paraissait superflue pour Parker et Stone.

The Book of Mormon raconte l’histoire de deux jeunes missionnaires mormons, dont l’un rêve d’une mission à Orlando et l’autre pour qui l’Afrique se résume au Roi Lion, envoyés en Ouganda pour convertir la population d’un petit village. Mais les habitants n’ont rien à faire de leur discours. Ravagés par le SIDA, la famine et la guerre, ils sont fatalistes, désabusés et ne croient plus en rien au point de chanter un entraînant « Hasa Diga Eebowai » (Fuck you God !), et ce n’est que le début… Ce décalage permanent entre la dureté et le côté trash des thèmes abordés, les musiques insouciantes et joyeuses et les chorégraphies débridées crée l’hilarité. Les auteurs ne se sont imposés aucune limite, ni aucun tabou, pour notre plus grand plaisir. A chaque scène, ils osent aller toujours plus loin ! Qui aurait pensé qu’un musical puisse faire cohabiter des mormons qui font des claquettes et dont certains refoulent leur homosexualité, des grenouilles préférables aux bébés pour guérir du SIDA (!), Dark Vador, les Ewoks et le Jedi, et bien sûr Dieu et Jésus qui font aussi leur apparition !

La partition musicale est un autre atout majeur du spectacle : des mélodies accrocheuses qui restent longtemps en tête, des styles musicaux variés qui sont autant de clins d’œil, entre hommage et pastiche, à des succès de Broadway. Il en est de même des chorégraphies jubilatoires de Casey Nicholaw qui co-signe aussi avec Trey Parker une excellente mise en scène pleine d‘inventivité. Les décors et effets de lumière très réussis mêlant volontairement kitsch et réalisme sont dignes des plus grands shows de Broadway. Quant aux interprètes, ils sont tous parfaits dans leur personnage et contribuent grandement au succès et la popularité de The Book of Mormon. On citera principalement Andrew Rannells et Josh Gad, les deux « héros » missionnaires et Nikki M. James, la touchante et naïve jeune africaine qui rêve de partir à « Sal Tlay Ka Siti » (Salt Lake City, La ville des mormons).
Oui vraiment The Book of Mormon est un enchantement du début à la fin. Les moments drôlement trash se succèdent dans un crescendo qui ne laisse aucun répit aux spectateurs qui, plus ou moins faussement choqués, poussent des « oooh !» suivis aussitôt d’éclats de rire, voire de fous rires difficilement contrôlables, c’est du vécu !

Ci-dessous Andrew Rannells interprète « I Believe » lors des Tony Awards 2011.
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