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Telly Leung, un rêve américain

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Telly Leung (c) Leslie Bohm
Tel­ly Leung © Leslie Bohm

Tel­ly Leung, com­ment avez-vous débuté votre par­cours artistique ?
La musique et le chant ont tou­jours été des hob­bies, mais c’est seule­ment à par­tir du lycée que je me suis dit que je pour­rais en faire un méti­er. J’ai donc fait la moitié de mes études uni­ver­si­taires avec un cur­sus « nor­mal » (tel que l’en­vis­ageaient mes par­ents) et l’autre moitié était con­sacrée à des for­ma­tions en théâtre. J’ai obtenu une bourse à l’U­ni­ver­sité de Carnegie Mel­lon et mes par­ents, qui ne pou­vaient pas se per­me­t­tre de me pay­er ces études, m’ont encour­agé à le faire.

Ils souhaitaient vous voir suiv­re une voie plus tra­di­tion­nelle au départ ?
Mes par­ents ont immi­gré de Hong Kong. Ils sont arrivés à New York avec trois fois rien et ont squat­té les canapés de leurs amis à Chi­na­town. Ils ont tra­vail­lé dur et économisé chaque sou pour leur enfant. Ils rêvaient que j’aille à Har­vard et devi­enne médecin ou avo­cat. Cela ne s’est pas pro­duit… Au début, c’é­tait dif­fi­cile pour eux de com­pren­dre mon choix. Le rêve améri­cain, pour eux, c’est plutôt un rêve « financier » et ils ne com­pre­naient pas que le rêve améri­cain, c’est aus­si de pou­voir choisir ce que l’on veut être.

Aviez-vous des mod­èles en ter­mes d’ac­teurs de Broadway ?
Je suis un grand fan de Bet­ty Buck­ley [NDLR : Cats, Car­rie, Sun­set Boule­vard…]. Je pense que c’est une artiste excep­tion­nelle, sa voix est incroy­able et vous transperce comme un couteau. En gran­dis­sant à New York, j’ai eu la chance de pou­voir voir des spec­ta­cles en prof­i­tant des tar­ifs étu­di­ants ou du TKTS [NDLR : kiosque ven­dant des places de théâtre à prix réduits] et de voir ces artistes sur scène, et les voir rede­venir « nor­maux » dès qu’ils quit­tent le théâtre. Pour moi, ce sont comme des super-héros avec des pou­voirs quand ils jouent, mais qui se fondent ensuite dans la foule dès qu’ils ont quit­té le théâtre. J’ad­mire ces gens-là, aus­si bien les stars que les « per­form­ers » de l’ensemble.

Et vos spec­ta­cles favoris ?
Rent ! J’é­tais au lycée quand le spec­ta­cle a été créé. Avec leur sys­tème de bil­lets à 20 $, je crois que le pre­mier été après leur vic­toire aux Tony Awards, j’ai dû voir le spec­ta­cle vingt fois. J’ai dor­mi dans la rue pour avoir mes bil­lets, à prox­im­ité des SDF, à l’époque où Times Square n’é­tait pas encore sûr comme aujourd’hui.
Pour moi, ce spec­ta­cle représen­tait New York, avec sa diver­sité, aus­si bien en ter­mes d’o­rig­ines, de couleurs de peau ou d’ori­en­ta­tion sex­uelle et je me dis­ais : il y a peut-être quelque-chose pour moi dans ce spec­ta­cle, j’ai peut-être une place à Broad­way. C’é­tait en 1996 et dix ans plus tard, en 2006, je me retrou­ve dans Rent, et c’est comme si la boucle se bouclait.

Pou­vez-vous nous par­ler de cette expérience ?
J’ai joué dans Rent durant ses deux dernières années à Broad­way. Quand j’al­lais voir le spec­ta­cle à seize ans, j’é­tais tou­jours assis au pre­mier rang, car c’est là que sont situées les places à 20 $. Je me sou­viens du pre­mier soir où j’ai chan­té « Sea­sons of Love » placé sur cette ligne en avant-scène, et je regar­dais le pre­mier rang où j’é­tais assis dix ans plus tôt. Et je voy­ais un jeune spec­ta­teur et je me demandais s’il pen­sait à la même chose que moi à l’époque. Un autre moment fort, c’est que ma posi­tion dans la ligne de « Sea­sons of Love » était pile en face du siège du père de Jonathan Lar­son [NDLR : auteur et com­pos­i­teur de Rent dis­paru en 1996]. Et je me sou­viens avoir chan­té cette chan­son en retenant mes larmes. Je voy­ais M. Lar­son regarder le spec­ta­cle. Son fils est tou­jours vivant à tra­vers sa musique, pour toujours.

Vous avez joué le spec­ta­cle à Broad­way mais aus­si en tournée et au Hol­ly­wood Bowl.
Oui, et quand j’ai com­mencé à Broad­way, je fai­sais par­tie de l’ensem­ble et j’é­tais dou­blure Angel. Quand Antho­ny Rapp et Adam Pas­cal sont retournés jouer le spec­ta­cle, il y a eu une grande tournée organ­isée à tra­vers le monde et j’ai eu la chance d’en faire par­tie. Ensuite, Neil Patrick Har­ris (qui a créé le rôle de Mark à Los Ange­les) l’a mis en scène pour le Hol­ly­wood Bowl. Il n’avait que dix jours pour le mon­ter. Il a décidé de mélanger des per­son­nal­ités qui n’avaient jamais joué le spec­ta­cle avec des anciens de Rent et m’a pro­posé le rôle d’Angel.

Pou­vez-vous nous par­ler d’Alle­giance, le musi­cal dans lequel vous êtes impliqué ?
C’est un spec­ta­cle sur lequel je tra­vaille depuis plus de trois ans. On l’a créé à San Diego en 2012. Lea Salon­ga joue ma grande soeur dans le spec­ta­cle, et c’est un peu ma grande sœur dans la vie. On n’a pas besoin de jouer ! Mon pre­mier spec­ta­cle a Broad­way était Flower Drum Song et Lea m’a pris sous son aile. L’his­toire d’Alle­giance est très poignante, et est libre­ment inspirée de la vie de George Takei [ndlr : comé­di­en notam­ment con­nu pour la série Star Trek]. On con­naît peu l’his­toire des Japon­ais Améri­cains qui ont été internés dans des camps après l’at­taque de Pearl Har­bour. Ces gens étaient empris­on­nés sous pré­texte qu’ils pou­vaient être des espi­ons japon­ais et des men­aces pour le pays.
Nous avons eu une belle pre­mière à San Diego. Là, nous espérons jouer à Broad­way dans un futur proche, en fonc­tion de la disponi­bil­ité d’un théâtre et de cha­cun. Un musi­cal à Broad­way prend du temps mais nous sommes déterminés !

A Broad­way, vous avez joué des rôles asi­a­tiques (Flower Drum Song, Pacif­ic Over­tures...) mais aus­si des rôles qui n’é­taient pas spé­ci­fique­ment des­tinés à des asi­a­tiques (God­spell, Wicked…). Pensez-vous que les men­tal­ités ont évolué à ce sujet ?
Oui, j’ai eu de la chance de pou­voir jouer des rôles dans les deux reg­istres. Est-ce que j’aimerais qu’il y ait plus d’op­por­tu­nités de ce type ? Absol­u­ment. Un exem­ple par­fait de « col­or-blind cast­ing » [NDLR : une dis­tri­b­u­tion choisie sans tenir compte des orig­ines des comé­di­ens], c’est la dernière pro­duc­tion de 110 In The Shade. Audra McDon­ald [NDLR : actrice afro-améri­caine] jouait Lizzy et son père était joué par un acteur blanc. Et pour­tant, il y avait une telle rela­tion entre ces deux acteurs qu’en tant que spec­ta­teur, j’ou­bli­ais qu’Au­dra n’est pas blanche et j’y croy­ais com­plète­ment parce qu’ils sont d’ex­cel­lents comé­di­ens : on voit un père et une fille, et on com­prend. Le théâtre nous fait oubli­er les couleurs de peau.

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