Londres — Sweeney Todd au Harrington’s Pie & Mash Shop (Critique)

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sweeney-todd-london-harrigtonLivret : Hugh Wheeler
Musique & Lyrics : Stephen Sondheim
Mise en scène : Rachel Edwards

Pour cer­tains, Sweeney Todd est l’œuvre la plus géniale du plus génial des auteurs de comédies musi­cales, autant dire : un chef d’œuvre. Ces dernières années, on a pu le voir à Broad­way dans une mise en scène abstraite met­tant à con­tri­bu­tion des acteurs-musi­ciens, au ciné­ma sous la direc­tion de Tim Bur­ton avec un John­ny Depp plus car­toon que croon­er, et au Châtelet parisien en anglais. En 2014, le Toot­ing Arts Club de Lon­dres a relevé le défi de le pro­duire sous une forme intimiste et immer­sive avec huit comé­di­ens (les sept pro­tag­o­nistes plus Pirelli et Lucy joués par la même actrice), trois musi­ciens et quelques spec­ta­teurs instal­lés dans un petit pub ser­vant unique­ment des tour­tes, un des lieux emblé­ma­tiques de l’œuvre. Le suc­cès est tel qu’un cer­tain Stephen Sond­heim de New York s’invite un soir et se régale fort du spec­ta­cle (sans se pronon­cer sur les tour­tes). Alors que la pro­duc­tion cherche un lieu pour des pro­lon­ga­tions, l’auteur en par­le à son ami Mack­in­tosh qui fait renaître un « pie shop » sur mesure dans un som­bre boui-boui coincé entre le Giel­gud The­atre et le Queen’s The­atre (Les Mis­érables) en plein West End !

Le résul­tat est un pur bon­heur. L’atmosphère est brumeuse et les lanternes bal­an­cent aux bras des acteurs qui s’amusent volon­tiers à effray­er le pub­lic, 69 spec­ta­teurs attablés et trans­portés dans le Lon­dres vic­to­rien. La mise en scène utilise tout l’espace disponible de façon ingénieuse : les acteurs font leur choré­gra­phies sur les tables, jouent des per­cus­sions avec les cou­verts et vien­nent même frot­ter les crânes dégar­nis à l’élixir mag­ique de Pirelli. La prox­im­ité avec les acteurs se trans­forme en belle com­plic­ité au fil du temps. Les voix sont fortes et les vis­ages, tout près, chargés d’une émo­tion for­cé­ment partagée. L’atmosphère de l’œuvre se prête par­ti­c­ulière­ment bien à l’exercice : elle alterne les sen­ti­ments les plus extrêmes, nobles ou vils, et le sec­ond degré dans une trame nar­ra­tive haletante.

Cette pro­duc­tion de Sweeney Todd dans le Harrington’s Pie & Mash Shop est donc une expéri­ence théâ­trale unique – par­faite­ment à sa place au cœur de Lon­dres et du quarti­er des théâtres – dont on peut espér­er qu’elle devi­enne un spec­ta­cle « land­mark » du West End comme Sir Cameron Mack­in­tosh en a la recette.