Paroles et musique Stephen Sondheim
Livret Hugh Wheeler, d’après la pièce éponyme de Christopher Bond
Création : Uris Theatre, Broadway, 1 mars 1979
Production :
La Clef des Chants Région Nord-Pas de Calais
Coproduction
Château d’Hardelot, Conseil général du Pas-de-Calais
Mise en scène Olivier Bénézech Ensemble Contraste Direction musicale Arnaud Thorette Johan Farjot Scénographie Valérie Yung Costumes Frédéric Olivier
avec Jérôme Pradon Sweeney Todd Flanan Obé Anthony Hope Alyssa Landry Mrs Lovett Sarah Manesse Johanna Jacques Verzier Le Juge Turpin Julien Salvia Tobias Scott Emerson Pirelli / Fogg Sinan Bertrand Un huissier Catherine Arondel La mendiante
Adapté au cinéma par Tim Burton en 2007 avec Johnny Depp dans le rôle du barbier sanguinaire, Sweeney Todd est l’œuvre la plus populaire du maître de Broadway, Stephen Sondheim à qui l’on doit notamment les paroles de West Side Story.
L’action se déroule au 19ième siècle. Après de longues années passées au bagne, le barbier Sweeney Todd est de retour à Londres, bien décidé à en découdre avec le juge Turpin qui l’a fait emprisonner pour lui ravir femme et fille. Affutant ses précieux rasoirs, il attend l’heure de l’ultime vengeance, égorgeant à l’occasion les malheureux clients qui franchiront le pas de son échoppe pour finir transformés en délicieuses tourtes à la viande confectionnées par sa voisine, Mrs Lovett.
L’œuvre musicale, qui se situe quelque part entre thriller musical maléfique et opéra satirique, est surtout un conte drôle où le macabre côtoie l’absurde. C’est aussi une histoire sociale mêlée d’une histoire d’amour, celle d’un homme victime des puissants qui se transforme en une machine à tuer pour se venger de l’injustice qui le frappe.
Spécialiste éclairé de la comédie musicale, fidèle compagnon de la Clef des Chants (The cradle will rock, Les mamelles de Tirésias, Le médium, Le tour d’écrou), Olivier Bénézech signe la mise en scène de ce chef‑d’œuvre de Broadway. À ces côtés, l’Ensemble Contraste, investi dans le rapprochement de la musique savante et la musique populaire, interprète la partition musicale dans une version de chambre.
Oublions le temps d’un été les salles parisiennes pour s’aventurer en dehors des lieux habituels et se rappeler qu’il n’y a pas qu’à Paris que l’on peut voir du musical… C’est dans le Pas de Calais, au Théâtre Éphémère du Château d’Hardelot que nous a été donnée l’occasion de voir un Sweeney Todd (le célèbre musical de Sondheim qu’on ne présente plus) en anglais, interprété par des artistes français (ou Américains vivant en France) dans un cadre insolite. Mis en scène par Olivier Bénézech (Un Violon sur le Toit, Grease, Follies), ce Sweeney est proposé dans une version intimiste (neuf interprètes, huit musiciens), sous un chapiteau de 300 places, créant ainsi un intéressant rapport de proximité entre la troupe et le public. Cependant, le concept le plus fort de cette production est d’avoir transposé l’action à une époque contemporaine, sans pour autant changer un seul mot du livret. Ce qui pouvait sembler être un pari risqué se révèle fort payant. Dès l’ouverture, on est happé par cette esthétique (scénographie de Christophe Guillaumin et Olivier Bénézech, costumes de Frédéric Olivier) aux accents seventies / early eighties : formica orange, losanges turquoise menthe, pulls angora, costumes cintrés et pornstaches… Sous des masques étranges (qu’ils retirent lorsqu’ils interprètent un personnage), les membres de la troupe forment un chœur inquiétant invitant le public à assister à l’histoire de Sweeney Todd, le diabolique barbier de Fleet Street.
Todd est incarné ici par Jérôme Pradon, familier de l’univers de Sondheim (Assassins, Pacific Overtures pour lequel il obtient à Londres une nomination aux Laurence Olivier Awards, Follies). Il investit son personnage avec une énergie habitée où l’obsession de la revanche est palpable. Quant à sa comparse, Alyssa Landry, elle compose une Mrs Lovett fascinante, à la fois angoissante, attachante, féroce et tendre. Elle est définitivement prête pour l’autre grand rôle sacré du répertoire : Mama Rose dans Gypsy. Le reste de la troupe est tout aussi talentueux, que ce soit dans l’incarnation de leur rôle ou lorsqu’ils se fondent dans l’angoissant chœur. La chorégraphie minimaliste, mécanique et précise de Johan Nus participe à ce climat efficacement anxiogène.
Avec cette production, Bénézech ramène l’histoire à son essence (Sweeney Todd n’est pas une fresque, mais avant tout l’histoire d’un homme assoiffé de revanche) et prouve — si besoin était — qu’on peut faire des grands classiques sous des « petits » formats. On souhaite une longue vie à cette production qui n’a joué encore que quatre fois ; elle mérite de toucher un plus large public.