Sunday in the Park with George
Musique et paroles : Stephen Sondheim
Livret : James Lapine
Direction musicale : David Charles Abell
Mise en scène : Lee Blakeley
Décors : William Dudley
Chorégraphie : Lorena Randi
Costumes : Adrian Linford
Orchestre Philharmonique de Radio France — Chœur du Châtelet
Orchestrations : Michael Starobin
Georges / George : Julian Ovenden
Dot / Marie : Sophie-Louise Dann
Old Lady / Elaine : Rebecca de Pont Davies
Nurse / Harriet : Jessica Walker
Jules / Greenberg : Nickolas Grace
Soldier / Redmond : David Curry
Celeste 1 / Betty : Rebecca Bottone
Celeste 2 / Billy : Francesca Jackson
Yvonne / Blair : Beverley Klein
Un musical d’inspiration française
Après A Little Night Music en 2010, puis Sweeney Todd en 2011, le Châtelet présente un autre chef‑d’œuvre de Stephen Sondheim. Le tableau pointilliste de Georges Seurat, Un dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte, peint entre 1884 et 1886, est le point de départ de cette réflexion passionnée sur le travail de l’artiste. Sondheim et son librettiste ont imaginé le travail harassant de Seurat, peignant cet immense tableau avec cette technique étonnante, au point d’en négliger Dot (« Point »), sa maîtresse qui attend un enfant. Pendant moderne du premier acte, la seconde partie, située en 1984 à New York, montre la vie difficile de l’arrière-petit-fils de Seurat, artiste plasticien. Couronnée par le Pulitzer Prize for Drama en 1985, l’œuvre est puissante et poétique. Le grand raffinement des chansons, comme Putting It Together ou Sunday, a largement contribué à la réputation d’un ouvrage très émouvant.
Spectacle présenté en version originale surtitrée
Mise en scène originale à Broadway de James Lapine
Originellement produit à Broadway par the Shubert Organization et Emanuel Azenberg, En accord avec Playwrights Horizon, Inc., New York City, créateur de la production originale de Sunday in the Park with George en 1983
En accord avec MTI – New York et Drama – Paris
Notre avis :
Après A Little Night Music (2010) et Sweeney Todd (2011), le Théâtre du Châtelet nous livre cette saison sa troisième production d’une œuvre de Stephen Sondheim, Sunday in the Park with George, écrit en collaboration avec James Lapine qui signa également la mise en scène originale.
Ni la plus accessible des œuvres de Stephen Sondheim dans son sujet, ni la plus facile dans sa musique, Sunday in the Park with George est pourtant l’une des plus fascinantes si on se donne la peine de bien vouloir l’apprivoiser. Comme le tableau de Seurat aux multiples couleurs dont il est inspiré, il faut sans doute le voir (et l’écouter) plusieurs fois avant de commencer à en percevoir la subtile richesse.
A travers l’exemple de Georges Seurat, puis de son (supposé) arrière petit-fils, Sunday in the Park nous plonge au cœur du processus de création artistique avec son lot de joies, de doutes, de douleurs, de compromis et de sacrifices. De la fin du 19e siècle au milieu des années 80, de l’élaboration de la célèbre toile Un dimanche après-midi à l’Ile de la Grande Jatte à l’inauguration d’une œuvre d’art contemporain, les deux George(s) sont obsédés — chacun à leur manière — par leur travail. L’un explore une nouvelle façon de voir la peinture tandis que l’autre cherche à renouveler sa propre vision. Chemin faisant, le parcours de ces deux artistes nous interroge sur l’empreinte que l’homme et/ou l’artiste laisse de son passage sur terre.
Dans une mise en scène délicate de Lee Blakeley, avec des décors de William Dudley et des lumières subtiles d’Oliver Fenwick, l’œuvre de Lapine et Sondheim se déploie par petites touches : le pointillisme de Seurat est autant dans la musique que dans le livret. Et pour servir cette histoire, la distribution est impeccable : Julian Ovenden est magistral dans le rôle des deux George(s), réalisant de véritables prouesses vocales, sans pour autant que les sentiments et l’émotion du personnage ne s’effacent derrière la technique. Quant à Sophie-Louise Dann (Dot / Marie), elle allie tendresse et ironie, force de caractère et vulnérabilité. Les deux interprètes parviennent à poser leur propre style sur des rôles pourtant fortement marqués par leurs créateurs (Mandy Patinkin et Bernadette Peters).
Il est souvent admis que le deuxième acte de Sunday est moins réussi que le premier. On reconnaîtra que les enjeux et les interactions des personnages y sont moins complexes, et que le contexte historique (les années 80) est sans doute moins évocateur que le Paris de la fin du 19e siècle. Pourtant, il est impossible de ne pas être ému par cet acte qui comporte les petits joyaux que sont les chansons « Children and Art » et surtout « Move On », sans doute un des plus beaux textes jamais écrits sur les questionnements que peuvent ressentir un créateur. Sondheim et Lapine concluent leur musical sur ce message, comme une promesse, à eux-mêmes, aux artistes, ou au monde : malgré les doutes, il faut continuer d’avancer.
Un dernier mot sur les nouvelles orchestrations de Michael Starobin (gagnant de deux Tony Awards pour ses orchestrations de Assassins et Next to Normal) : celles-ci subliment la partition sans pour autant en dénaturer son essence minimaliste. La formation de 46 musiciens (contre onze dans la version originale, également orchestrée par Starobin) est particulièrement appréciée sur les deux finale des deux actes (« Sunday »), sur le duo « Beautiful », nourri de précieuses nuances, ou encore sur certaines transitions instrumentales, envoutantes. Enfin, encore une fois, David Charles Abell livre une direction d’orchestre impeccable et inspirée. D’un point de vue musical tant que visuel, ce Sunday devrait avoir sur nous le même effet que Georges sur Dot, son modèle : nous apprendre à nous concentrer. Et nous apprendre à voir.
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