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Stephen Sondheim — L’exigeant génie

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Stephen Sondheim ©DR
Stephen Sond­heim ©DR

Stephen Sond­heim naît en 1930. Alors que ses par­ents ont divor­cé depuis qu’il a l’âge de 10 ans, il a la chance de fréquenter durant son ado­les­cence Oscar Ham­mer­stein II dont il con­nait bien le fils. Ham­mer­stein est alors au zénith de sa car­rière en tant que paroli­er et libret­tiste des spec­ta­cles Le Roi et Moi, La Mélodie du Bon­heur, Carousel, Okla­homa !, co-écrits avec Richard Rodgers. C’est avec un men­tor de cette classe que le jeune Sond­heim développe l’écri­t­ure de textes, et acquiert un sens dra­ma­tique très sûr. Par­al­lèle­ment il étudie la musique savante. Jeune adulte, il choisit la voie du théâtre musi­cal, qui en Amérique a pour cap­i­tale Broad­way à New York.

Un paroli­er qui veut aus­si être recon­nu comme compositeur 
Son pre­mier spec­ta­cle, Sat­ur­day Night, dont il écrit paroles et musique, n’est hélas pas mon­té. Il parvient cepen­dant à en jouer quelques chan­sons devant Leonard Bern­stein, Arthur Lau­rents et Jerome Rob­bins, qui démar­rent une adap­ta­tion de Roméo et Juli­ette. Ses paroles font mouche et il intè­gre l’équipe créa­trice du futur West Side Sto­ry. En 1957, c’est le tri­om­phe et la révo­lu­tion à Broad­way : les prob­lèmes de la société amer­i­caine font irrup­tion sur une scène jusque là plutôt con­sacrée au diver­tisse­ment. Et l’in­té­gra­tion entre musique, paroles, théâtre et danse frise la per­fec­tion. Les tal­ents de Sond­heim paroli­er sont recon­nus et il est vite engagé sur un autre pro­jet pres­tigieux qui fera aus­si un tri­om­phe : Gyp­sy (musique de Jule Styne). Mais la sit­u­a­tion ne sat­is­fait pas Sond­heim qui veut aus­si se faire recon­naître pour sa musique. Il réalise son rêve avec la farce A Fun­ny Thing Hap­pened On The Way To The Forum (1962) qui ren­con­tre un beau suc­cès. Mais le rêve tourne au cauchemar, avec Any­one Can Whis­tle (1964) qui tient à peine une semaine à l’af­fiche. Mor­ti­fié, Sond­heim choisit de pren­dre du recul.

Son retour à Broad­way s’ef­fectue en 1970 avec Com­pa­ny, un spec­ta­cle sur la dif­fi­culté de trou­ver l’âme-soeur quand on habite New York, et qui égratigne égale­ment le mariage en pas­sant. La col­lab­o­ra­tion avec le pro­duc­teur et met­teur en scène Harold Prince fonc­tionne par­faite­ment et le tan­dem enchaîne sur des pro­jets tou­jours plus inno­vants. Prince et Sond­heim veu­lent aller beau­coup plus loin que le sim­ple diver­tisse­ment qui fait le fond de com­merce de Broad­way. Selon eux, il existe un pub­lic de théâtre musi­cal qui sait être exigeant et qui appré­cie des sujets adultes, et même graves, en tout cas bien au delà de la romance sen­ti­men­tale et sucrée. Sond­heim et Prince pren­nent beau­coup de risque, et l’ac­cueil du pub­lic est fluc­tu­ant. Entre « vous ne devriez rien chang­er aux tra­di­tions » et les « bravos pour vos inno­va­tions », ils avan­cent vaille que vaille en faisant beau­coup par­ler d’eux. Avec Fol­lies (1971), A Lit­tle Night Music (1973), Pacif­ic Over­tures (1976), Sweeney Todd (1979), la cri­tique est partagée entre ent­hou­si­asme et dés­ap­pro­ba­tion, tout comme le pub­lic. Sond­heim est accusé de com­pos­er une musique exces­sive­ment com­plexe, sans mélodie et aride. Ses par­ti­sans cri­ent au génie en met­tant en évi­dence la par­faite inté­gra­tion entre texte et musique, ain­si que la flu­id­ité dra­ma­tique, le tout con­cour­ant à sus­citer des émo­tions pro­fondes bien loin de la triv­i­al­ité. Sond­heim se taille une place à part, et ses admi­ra­teurs lui voue un culte sans borne. Après avoir fonc­tion­né avec régu­lar­ité pen­dant une décen­nie, la col­lab­o­ra­tion Sondheim/Prince se déchire avec le poignant Mer­ri­ly We Roll Along (1981), un échec si reten­tis­sant que Sond­heim envis­age d’a­ban­don­ner sa car­rière à Broad­way. Avec des enjeux com­mer­ci­aux de plus en plus colos­saux, il n’y a plus de place pour l’in­no­va­tion risquée même lorsqu’elle est de qualité.

Un éblouis­sant come-back 
La recon­struc­tion de l’artiste vien­dra de sa ren­con­tre fructueuse avec James Lap­ine, pho­tographe, libret­tiste et met­teur en scène. Bref, un touche-à-tout très au fait de ce qui se déroule dans le lab­o­ra­toire aux petits moyens mais aux grandes idées qu’est l’Off-Broad­way. Ensem­ble, il pren­nent le temps pour la mat­u­ra­tion de Sun­day in the Park with George (1984), oeu­vre très exigeante et ambitieuse sur la dif­fi­culté de créer pour un artiste. A tra­vers l’évo­ca­tion de Georges Seu­rat, pein­tre habité par son art jusqu’à l’ob­ses­sion, il faut voir en fil­igrane Stephen Sond­heim en proie au doute mais plus que jamais acquis lui aus­si à son art. Le musi­cal est récom­pen­sé du prix Pulitzer et con­firme le retour d’un Sond­heim heureux de créer. En 1987, ce sont de clas­siques con­tes pour enfants qui sont mêlés dans Into the Woods. Mais les auteurs tien­nent à ajouter que face à l’ad­ver­sité, l’u­nion fait la force. A ce moment, l’ad­ver­sité s’ap­pelle le SIDA, et la chan­son « No one is alone » devient un hymne d’en­traide. Sond­heim est de mieux en mieux appré­cié. Para­doxale­ment, alors qu’il avait été traité de fos­soyeur du musi­cal, il est l’au­teur améri­cain qui résiste le mieux à l’in­va­sion du méga-musi­cal anglais (Cats, Le fan­tôme de l’Opéra, les Mis­er­ables, Miss Saigon), car son intégrité et son orig­i­nal­ité ressor­tent mieux encore à tra­vers ses mag­nifiques chan­sons. Sa fac­ulté à éclair­er ses per­son­nages dans des sit­u­a­tions com­plex­es et finale­ment très réelles, con­fère à Sond­heim une posi­tion de maître respec­té et génial du théâtre musical.

La recon­nais­sance ira crois­sant durant les années 90, à tra­vers de nom­breux con­certs d’hom­mages. Il bous­culera encore le pub­lic avec Assas­sins (1990), sur les assas­sins aspi­rants ou avérés, de prési­dents améri­cains. Le spec­ta­cle a paru déplacé devant la fer­veur patri­o­tique en vigueur durant la guerre du Golfe. En 1994, Pas­sion est une rap­sodie d’amour entre une femme laide et un bel offici­er. Tou­jours loin des sujets faciles, mais tou­jours aus­si pas­sion­nant, Sond­heim se fait atten­dre pour son prochain spec­ta­cle qui est annon­cé pour 2001. En atten­dant, on peut savour­er les inter­pré­ta­tions de plus en plus nom­breuses de ses chan­sons, aus­si bien par des artistes d’opéras et de théâtre, que de jazz ou de var­iétés: de Dawn Upshaw à Madon­na, en pas­sant par Liza Min­nel­li, Bar­bra Streisand ou Lam­bert Wil­son pour n’en citer que quelques uns. Et chose rare pour Broad­way, des spec­ta­cles sont disponibles en vidéo. En France, les occa­sions d’en­ten­dre du Sond­heim n’ex­is­tent que très peu. Pour­tant ses chan­sons gag­n­eraient à être mieux con­nues car il s’ag­it cer­taine­ment du meilleur de ce que le génie améri­cain pro­duit aujourd’hui.

Les oeu­vres de Stephen Sondheim
Sond­heim écrit les paroles et la musique des oeu­vres ci-dessous, sauf les excep­tions indiquées.

1957 — West Side Sto­ry. Musique de Leonard Bern­stein, paroles de S. Sond­heim, livret de Arthur Laurents
1959 — Gyp­sy. Musique de Jule Styne, parole de S. Sond­heim, livret de Arthur Laurents
1962 — A Fun­ny Thing Hap­pened on the Way to the Forum. Livret de Burt Shevel­ove and Lar­ry Gelbart
1964 — Any­one Can Whis­tle. Livret de Arthur Laurents
1965 — Do I hear a Waltz ?. Musique de Richard Rodgers, paroles de S. Sond­heim, livret de Arthur Laurents
1970 — Com­pa­ny. Livret de George Furth
1971 — Fol­lies. Livret de James Goldman
1973 — A Lit­tle Night Music. Livret de Hugh Wheeler
1976 — Pacif­ic Over­tures. Livret de John Weidman
1979 — Sweeney Todd. Livret de Hugh Wheeler
1981 — Mer­ri­ly We Roll Along. Livret de George Furth
1984 — Sun­day in the Park with George. Livret de James Lapine
1987 — Into the Woods. Livret de James Lapine
1990 — Assas­sins. Livret de John Weidman
1994 — Pas­sion. Livret de James Lapine