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Stephen Clark : « Travailler ensemble »

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Stephen Clark (c) 2009 ZLL - Photos : Storybox Photo/S.Ruet
Stephen Clark © 2009 ZLL — Pho­tos : Sto­ry­box Photo/S.Ruet

Stephen Clark, com­ment définiriez-vous le musi­cal Zor­ro ?
Ce spec­ta­cle a plusieurs couleurs. Nous avons estimé que Zor­ro avait une his­toire forte qui devait com­porter des élé­ments tra­di­tion­nels, mais que si nous la traitions au pre­mier degré, cela ne marcherait pas avec le pub­lic actuel. Il y a donc un côté mod­erne dans le traite­ment de l’histoire, dans l’esprit des films de super-héros, avec un soupçon d’humour pince-sans-rire, qui était déjà présent dans le film avec Anto­nio Ban­deras. Il y a donc à la fois le côté sérieux de l’histoire mais aus­si une dis­tan­ci­a­tion créée par l’humour, qui génère une com­plic­ité avec le public.

Quelles étaient les dif­fi­cultés dans le fait d’adapter le roman d’Isabel Allende ?
En fait, ce n’était pas vrai­ment dif­fi­cile puisqu’Isabel écrivait le roman pen­dant qu’on écrivait le musi­cal. Donc, les deux moyens d’expression sont plus comme des « frères », plutôt qu’une adap­ta­tion de l’un par l’autre.
J’ai beau­coup été en con­tact avec Isabel pen­dant le proces­sus de créa­tion. Donc, je dirais plutôt que j’ai tra­vail­lé avec elle plutôt que de l’adapter.
Alors, bien sûr, notre nar­ra­tion n’est pas la même mais ce qui compte, c’est que les per­son­nages, le sen­ti­ment général, le par­fum ne se con­tre­dis­ent pas entre les deux formes.

Il y a un cer­tain nom­bre de change­ments entre la pro­duc­tion de Lon­dres et celle de Paris, pou­vez-vous nous expli­quer lesquels et pourquoi ?
Je crois que c’est Voltaire qui dis­ait qu’une œuvre d’art n’est jamais finie, elle est juste aban­don­née. Quand on voit quelque chose qu’on a fait, on se dit tou­jours : on aurait pu faire ça et ça… On était fiers de notre pro­duc­tion du West End mais on trou­vait qu’on pou­vait encore amélior­er des choses. On était donc très excités en apprenant qu’ici, on aurait la pos­si­bil­ité de dévelop­per le spec­ta­cle et l’emmener plus loin. On peut tou­jours faire plus !
Par exem­ple, à Lon­dres, on trou­vait que les vingt pre­mières min­utes met­taient un peu de temps à faire démar­rer l’action. Ici, on a une expo­si­tion beau­coup plus forte.
On a aus­si changé des élé­ments du texte en col­lab­o­ra­tion étroite avec Eric Taraud [NDLR : adap­ta­teur]. Les humours anglais et français sont dif­férents, nous avons donc adap­té en fonc­tion du goût français.

Avez-vous fait beau­coup de change­ments entre les pre­views et la première ?
Dès qu’on joue devant un pub­lic, on apprend des choses sur un spec­ta­cle, et le pub­lic français est dif­férent du pub­lic anglais. Chaque après-midi, durant les pre­views, on a tra­vail­lé avec la troupe, on a coupé des petites choses, ajusté le rythme, selon les réac­tions qu’on avait enten­dues la veille. Le col­lab­o­ra­teur final dans un musi­cal, c’est le pub­lic. C’est ça, la joie du théâtre. Avant d’avoir leurs réac­tions, on ne sait pas ce qu’on a entre les mains. Le tra­vail durant les pre­views est de répon­dre à leurs rires, leurs silences. C’est une façon d’inclure leur voix dans le spectacle.

Que pensez-vous de cette pro­duc­tion française ?
J’adore cette pro­duc­tion, la dis­tri­b­u­tion est superbe. Avoir des Anglais jouant des Espag­nols, ce n’est pas évi­dent mais l’esprit latin est plus fort chez les Français. C’est donc un plaisir de voir ce spec­ta­cle avec un esprit latin plus marqué.
Et puis, tra­vailler dans ce théâtre, c’est for­mi­da­ble, d’une part, par le côté his­torique de ce lieu, mais aus­si par le fait que les décors pren­nent tout leur sens dans ce cadre en s’intégrant dans une forme circulaire.

A pro­pos d’équipe française, vous avez col­laboré avec Bou­blil et Schön­berg sur Mar­tin Guerre. Quel sou­venir gardez-vous de cette aventure ?
J’ai rejoint l’équipe alors que le spec­ta­cle avait déjà ouvert à Lon­dres et qu’il avait besoin de réécri­t­ure. C’était extra­or­di­naire de réécrire pen­dant que le spec­ta­cle se jouait et d’incorporer les change­ments chaque soir. J’y ai appris beau­coup, notam­ment qu’il faut tra­vailler vite dans le théâtre musical !
Cameron Mack­in­tosh [NDLR : pro­duc­teur du spec­ta­cle] est très exigeant, mais aus­si généreux et d’un grand soutien.
Quant à Alain et Claude-Michel, on est par­tis plusieurs semaines, dans une ferme en France, pour tra­vailler ensem­ble,  dévelop­per l’intrigue et écrire des nou­velles chan­sons. D’eux, j’ai appris cette chose : ils voient d’abord la glob­al­ité de leur struc­ture, de leur forme, comme Les Mis­érables ou Miss Saigon, qui ont une ampleur ciné­matographique. Ils par­tent ensuite de cette appréhen­sion glob­ale pour la découper et trou­ver ses rythmes internes, con­traire­ment à d’autres qui par­tent d’une petite chose et la dévelop­pent ensuite. C’était for­mi­da­ble de tra­vailler avec eux et très intense.

Vous avez étudié avec Sond­heim, que pou­vez-vous partager de son enseignement ?
Avant, je n’écrivais que des pièces, j’ai écrit mon pre­mier musi­cal l’année où j’ai com­mencé à étudi­er avec lui. Il a donc super­visé ce pre­mier tra­vail. Il était extra­or­di­naire, il me guidait, me don­nait des notes, me pous­sait. C’est un auteur extra­or­di­naire, on le sait, mais c’est aus­si un pro­fesseur for­mi­da­ble, d’une générosité exemplaire.
J’ai appris beau­coup dans l’écriture des paroles mais égale­ment sur le musi­cal en général.
Le musi­cal est vrai­ment une forme « col­lab­o­ra­tive ». Le film est essen­tielle­ment le tra­vail du réal­isa­teur, la pièce celui de l’auteur, l’opéra celui du com­pos­i­teur ou du chef d’orchestre.
Dans le musi­cal, tout le monde — le com­pos­i­teur, l’arrangeur, le créa­teur lumière, le libret­tiste, le choré­graphe, etc. — doit tra­vailler ensem­ble, mais ce n’est pas pour autant un tra­vail en « comité », ce mot est hor­ri­ble, mais il faut qu’il y ait une voix com­mune. Tous les élé­ments doivent trou­ver un équili­bre dans leur façon de se com­pléter. Ce type de col­lab­o­ra­tion est vrai­ment unique au théâtre musi­cal et Sond­heim nous don­nait beau­coup d’exemples, liés à sa pro­pre expéri­ence, sur com­ment dompter cet « ani­mal » qu’est un musi­cal pour par­venir au pro­duit final.