
Stephen Clark, comment définiriez-vous le musical Zorro ?
Ce spectacle a plusieurs couleurs. Nous avons estimé que Zorro avait une histoire forte qui devait comporter des éléments traditionnels, mais que si nous la traitions au premier degré, cela ne marcherait pas avec le public actuel. Il y a donc un côté moderne dans le traitement de l’histoire, dans l’esprit des films de super-héros, avec un soupçon d’humour pince-sans-rire, qui était déjà présent dans le film avec Antonio Banderas. Il y a donc à la fois le côté sérieux de l’histoire mais aussi une distanciation créée par l’humour, qui génère une complicité avec le public.
Quelles étaient les difficultés dans le fait d’adapter le roman d’Isabel Allende ?
En fait, ce n’était pas vraiment difficile puisqu’Isabel écrivait le roman pendant qu’on écrivait le musical. Donc, les deux moyens d’expression sont plus comme des « frères », plutôt qu’une adaptation de l’un par l’autre.
J’ai beaucoup été en contact avec Isabel pendant le processus de création. Donc, je dirais plutôt que j’ai travaillé avec elle plutôt que de l’adapter.
Alors, bien sûr, notre narration n’est pas la même mais ce qui compte, c’est que les personnages, le sentiment général, le parfum ne se contredisent pas entre les deux formes.
Il y a un certain nombre de changements entre la production de Londres et celle de Paris, pouvez-vous nous expliquer lesquels et pourquoi ?
Je crois que c’est Voltaire qui disait qu’une œuvre d’art n’est jamais finie, elle est juste abandonnée. Quand on voit quelque chose qu’on a fait, on se dit toujours : on aurait pu faire ça et ça… On était fiers de notre production du West End mais on trouvait qu’on pouvait encore améliorer des choses. On était donc très excités en apprenant qu’ici, on aurait la possibilité de développer le spectacle et l’emmener plus loin. On peut toujours faire plus !
Par exemple, à Londres, on trouvait que les vingt premières minutes mettaient un peu de temps à faire démarrer l’action. Ici, on a une exposition beaucoup plus forte.
On a aussi changé des éléments du texte en collaboration étroite avec Eric Taraud [NDLR : adaptateur]. Les humours anglais et français sont différents, nous avons donc adapté en fonction du goût français.
Avez-vous fait beaucoup de changements entre les previews et la première ?
Dès qu’on joue devant un public, on apprend des choses sur un spectacle, et le public français est différent du public anglais. Chaque après-midi, durant les previews, on a travaillé avec la troupe, on a coupé des petites choses, ajusté le rythme, selon les réactions qu’on avait entendues la veille. Le collaborateur final dans un musical, c’est le public. C’est ça, la joie du théâtre. Avant d’avoir leurs réactions, on ne sait pas ce qu’on a entre les mains. Le travail durant les previews est de répondre à leurs rires, leurs silences. C’est une façon d’inclure leur voix dans le spectacle.
Que pensez-vous de cette production française ?
J’adore cette production, la distribution est superbe. Avoir des Anglais jouant des Espagnols, ce n’est pas évident mais l’esprit latin est plus fort chez les Français. C’est donc un plaisir de voir ce spectacle avec un esprit latin plus marqué.
Et puis, travailler dans ce théâtre, c’est formidable, d’une part, par le côté historique de ce lieu, mais aussi par le fait que les décors prennent tout leur sens dans ce cadre en s’intégrant dans une forme circulaire.
A propos d’équipe française, vous avez collaboré avec Boublil et Schönberg sur Martin Guerre. Quel souvenir gardez-vous de cette aventure ?
J’ai rejoint l’équipe alors que le spectacle avait déjà ouvert à Londres et qu’il avait besoin de réécriture. C’était extraordinaire de réécrire pendant que le spectacle se jouait et d’incorporer les changements chaque soir. J’y ai appris beaucoup, notamment qu’il faut travailler vite dans le théâtre musical !
Cameron Mackintosh [NDLR : producteur du spectacle] est très exigeant, mais aussi généreux et d’un grand soutien.
Quant à Alain et Claude-Michel, on est partis plusieurs semaines, dans une ferme en France, pour travailler ensemble, développer l’intrigue et écrire des nouvelles chansons. D’eux, j’ai appris cette chose : ils voient d’abord la globalité de leur structure, de leur forme, comme Les Misérables ou Miss Saigon, qui ont une ampleur cinématographique. Ils partent ensuite de cette appréhension globale pour la découper et trouver ses rythmes internes, contrairement à d’autres qui partent d’une petite chose et la développent ensuite. C’était formidable de travailler avec eux et très intense.
Vous avez étudié avec Sondheim, que pouvez-vous partager de son enseignement ?
Avant, je n’écrivais que des pièces, j’ai écrit mon premier musical l’année où j’ai commencé à étudier avec lui. Il a donc supervisé ce premier travail. Il était extraordinaire, il me guidait, me donnait des notes, me poussait. C’est un auteur extraordinaire, on le sait, mais c’est aussi un professeur formidable, d’une générosité exemplaire.
J’ai appris beaucoup dans l’écriture des paroles mais également sur le musical en général.
Le musical est vraiment une forme « collaborative ». Le film est essentiellement le travail du réalisateur, la pièce celui de l’auteur, l’opéra celui du compositeur ou du chef d’orchestre.
Dans le musical, tout le monde — le compositeur, l’arrangeur, le créateur lumière, le librettiste, le chorégraphe, etc. — doit travailler ensemble, mais ce n’est pas pour autant un travail en « comité », ce mot est horrible, mais il faut qu’il y ait une voix commune. Tous les éléments doivent trouver un équilibre dans leur façon de se compléter. Ce type de collaboration est vraiment unique au théâtre musical et Sondheim nous donnait beaucoup d’exemples, liés à sa propre expérience, sur comment dompter cet « animal » qu’est un musical pour parvenir au produit final.