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South Pacific — Le Pacifique en guerre et… en chanté !

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Version originale de Broadway de South Pacific ©DR
Ver­sion orig­i­nale de Broad­way de South Pacif­ic ©DR

Musique : Richard Rodgers
Lyrics : Oscar Ham­mer­stein II
Livret : Oscar Ham­mer­stein II et Joshua Logan, basé sur trois nou­velles extraites du recueil Tales of the South Pacif­ic de James Michener.

Créa­tion
A Broad­way le 7 avril 1949 au Majes­tic The­atre, à l’af­fiche pour 1925 représentations.

A Lon­dres le 1er novem­bre 1951, au Drury Lane, à l’af­fiche pour 802 performances.

Mise en scène : Joshua Logan
Pro­duc­tion : Leland Hay­ward, Richard Rodgers et : Oscar Ham­mer­stein II
Avec : Ezio Pin­za (Emile de Becque), Mary Mar­tin (Nel­lie For­bush), Juani­ta Hall (Bloody Mary)

Prin­ci­pales chansons 
La majorité des mélodies sont du pur « Rodgers et Ham­mer­stein », c’est-à-dire une con­struc­tion sub­tile par­tant d’un fond opéra­tique sou­tenant des lignes mélodiques légères mais sophis­tiquées, l’ensem­ble étant rehaussé par­fois d’une mièvrerie le plus sou­vent due à l’in­ten­tion « héroïque » recher­chée dans l’in­ter­pré­ta­tion. Les auteurs ont cepen­dant agré­men­té la par­ti­tion de quelques morceaux comiques, exo­tiques ou jazzy, jus­ti­fiés par le con­texte géo-poli­tique du sujet (Paci­fique, guerre, années 40). C’est la révo­lu­tion musi­cale opérée l’an­née précé­dente par Kiss me, Kate de Cole Porter qui oblig­ea les auteurs à diver­si­fi­er leur par­ti­tion, en par­ti­c­uli­er en y inté­grant des orches­tra­tions jazzy peu courantes dans leur univers habituel :

Dites-moi ; A cock­eyed opti­mist ; Some enchant­ed evening ; Bloody Mary ; There is noth­in’ like a dame ; Bali Ha’i ; I’m gonna wash that man right outa my hair ; A won­der­ful guy ; Younger than spring­time ; Hap­py talk ; Hon­ey bun ; Care­ful­ly taught ; This near­ly was mine

Syn­op­sis
Sur une île du Paci­fique camp­ent des troupes améri­caines qui atten­dent le moment prop­ice pour atta­quer les Japon­ais postés dans des îles voisines. Tan­dis que Nel­ly, infir­mière mil­i­taire, s’éprend d’Emile de Becque, un riche Français d’âge mûr exilé pour un crime com­mis en légitime défense, le lieu­tenant John est « hap­pé » par Bloody Mary, une mère maque­relle locale qui le prend pour gen­dre idéal et lui présente sa fille Liat. Les deux cou­ples tombent éper­du­ment amoureux mais leurs idylles sont com­pro­mis­es par leur inca­pac­ité à sur­mon­ter les préjugés raci­aux. Les deux hommes, dés­espérés, acceptent alors une mis­sion dan­gereuse dont seul Emile revien­dra vivant… Son héroïsme lui vau­dra le retour de Nel­ly qui finit par accepter les deux enfants qu’il a eus précédem­ment avec une polynési­enne disparue.

Thème
Le sujet est excep­tion­nelle­ment dra­ma­tique pour un « musi­cal » de Broad­way, et c’est le décalage entre ce sujet et le traite­ment scé­nar­is­tique « léger » qui en fait une oeu­vre hybride et un peu trou­ble. Etant don­né la grav­ité du pro­pos, il eut été plus judi­cieux d’en faire une oeu­vre « sérieuse » à la West Side Sto­ry. Mais le pub­lic améri­cain d’après-guerre voulait de la vraie comédie musi­cale, et le scé­nario, dont plusieurs élé­ments sont aujour­d’hui très datés (les années 40, la guerre, le patri­o­tisme et…un comique troupi­er à la lim­ite du triv­ial) devait présen­ter une oeu­vre légère agré­men­tée de jolies chansons.

L’évo­ca­tion du racisme des pro­tag­o­nistes n’est pas franche, sans doute pour ne pas trop com­pro­met­tre le suc­cès (immense) du spec­ta­cle. C’est le défaut majeur que l’on peut aujour­d’hui reprocher à cette oeu­vre bien plus intéres­sante qu’il n’y paraît. Mais on ne peut nier le courage des auteurs car l’his­toire intè­gre un cer­tain nom­bre d’élé­ments très choquants pour l’opin­ion améri­caine de l’époque : une infir­mière améri­caine (donc pure) tombe amoureuse d’un homme mûr, crim­inel de sur­croît (et français heureuse­ment) ayant déjà des enfants de couleur ! Par ailleurs, un fier lieu­tenant ayant déjà une fiancée au pays, s’en­tiche d’une autochtone fille d’une mégère aux affaires un peu trou­bles… Les réti­cences des pro­tag­o­nistes devaient paraître déjà bien nor­males et il n’é­tait pas vrai­ment néces­saire d’ap­puy­er sur leur racisme, car ils sont par ailleurs exposés comme des per­son­nages humains, sym­pa­thiques et com­préhen­sifs. L’adap­ta­tion ciné­matographique (1958) laisse appa­raître une nou­velle ambigüité dont on ne sait pas si elle exis­tait sur scène : l’ho­mo­sex­u­al­ité latente de plusieurs « marines », et en par­ti­c­uli­er celle du lieu­tenant infir­mée par deux élé­ments clas­sique­ment util­isés pour sug­gér­er cette dif­férence : il oublie bien vite sa fiancée pour tomber amoureux de Liat, rêve idéal féminin non éro­tisé, et il meurt dans les bras d’un homme…

L’his­toire der­rière l’histoire 
Il est intéres­sant de not­er qu’au départ les auteurs ont voulu éla­bor­er leur oeu­vre comme un opéra : sujet dra­ma­tique, con­texte his­torique por­teur de pas­sions, con­flits internes des per­son­nages, his­toires par­al­lèles qui s’en­tre­croisent, mise en con­texte des airs chan­tés par­ti­c­ulière­ment soignée et absence qua­si-totale de choré­gra­phie. Le rôle d’Emile de Becque fut d’ailleurs con­fié au plus célèbre chanteur du Met­ro­pol­i­tan Opera de l’époque, la basse Ezio Pin­za. L’oeu­vre serait prob­a­ble­ment aujour­d’hui au même niveau de con­sid­éra­tion que West Side Sto­ry ou Por­gy and Bess si les auteurs n’avaient pas cédé aux sirènes du suc­cès com­mer­cial assuré… La par­ti­tion, com­posée de trop belles mélodies faciles et de chan­sons comiques et syn­copées, trompe l’au­di­teur qui ne peut se douter l’om­bre d’un instant de l’am­bigüité des sen­ti­ments divers qui tra­versent l’oeuvre.

L’adap­ta­tion ciné­matographique de South Pacif­ic en 1958 (avec Rossano Brazzi, Mitzi Gaynor, John Kerr et Juani­ta Hall) est générale­ment con­sid­érée comme un échec du genre, dû en grande par­tie au met­teur en scène Joshua Logan qui n’a pas su recon­sid­ér­er pour l’écran son tra­vail orig­i­nal pour le même spec­ta­cle sur scène. Le traite­ment intéres­sant de la lumière, par util­i­sa­tion de fil­tres, qu’il a pro­posé, prob­a­ble­ment pour com­penser un manque de créa­tiv­ité plus que fla­grant au niveau de la ciné­matogra­phie, n’a pas vrai­ment eu l’ef­fet escomp­té et a fait les gorges chaudes des cri­tiques et des spec­ta­teurs : en effet, les change­ments de couleur et de lumi­nosité font plutôt penser à une détéri­o­ra­tion tech­nique de la copie ! Il se dégage cepen­dant du film, mais après plusieurs visions, un charme étrange dû sans doute aux ambigüités divers­es que les comé­di­ens, au jeu remar­quable, font sub­tile­ment pass­er par des regards et des com­porte­ments pris par­fois dans des gros plans invraisem­blables. Il est prob­a­ble­ment à porter au crédit du réal­isa­teur, pour des spec­ta­teurs actuels aver­tis et intéressés par le sujet, un homoéro­tisme fla­grant qui baigne tout le film.

Ver­sions de référence 
Pro­duc­tion orig­i­nale de Broad­way (1949) sur disque Colum­bia OL 4180 / OS 2040

Nou­velle pro­duc­tion (1967) sur disque Colum­bia OL 6700 / OS 3100

La ver­sion filmée (1958) sur disque RCA Vic­tor LOC/LSO 1032 et bien sûr disponible en vidéo et DVD.