![camille-c3 Sophie Tellier et Annick Cisaruk dans Camille C. ©DR](http://www.regardencoulisse.com/photos/camille-c3.jpg)
Le lendemain de la générale de presse, Sophie Tellier et Annick Cisaruk nous accueillent avant la représentation du soir. Quand on leur demande de définir Camille Claudel, Sophie Tellier s’interroge : « Est-ce l’artiste maudite, la femme contemporaine ? Une femme libre qui l’a payé de sa raison. Passionnée, révoltée, entière sans aucun compromis. Une femme qui est un bel homme ! ». Pour Annick Cisaruk : « C’est une anarchiste, une avant-gardiste. Cette femme représente l’émotion à l’état pur, elle me fait rêver. Elle me semble vraie, authentique : autant dans sa sensualité que dans sa force avec la terre, avec la matière à sculpter. A 19 ans, la première fois que j’ai vu ses statues, elles m’ont fait pleurer. Une âme profonde les anime ». Les deux femmes reconnaissent que si la plupart des oeuvres de Rodin les touchent, toutes les sculptures de Camille Claudel provoquent un ressenti, une émotion très forte. Annick poursuit : « Quand je lis ses lettres, Camille m’émotionne profondément. Elle me bouleverse. Pour jouer ce personnage, c’est une émotion réelle qui me vient. Il suffit que je regarde la copie de ‘La valse’ que nous avons sur scène et l’émotion monte. » Sophie enchaîne : » pour trouver le personnage, j’ai beaucoup lu, je suis retournée au musée. En revanche je n’ai pas voulu revoir le film de Bruno Nuytten, je ne souhaitais pas être influencée par les images trop fortes du cinéma. La correspondance de Camille m’a beaucoup nourrie : j’adore son humour, son ironie, son mordant et… sa lucidité. Sa maturité m’impressionne. J’ai relu également des oeuvres de son frère Paul. »
Annick a, dans un premier temps, hésité à jouer le personnage de Camille âgée. » Et puis je me suis rendue compte qu’intérieurement je me sentais prête. Et puis, j’incarne également sa mère et la maîtresse de Rodin : Rose Beuret ». En ce qui concerne Sophie, elle a tout de suite été séduite par l’idée de l’auteur : » J’ai tout de suite pensé que Jonathan avait su mettre en avant des choses très intéressantes dans sa vision du personnage, sans parler des parties à jouer et chanter qui offraient une large palette pour les interprètes. La musique possède un souffle, une ligne mélodique forte. On peut véritablement parler de découverte artistique, je ne connaissais pas Jonathan. Il a vu Le Dindon aux Bouffes Parisiens, mis en scène par Jean-Luc Moreau. En me voyant sur scène, il m’a proposé de passer l’audition pour Camille. De toute manière, que j’aie été retenue ou pas, le simple fait de m’être replongée dans l’histoire de cette femme m’a ouvert des perspectives, le genre d’expérience qui est tout sauf anodine. »
Sophie et Annick se sont retrouvées une première fois ensemble sur scène pour Nine, l’adaptation française de la comédie musicale de Maury Yeston et Arthur Kopit. Elles avouent être ravies de se retrouver pour cette nouvelle aventure, sous le sceau de la passion. Quand on demande à Annick comment le théâtre et le chant sont entrés dans sa vie, elle répond avec sa voix douce que cela remonte à l’enfance. « Mes origines sont franco-slaves, je suis issue d’une famille ouvrière. Mais je suis née dans la musique. Mon grand-père jouait du violon, de l’accordéon et j’adorais chanter, dès l’enfance, de là, j’ai rêvé d’être comédienne. J’ai commencé à l’usine textile comme mes parents. J’ai le nomadisme dans mes gènes . Mes parents m’ont laissée partir à Lyon. J’ai rencontré par hasard un écrivain de théâtre et comédien. Nous avons vécu pas mal de choses ensemble. Ensuite, je suis venue à Paris où j’ai réussi le Conservatoire. J’ai donc beaucoup joué au théâtre, sans jamais oublier le chant. Après Nine, je me suis davantage consacrée à la chanson, avec notamment un disque et un spectacle autour de Ferré, Aragon et Vian. Actuellement je travaille sur un disque sur Barbara. Camille C. me ramène au théâtre et au chant. Lorsque j’ai entendu « Je suis Camille », je me suis dit : « cette chanson est pour moi, je dois l’interpréter » ! Je suis ravie de revenir sur les planches avec ce spectacle. »
Ce rôle donne le sentiment à Sophie de progresser : « Avec Camille C. j’ai le sentiment de monter une marche. Je peux relier le drame à la musique, essayer de passer de l’un à l’autre, par deux modes d’expressions différents, tout en conservant l’idée que c’est la même personne qui s’exprime. C’est passionnant à chercher. En raison de mon passé de danseuse, j’ai apporté ma manière de bouger à Camille. Je voulais trouver une sensualité, une animalité qui corresponde à Camille. De toute manière, quelqu’un qui sculpte est dotée d’une gestuelle particulière, on a besoin de la respiration, d’une force physique. Camille voulait sculpter l’intérieur des choses. Regardez par exemple ‘La petite châtelaine’, cette sculpture m’émeut énormément. »
Les deux comédiennes reconnaissent le grand talent d’écoute de leur metteur en scène, Jean-Luc Moreau. Pour Annick : « Jean-Luc a mis son ego à la porte, j’ai rarement connu une relation aussi étroite avec un metteur en scène : nous avions toute latitude pour proposer des choses sur notre vision des personnages. » Sophie poursuit : « Nous avons découvert très tôt une maquette de la scénographie avec ce dépouillement extrême. Cette sobriété convenait non seulement au peu d’argent dont nous disposions, mais surtout, elle privilégie l’humain au détriment de l’effet. De plus, Camille a vécu toute sa vie privée de tout superflu financier, notre situation faisait comme un écho à cela. Pendant le déroulement du spectacle, à plusieurs moments, nous devons représenter des sculptures. Nous avons préféré représenter l’émotion qu’elles nous procurent. Tout est un peu détourné. On parle plus d’évocation que d’illustration. »
Annick évoque la chaise qui lui sert de partenaire une bonne partie du spectacle : « J’ai réfléchi aux années d’enfermement : que pouvait faire Camille durant toutes ces journées ? Souvent ce qui revient c’est la chaise : elle la prend, la pose dehors, s’assoit et attend en ressassant tout son passé, sa sculpture, sa relation avec Rodin, pourquoi elle n’a pas accepté la bigamie qu’il lui proposait. Nous avons donc utilisé cet élément sur scène. J’aime dans la pièce que Rodin soit pris entre deux femmes qu’il aime et qui comptent autant l’une que l’autre. Rose est humaine et pas une caricature comme peut l’être la mère. Loin d’être une harpie, c’est une femme amoureuse qui pardonne les frasques de son amant, mais en trouvant le contrat de mariage c’est un danger qui se fait jour. Elle est blessée, Camille et Rose veulent chacune cet homme, Rose me touche aussi et j’essaie de le traduire. Trois personnages à jouer dans une même pièce, voilà un véritable défi ! Passionnant à travailler, un peu schizophrénique mais après tout cela correspond bien à l’état de Camille. Je continue tous les soirs de chercher humblement, de sculpter ces personnages… d’être simple et juste. »
Ce spectacle impressionniste, qui agit par touches successives pour décrire la passion de l’art et la passion amoureuse, renoue avec les origines du théâtre musical, y compris dans ces aspects les plus concrets. « C’est l’anti-grosse machine, tout repose sur nous. D’ailleurs nous chantons sans micro ce qui est nouveau pour moi. Ce spectacle permet de montrer que le théâtre musical possède un autre visage, et de revenir à des choses plus humaines et profondes », confie Sophie. Et Annick de conclure : « C’est un spectacle que je trouve courageux, nous sommes tous des petits travailleurs courageux tous autant que nous sommes, impliqués dans la passion de cette histoire ».