Concert de chansons de Stephen Sondheim.
Adaptées en français par Alain Marcel et Stéphane Laporte.
Avec Isabelle Ferron, Alyssa Landry, Marie Ruggeri, Hubert Forest, René Ripert, Gilles Vajou, Jacques Verzier et une guest star surprise.
Au piano : Thierry Boulanger.
Il aura fallu de nombreuses années pour que Stephen Sondheim soit reconnu comme une figure marquante de l’histoire du théâtre musical de ce siècle. Surprenantes d’innovation, ses oeuvres n’ont pas toujours été bien accueillies par le public. Ne s’embarrassant guère des conventions pour mener à bien ses projets, l’auteur n’a eu de cesse de se renouveler. Aux antipodes des spectacles à grand budget, ses pièces abordent des thèmes souvent complexes, inhabituels et risqués. Sondheim pousse l’expression théâtrale et musicale au-delà des formes connues, profitant de terrains inexplorés jusqu’alors pour éclater le carcan du format classique. L’aboutissement de son art, dont il est devenu le maître incontesté au fil de sa carrière, est apparu comme une évidence pour bon nombre d’observateurs attentifs à son travail.
Depuis une dizaine d’années, les hommages se multiplient donc outre atlantique, telle une prise de conscience collective. Un tel engouement n’existe pas en France, en raison de la barrière de la langue et surtout du manque d’occasions de découvrir ses oeuvres sur scène. Admirateurs de longue date de cette référence du musical, Stéphane Laporte et Alain Marcel ont relevé le défi d’adapter pour la première fois en France quelques extraits de ses pièces. Pari audacieux comme ils le reconnaissent eux-mêmes, tant l’écriture originale atteint des sommets de perfection. La sonorité des mots, la musicalité intrinsèque des rimes se mêlent de façon si naturelle à la musique, qu’en restituer parfaitement la connivence dans notre langue s’avère ardu sinon impossible. Les adaptateurs parviennent pourtant à préserver l’essentiel. Leur travail exploite avec éclat toute la dimension théâtrale dont regorge la partition. Fidèle à l’aspect le plus spécifique de l’oeuvre de Sondheim, la continuité entre la musique et le texte est conservée. Il en résulte une fluidité telle que la transition entre les passages parlés et chantés est imperceptible, la musique et le texte se rejoignant pour ne faire qu’un. L’adaptation a le mérite de mettre en lumière cette forme d’expression unique et si méconnue en France, sans qu’il soit nécessaire d’être averti ou parfaitement bilingue pour en apprécier le raffinement. Pour les oreilles bercées de longue date à Broadway ou à Londres par les mélodies du maître, l’intérêt est aussi grand, à condition d’oublier la comparaison et de considérer l’initiative comme une création et non une simple traduction.
La démarche de Stéphane Laporte et Alain Marcel aurait été vaine s’ils n’avaient pu compter sur le troisième pilier de l’édifice : le talent des comédiens. Car chanter ne suffit pas. Aussi subtile et élaborée soit-elle, cette musique ne nous toucherait pas autant si elle n’était pas incarnée par des personnages aussi vivants. Exceptionnelle de vérité leur prestation drôle ou bouleversante nous emporte au coeur du dispositif « Sondheimien », soit au croisement entre les différentes formes de dialectique. Accompagnés au piano par Thierry Boulanger qui nous offre de magnifiques arrangements, les artistes finissent de nous renverser irrémédiablement par leurs voix sublimes. Cette soirée inoubliable restera-t-elle un événement éphémère, ou bien convaincra-t-elle enfin quelques producteurs français de s’inspirer de ce modèle?