Remarqué dans la dernière production de Hair à Mogador il y a deux ans (les dreadlocks blondes, c’était lui), Sinan est né à Ankara d’un père français et d’une mère turque, d’où son exotique prénom. Sa mère étant comédienne au Théâtre National d’Ankara, il est plongé dès son plus jeune âge dans le monde du spectacle. « J’ai passé toute mon enfance dans les coulisses et dans les studios de synchro, parce que ma mère faisait des synchros aussi. J’en ai fait aussi quand j’étais petit d’ailleurs ».
D’Ankara à Paris
Après avoir vécu en Turquie puis au Caire, Sinan arrive en France pour poursuivre ses études. « J’étais inscrit à l’Université Paris III en arts du spectacle. Mais il y avait aussi une école dont j’avais entendu parler, le Studio-Théâtre d’Asnières, l’Ecole Jean-Louis Martin-Barbaz. Au delà de l’apprentissage du métier de comédien, j’ai vite collaboré à plusieurs mises en scène de la compagnie — et non pas de l’école. J’y ai passé deux ans à temps plein… ». Le chant s’intègre très tôt à sa formation. « Pendant ces deux-trois ans, j’ai collaboré à plusieurs cabarets, plusieurs spectacles chantés. Avant l’université déjà , j’étais dans des chorales, jazz vocal, gospel, lyrique ou même liturgique. Depuis tout petit, j’adore chanter mais je ne me disais jamais que j’utiliserais ça de manière professionnelle. Je considère qu’un comédien qui ne sait pas utiliser sa voix n’est pas un comédien avec toutes les aptitudes. Je pense qu’une travail sur le corps et la voix est une formation obligatoire pour tout comédien ».
Il est encore dans cette école lorsqu’il se présente sans grande conviction aux auditions pour une production de Hair qui se monte au Théâtre Mogador. « Je me suis dit que je n’avais rien à perdre. Je n’y accordais pas trop d’importance et je me disais : ‘vu le nombre de gens qui doivent passer et chanter comme des bêtes, je ne serai jamais pris’. Je leur ai chanté « Travesti » de Starmania et quelques notes d’un solo de Phi-Phi. La semaine suivante, ils m’ont rappelé pour une journée entière de travail. Et à cinq heures du soir, quand j’ai appelé mon père pour lui dire que j’étais pris, il ne m’a pas cru : ‘tu chantes aussi bien que ça, toi ?’ » !
Un bol d’Hair
Il reste de cette aventure le souvenir d’une fabuleuse rencontre avec les autres membres de la troupe. « On venait d’horizons différents. Les répétitions et l’exploitation ne se sont pas déroulées avec une facilité extrême et cela nous a vite soudés. On s’est serré les coudes. On a eu l’occasion dans la difficulté d’avoir accès plus facilement aux personnalités de chacun et de voir les carapaces tomber. Aujourd’hui, ce sont des gens que j’aime beaucoup et je sais que je ne les perdrai pas de vue de sitôt ».
C’est en le voyant dans Hair que Fabrice Aboulker, initiateur du projet Ali Baba, le remarque et décide de le contacter pour interpréter le rôle du Génie. « A l’époque, le projet s’appelait Ali Baba et les 40 voleurs. L’équipe artistique [Fabrice Aboulker, Alain Lanty, Thibaut Chatel et Fréderic Doll] au complet — chose rare- s’est déplacée sur Asnières pour venir me voir dans Phi-Phi. J’y tenais un rôle conséquent, donc ils avaient de quoi me voir et m’entendre. A la sortie, ils m’ont carrément dit ‘c’est bon, tu es notre génie’ ».
Un génie et des projets personnels
Ce génie, Sinan le définit ainsi. « Il est ringard et légèrement vieux jeu même s’il est en train de changer un peu en cours de réécriture. Il n’a pas travaillé depuis 3000 ans, donc il s’est un peu empoussiéré. Il ne réussit plus aussi bien ses tours de magie. Il est arriviste et va où le vent souffle en essayant de mettre la main sur le trésor des voleurs. Mais il a un bon fond, comme tout génie ! Tous les personnages sont assez marqués et c’est intéressant pour nous d’avoir quelque chose d’assez excessif, d’extravagant à défendre parce qu’on peut aller à fond et explorer entièrement ».
Cette première rencontre date pratiquement d’un an et être intégré aussi en amont d’un projet a évidemment ces avantages. « Depuis le début, Fabrice Aboulker a réussi à réunir une équipe et de faire que ce groupe marche. Il a systématiquement réagi en tant que directeur artistique, c’est-à-dire en prenant compte des remarques des gens, en tenant compte de leur personnalité, d’où le travail de réécriture, et en étant toujours à l’écoute. Le spectacle, c’est prendre du plaisir sur une scène pour donner du plaisir aux gens, l’un ne va pas sans l’autre. Et là, toute l’équipe partage cet avis et c’est un beau prétexte pour se donner tous les moyens de prendre le plaisir sur scène et donc, de donner du plaisir aux gens. Ce qui n’empêche pas une vraie structure derrière, il faut que les choses soient bien écrites et qu’elles se tiennent ».
Parallèlement, depuis trois ans, Sinan est également directeur d’une compagnie de théâtre dans laquelle il s’investit énormément. La Compagnie des Kütchük’s « est une troupe de jeunes comédiens avec qui j’ai partagé à un moment ou à un autre ma formation d’acteur », explique-t-il. « Le prochain spectacle, qui sera ma deuxième mise en scène, reprend le Ubu Roi d’Alfred Jarry, mélangé à d’autres textes sur le mythe de Macbeth, et le titre provisoire est Merdre, dissection du mythe de Macbeth. On est en plein travail : répétitions, demandes de subventions, mécénat, programmation, etc… Mon souci dans les années à venir, c’est de pouvoir concilier ce que je fais personnellement, qu’on m’engage en tant qu’artiste sur des spectacles quand je suis moi-même de l’autre côté aux manettes ».
En attendant, entre Ubu et Ali, l’année de Sinan s’annonce chargée. Souhaitons qu’un génie exauce ses voeux à lui…