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Shakespeare dans le théâtre musical — Être ou ne pas être : telle est la chanson

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Midsummer Night's Dream (Songe d'une nuit d'été) ©DR
Mid­sum­mer Night’s Dream (Songe d’une nuit d’été) ©DR
Il y a d’abord eu les mots sans la musique. Le poète et dra­maturge anglais est né en 1564, dans la ville qu’il a ren­du célèbre, Strat­ford-upon-Avon. Il devient célèbre de son vivant pour ses nom­breuses pièces de théâtre, dont les titres sont restés immor­tels: Oth­el­lo, Roméo et Juli­ette, Mac­beth, Le roi Lear, Les joyeuses com­mères de Wind­sor … Shake­speare restitue avec un don remar­quable la ren­con­tre de per­son­nages de chair et de sang, à la fois cru­els et d’une incroy­able vul­néra­bil­ité. Sa vigoureuse façon d’ou­vrir les âmes et d’ex­plor­er la folie, tout en main­tenant une riche poésie de la langue font de son oeu­vre un mon­u­ment du théâtre dans le monde entier. La beauté et la pré­ci­sion du verbe con­fèrent une human­ité trag­ique à ses héros. Son théâtre mon­tre une réelle orig­i­nal­ité en dis­solvant les fron­tières entre les gen­res comédie et tragédie, préférant mêler le tout au nom de la justesse dra­ma­tique. Shake­speare s’est éteint en 1616 en lais­sant une oeu­vre abondante.

Icône pour les romantiques
Si l’An­gleterre a rapi­de­ment adop­té Shake­speare comme un clas­sique de sa lit­téra­ture, aucun com­pos­i­teur out­re-Manche n’avait envis­agé, jusqu’à récem­ment, la mise en musique de ses pièces. Bien au con­traire, c’est l’Eu­rope con­ti­nen­tale qui a com­mencé au XIXe siè­cle l’adap­ta­tion en opéra. La tra­duc­tion de ses oeu­vres s’est en effet large­ment répan­due, en même temps que l’avène­ment du roman­tisme dans les Arts. Les pièces de Shake­speare tranchent avec l’a­cadémisme ambiant. Désor­mais, c’est l’in­di­vidu qui prime avec ses com­plex­es tour­ments d’être humain. Un des pre­miers musi­ciens à se lancer est Rossi­ni (1792–1868) avec Oth­el­lo (1816). Mais à cette époque encore, les textes de Shake­speare ont besoin d’être édul­corés, car ses vari­a­tions entre sub­til­ité et bru­tal­ité heur­tent les oreilles. Pour beau­coup, la beauté de l’écri­t­ure reste encore sujette à cau­tion. Le pre­mier grand com­pos­i­teur à réelle­ment dis­cern­er son génie est Hec­tor Berlioz (1803–1869). Les représen­ta­tions de Ham­let à Paris en 1827 lui assè­nent un dou­ble choc, artis­tique et sen­ti­men­tal : Il a la révéla­tion de Shake­speare, et tombe amoureux de l’ac­trice prin­ci­pale Har­ri­et Smith­son, qui hélas ne répond pas à ses avances. Ayant sur­mon­té son dépit, il crée en 1839 la sym­phonie dra­ma­tique Roméo et Juli­ette, une de ses oeu­vres maîtress­es. Bien plus tard, bien qu’aigri par l’in­suc­cès auprès de ses con­tem­po­rains, il donne le vire­voltant Béa­trice et Béné­dict (1862) tiré de Beau­coup de bruit pour rien. Berlioz réaf­firmera toute sa vie l’im­por­tance de Shake­speare dans son oeuvre.

Le maître ital­ien de l’opéra, Giuseppe Ver­di (1813–1901), compte lui aus­si le dra­maturge anglais par­mi ses auteurs de chevet. Il entre­prend l’adap­ta­tion de Mac­beth en 1847, un peu avant sa matu­rité artis­tique. Le sen­ti­ment d’i­nachevé pour Mac­beth le tour­mente longtemps, avant qu’il ne croise vers la fin de sa vie le jeune libret­tiste Arri­go Boï­to. Séduit par l’en­t­hou­si­asme studieux de son col­lab­o­ra­teur, Ver­di com­pose coup sur coup Otel­lo (1887) et Fal­staff (1893), achevant ain­si sa car­rière avec ces hom­mages somptueux au grand maître anglais qu’il aura vénéré toute sa vie. Pour être exhaus­tif avec la péri­ode roman­tique, on relèvera la déli­cieuse adap­ta­tion de Les joyeuses com­mères de Wind­sor (1849) de l’alle­mand Otto Nico­laï (1810–1849). Le com­pos­i­teur, mort trop jeune, n’a pas le temps de pour­suiv­re avec Shake­speare après son incur­sion promet­teuse. Enfin on n’ou­blie pas le Roméo et Juli­ette (1867) de Goun­od (1818–1893).

Lorsque Shake­speare a été recon­nu partout à sa haute valeur, les pro­jets d’adap­ta­tion en musique sont allés en dimin­u­ant. Avec la fin du Roman­tisme au début du XXe siè­cle, les com­pos­i­teurs s’en écar­tent. Le poète sur son piédestal impres­sionne. Et que dire de la peur de ne pas être à la hau­teur ou de trahir ? Pour­tant son théâtre demeure irré­sistible. En 1945, un jeune com­pos­i­teur anglais se fait un nom dès son pre­mier opéra: Ben­jamin Brit­ten (1913–1976) qui refonde la scène lyrique anglaise. Et lorsque le méti­er est devenu sûr, il crée à l’opéra Le Songe d’un Nuit d’Eté (A Mid­sum­mer Night’s Dream — 1960). Or le choix de cette pièce ne provient pas d’une déci­sion réfléchie, mais d’un choix dans l’ur­gence pour cause de date à respecter sans un livret orig­i­nal sous la main ! Et l’ur­gence a bien fait les choses puisque le com­pos­i­teur trou­ve une écri­t­ure gaie, fraîche et spon­tanée à la mesure de la pièce d’o­rig­ine. L’opéra compte par­mi les meilleures oeu­vres du com­pos­i­teur, c’est aus­si une des meilleures adap­ta­tions lyriques de Shake­speare. Après des siè­cles d’at­tente, les anglais ont trou­vé en Brit­ten un com­pos­i­teur à la hau­teur du dra­maturge. Après cette expéri­ence — due au hasard — il n’est pas retourné à la même source. Et les autres com­pos­i­teurs bri­tan­niques aux­quels Brit­ten a ouvert la voie — Michael Tipett, Har­ri­son Birtwistle, Peter Maxwell Davis et bien d’autres — n’ont pas osé se lancer.

Le cas Roméo et Juliette
La pièce la plus célèbre de Shake­speare dans le monde entier est cer­taine­ment Roméo et Juli­ette, objet de mul­ti­ples adap­ta­tions à l’opéra. Mais c’est dans le Théâtre Musi­cal améri­cain que les amants de Vérone ont trou­vé leur meilleure lec­ture chan­tée et dan­sée. Ce fût la révo­lu­tion en 1957 lorsque l’am­bitieux West Side Sto­ry est créé à Broad­way. L’his­toire mythique est trans­posée à New-York, et des com­mu­nautés raciales rem­pla­cent les familles antag­o­nistes. En réal­isant cette fusion incan­des­cente entre la musique, les paroles, le livret, la choré­gra­phie et la mise en scène, West Side Sto­ry ouvre une nou­velle ère à Broad­way: L’ir­rup­tion des prob­lèmes de société sur une scène jusqu’alors plutôt réservée au diver­tisse­ment. Cette relec­ture mod­erne de Shake­speare a trou­vé sa force dans la richesse du matéri­au de départ et sa réso­nance dans le monde con­tem­po­rain. Il fal­lait des hommes de tem­péra­ment pour faire aboutir ce pro­jet, et c’é­tait bien le cas pour Leonard Bern­stein (musique), Stephen Sond­heim (paroles), Arthur Lau­rents (livret) et Jerome Rob­bins (mise en scène et choré­gra­phie). Ils fig­urent par­mi les grandes légen­des de Broad­way, dans ce que ce nom incar­ne de plus noble. Hormis West Side Sto­ry, Broad­way a peu recou­ru aux textes du dra­maturge anglais lui préférant des textes plus légers, jugés plus acces­si­bles pour le pub­lic. On peut néan­moins citer Kiss Me, Kate de Cole Porter, sub­tile vari­a­tion sur le thème de La mégère apprivoisée et l’é­trange Two Gen­tle­men of Verona (1971), un opéra-rock (!) du com­pos­i­teur de Hair (!) Galt Mac­Der­mot. Et c’est pra­tique­ment tout. En France, Shake­speare sur scène vient en jan­vi­er 2001 avec encore une adap­ta­tion des éter­nelle­ment trag­iques Roméo et Juli­ette.

L’opéra et le Théâtre Musi­cal sont large­ment redev­ables à Shake­speare. Des textes d’une telle qual­ité, des per­son­nages aus­si vivants et com­plex­es ne pou­vaient pas échap­per aux com­pos­i­teurs en quête de livret. Mais ces oeu­vres en forme de défi exi­gent du tem­péra­ment. Il en résulte que les adap­ta­tions réussies sont sou­vent remar­quables. L’opéra roman­tique, Broad­way, le renou­veau anglais l’ont mon­tré. Aujour­d’hui, lorsque l’opéra explore de nou­velles voies, il revient chercher par­mi ses grandes pièces. C’est ain­si qu’est arrivé Lear (1978), l’adap­ta­tion de Le roi Lear et le plus con­nu des opéras du com­pos­i­teur alle­mand Arib­ert Reimann. Plus près de nous vient Le con­te d’hiv­er (Win­ter­märchen — 1999) de Philippe Boes­mans. Indis­cutable­ment Shake­speare con­serve une actu­al­ité inaltérable, et il restera tou­jours une source incon­tourn­able d’in­spi­ra­tion et de chef d’oeuvres.

Liste des oeu­vres citées 

Oth­el­lo (1816), opéra de Gioachi­no Rossi­ni, livret de Francesco Maria Berio di Salasa, d’après Shakespeare
Roméo et Juli­ette (1839), sym­phonie dra­ma­tique de Hec­tor Berlioz, paroles de Emile Deschamps, d’après Shakespeare
Mac­beth (1847) , opéra de Guiseppe Ver­di, livret de Maria Piave, d’après Shakespeare
Die lusti­gen Weiber von Wind­sor (The Mer­ry Wives of Wind­sor — 1849), opéra de Otto Nico­lai, livret de Her­mann Salomon Mosen­tal d’après Shakespeare.
Béa­trice et Béné­dict (1862), opéra de Hec­tor Berlioz, livret du com­pos­i­teur, d’après Shakespeare
Roméo et Juli­ette (1867), opéra de Charles Goun­od, livret de Jules Rou­bier et Michel Car­ré, d’après Shakespeare
Oth­el­lo (1887), opéra de Guiseppe Ver­di, livret de Arri­go Boito, d’après Shakespeare
Fal­staff (1893), opéra de Guiseppe Ver­di, livret de Arri­go Boito, d’après Shakespeare
Kiss Me, Kate (1948), musi­cal de Cole Porter d’après Shakespeare
West Side Sto­ry (1957), musi­cal de Léonard Bern­stein (musique), Stephen Sond­heim (paroles) et Arthur Lau­rents (livret), d’après Shakespeare
A Mid­sum­mer Night Dream (1960), opéra de Ben­jamin Brit­ten, livret du com­pos­i­teur et Peter Pears, d’après Shakespeare
Two Gen­tle­men of Verona (1971), opéra-rock de Galt Mac­Der­mot (musique) et John Guare (paroles et livret), d’après Shakespeare
Lear (1978), opéra de Arib­ert Reimann, livret de Claus Hen­neberg, d’après Shakespeare
Le Con­te d’Hiv­er (Win­ter­märchen — 1999), opéra de Philippe Boes­mans, livret de Luc Bondy, d’après Shakespeare
Love’s Labour’s Lost (2000), film musi­cal de Ken­neth Branagh, chan­sons de Irv­ing Berlin et Cole Porter
Roméo et Juli­ette : De la haine à l’amour (2001), comédie musi­cale de Gérard Presgurvic