Né en Ukraine en 1891, Serguei Prokofiev montre des dons précoces pour la musique. Vif et déjà sûr de son talent, il se sent étouffé dans une Russie peu ouverte aux idées nouvelles, et entreprend dès 1918 de s’établir en Amérique puis à Paris, où ses talents de compositeur et de pianiste sont appréciés.
Il acquiert une première notoriété à la scène grâce à des partitions pour les Ballets Russes de Serge Diaghilev. Mais l’opéra le démange. Après la composition du Joueur d’après Dostoïevski, terminé en 1917 mais non monté sur scène, il enregistre une commande de l’Opéra de Chicago pour lequel il écrit à la fois le livret et la partition de L’amour des trois oranges, d’après Gozzi. La création rencontre un succès mitigé, alors qu’il s’agit d’une oeuvre enjouée avec une orchestration élégante au rythme frénétique caractéristique du compositeur. Le public a été vraisemblablement bousculé par une histoire absurde et irrévérencieuse : un prince est guéri de sa mélancolie par le rire, il est néanmoins condamné à aimer trois oranges dont une lui révélera l’amour.
Nullement découragé, Prokofiev enchaîne et compose L’ange de feu de 1919 à 1927, entre l’Amérique et Paris. Malgré les indéniables qualités de l’oeuvre, celle-ci attendra 1955 pour voir le jour, soit deux ans après la mort du compositeur. Il s’agit d’un conte fantastique : une femme amoureuse et/ou hystérique obsédée par une personne. Elle semble également possédée par des esprits malins. Elle entre dans un couvent qui subit une agitation diabolique et finit condamnée comme sorcière. Rétrospectivement il s’agit certainement du meilleur opéra du compositeur pour l’immense force dramatique avec laquelle il a dépeint ses personnages exaltés et outranciers.
Saisi par le mal du pays, Prokofiev succombe aux sirènes du retour en Russie, ce qu’il effectue en 1933… et il s’en mordra les doigts ! La radicalisation du régime communiste le frappe de plein fouet dans son processus créatif. Il perd la spontanéité qu’on connaissait à ses débuts. Il se réfugie dans un opéra bouffe, Les fiançailles au couvent, terminé en 1941 mais qui attendra la fin de la guerre pour sa création. Le livret est écrit avec Mira Mendelson qui est devenue sa compagne puis sa femme.
L’invasion de l’URSS en 1941 lui donne l’impulsion pour adapter le grand classique de la littérature russe Guerre et Paix de Léon Tolstoï, en compagnie de Mira. L’opéra est partiellement créé en 1946. Mais hélas, les intentions de l’artiste ne satisfont pas celles des sévères censeurs du régime. Prokofiev est taxé de formalisme, c’est à dire d’ignorance coupable vis à vis du réalisme soviétique. Il ne flatte pas assez la fibre patriotique. Le compositeur passera ses dernières années à retoucher l’oeuvre qu’il ne verra jamais intégralement sur scène. Il meurt en 1953, sa mort est éclipsée par celle de Staline, le même jour. Heureusement, Guerre et Paix a trouvé quelques avocats malgré les énormes moyens requis : plus de 70 personnages pour 4 heures de représentation ! La première exécution intégrale a lieu en 1959. Ensuite, Mstislav Rostropovitch tiendra souvent la baguette pour promouvoir l’oeuvre admirée.
Finalement, Prokofiev n’aura jamais connu de véritables succès public à l’opéra de son vivant, contrairement à ses oeuvres orchestrales, pour le ballet ou le cinéma. Aujourd’hui, des partitions comme Pierre et le loup, La symphonie classique ou ses ballets sont plébiscités, mais son oeuvre lyrique reste largement méconnue. L’ouverture de la Russie et la libéralisation des arts permettent de redécouvrir un riche corpus d’oeuvres qui conjuguent qualité et accessibilité, et réunissent donc tous les atouts pour devenir des classiques du 20e siècle. La reconnaissance de ses opéras est en cours depuis le début des années 1980. Au moins pour L’ange de feu et Guerre et Paix et certainement quelques autres, elle est largement méritée.
Les opéras de Serguei Prokofiev
1921 — L’amour des trois oranges. Livret du compositeur et Véra Janacopoulos d’après Carlo Gozzi
1922 — L’ange de feu (composé en 1922–1925, créé sur scène en 1955). Livret du compositeur d’après un roman de Valeri Briussov
1915 — Le joueur (composé en 1915–16, repris en 1927, créé sur scène en 1929). Livret du compositeur d’après Dostoievski
1940 — Siméon Kotko. Livret du compositeur et de V.Kataev
1946 — Les fiançailles au couvent. Livret du compositeur et Mira Mendelson.
1946 — Guerre et Paix (1946, version complète en 1959). Livret du compositeur et Mira Mendelson.
1948 — Histoire d’un homme authentique. Livret de Mira Mendelsson.