
J’ai commencé à 4 ans par le piano. Vers 10 ans je suis monté sur scène pour interpréter des petits rôles dans des comédies musicales amateurs. J’ai joué dans Oliver !, un des rares spectacles mettant en vedette des petits garçons (après, les filles furent à l’honneur, voyez Annie) ! Après mes études, j’ai gagné une bourse pour devenir claveciniste. Parallèlement, j’ai fait pas mal de théâtre, notamment des pièces comiques. A la base, je suis musicien.
Quelle est la première comédie musicale qui vous ait marqué?
La plus grande comédie musicale des années 60, West Side Story. Le film m’a immédiatement attiré. Ensuite, j’ai découvert My Fair Lady , etc. Ma passion pour la comédie musicale a commencé avec les disques. Ma mère en possédait beaucoup, je les écoutais pendant toute la journée. Sur scène je me souviens de The Wiz. Je dois même avoir encore le programme du spectacle… Ça m’a bouleversé.
Vous avez suivi vos études en Californie, comment êtes-vous arrivé à Broadway ?
Petit, j’ai suivi des cours de danse, claquettes, piano, bref, le cursus normal! En 1984, je suis parti à New York pour travailler dans la comédie musicale. Au départ, je ne rêvais que de comédie musicale, sans penser à l’art lyrique. Pourtant, mon premier contrat fut pour participer au choeur dans un festival mozartien au Lincoln Center, mais ça ne m’a pas trop plu. Pour débuter, j’ai auditionné comme tout le monde. L’année de mon déménagement fut la pire saison de l’histoire de Broadway. Pour les Tonys, certaines catégories ont été annulées faute de shows à la hauteur. Il n’y avait que quatre spectacles, on cherchait surtout des danseurs et ce n’est pas ma spécialité. C’était avant Les Misérables ou The Phantom of the Opera, bref, avant le retour des « musicals » chantants! Après, ce fut une renaissance. En parallèle aux auditions, j’ai travaillé dans une boutique de jouets. Finalement j’ai trouvé un boulot dans un « diner theatre », cela m’a permis de prendre vraiment contact avec le milieu. Les choses se sont faites petit à petit.
Quelle a été la première musicale à Broadway dans laquelle vous avez joué ?
Evita. J’étais dans le choeur et m’en souviens très bien parce que la première note à chanter était un contre-ut. J’ai épaté mes camarades en atteignant cette note élevée comme ça, apparemment sans effort ! Ma spécialité, ce sont les notes aiguës. Je peux facilement chanter huit fois par semaine des contre-ut. Chaque spectacle a toujours besoin de personnes avec cette compétence. Ensuite, j’ai participé aux tournées de Jesus Christ Superstar et de Singin’ in the Rain. Si on a l’endurance pour faire des tournées, on gagne très bien sa vie. Mais c’est véritablement harassant et très perturbant (on ne vit que dans des hôtels, année après année, difficile de conserver ses repères). C’est pour cela aussi que j’ai eu envie de changer de métier pour me diriger vers l’art lyrique. J’ai participé à beaucoup de workshops mais bien peu ont finalement franchi le cap d’une vraie prodduction dans un théâtre. Notamment un projet avec Joseph Papp, qui coûtait pas mal d’argent. Il s’agissait de Mikado en 2050… C’était vraiment une idée rigolote de propulser ce classique de l’opérette de Gilbert et Sullivan dans le futur ! En workshop, il est difficile de savoir quel spectacle sera choisi. C’est presque la loterie. Parfois on se demande pourquoi certains spectacles marchent… Ce qui m’attriste, c’est de voir que les spectacles de Stephen Sondheim n’ont jamais été de grands succès. Il est apprécié, c’est déjà ça. J’ai failli chanter, sous la direction du Jonathan Tunick (un grand monsieur qui a orchestré toutes ses oeuvres), dans les choeurs de A Little Night Music. A la place, j’ai commencé mes études en art lyrique, à la suite d’une rencontre déterminante en tournée avec un directeur musical. Et puis, en tant que spectateur, j’ai toujours aimé l’art lyrique.
Pourquoi êtes-vous venu en France ?
J’ai gagné une bourse pour aller étudier en Italie. Mon professeur de chant là bas enseignait aussi dans l’atelier lyrique de l’Opéra de Lyon. Il cherchait un ténor, j’ai auditionné, il m’a engagé. J’ai commencé comme stagiaire dans son atelier. Je suis resté trois saisons durant lesquelles j’ai chanté beaucoup de choses : grands, petits rôles, récitals. C’était bien et toujours intéressant. Du coup j’ai commencé à apprendre le français (je n’en parlais pas un mot). Je suis arrivé à l’Opéra Comique en gagnant le premier prix du concours de Marmande en 96. Pierre Médecin m’a proposé de venir dans cette auguste maison. C’était comme un rêve : la maison mythique de Carmen, de Tosca, de Manon, de Pelleas et Melisande, L’heure espagnole, La voix humaine… Tout un répertoire fascinant pour nous autres, Américains.
Quel est votre regard sur la comédie musicale actuelle ?
En tant que spectateur, ça me manque beaucoup. Aux Etats-Unis, je voyais au moins un spectacle par semaine. Avec les amis dans le métie,r on a facilement des invitations. Mais j’ai payé aussi mes places, même debout. J’allais souvent à plusieurs représentations d’une comédie musicale, surtout celles de Sondheim ! Je ne compte plus combien de fois j’ai vu Into the Woods ou Sunday In the Park With George. Ma façon de vivre a de toute façon beaucoup changé, je lis plus (à New York, je n’avais jamais le temps). Je ne suis plus en contact avec ma culture.
Comment avez-vous abordé L’heure espagnole et Les mamelles de Tiresias ?
Ravel était un défi vraiment intéressant. Au début on m’a dit : apprends la partition, soit hyper attentif, c’est très difficile et complexe, tu vas y passer des heures, mais ensuite tu seras libéré des contraintes et tu chanteras très naturellement. C’est vrai qu’après avoir vraiment travaillé, le rythme et le timing avec l’orchestre sont venus sans problème. Les mamelles de Tiresias est une oeuvre très américaine, on dirait parfois une comédie musicale de Broadway… Le rythme est très tonique (souvent sur le premier temps de chaque mesure), le contraire de Ravel ! Comme les comédies musicales, cette oeuvre est très rythmique. Dans cette salle qui a vu la création de ces deux pièces, devant le public parisien… ce fut vraiment un honneur pour moi, le petit Américain. Penser que Debussy, Ravel, Poulenc ont ouvert ces portes que l’on emprunte encore aujourd’hui, ça me fascine et me rend humble.