Passer de l’immense scène du Palais des Congrès de Paris à l’une des plus petites scènes du West End relevait déjà d’une gageure. Grâce au travail du metteur en scène David Freeman et de Redha, la transposition est plutôt réussie. Le spectateur est très proche des comédiens, on est bien loin de la salle froide et sans âme du Palais des Congrès. Romeo & Juliet est beaucoup plus théâtral que la version française avec des comédiens chanteurs qui jouent vraiment la comédie, d’ailleurs les scènes de dialogue ont été largement développées par David Freeman. Autre différence appréciable : les danseurs ont aussi de petits rôles et surtout chantent tous, les choeurs ne sont donc pas enregistrés ! Car cette fois, il y a bien un orchestre et ça change tout. Les nouvelles orchestrations de John Cameron (à qui l’ont doit celles des Misérables) beaucoup plus acoustiques et agréables à l’oreille, tout en conservant la rythmique sur certaines chansons comme « Kings of the world », mettent en valeur l’efficacité des mélodies de Gérard Presgurvic. Quant aux textes, on peut regretter que Don Black (Sunset Boulevard, Bombay Dreams), qui a signé les lyrics anglais, soit resté souvent trop proche des originaux et n’ait pas pris plus de liberté. Mais même s’ils restent guimauves et si les rimes sont souvent faciles, les textes sonnent mieux (surtout pour les non bilingues !) et sont moins répétitifs. Par rapport à la version originale, certaines chansons ont été supprimées, celles qui restent sont mieux amenées, mises en situation et théâtralisées.
Dans sa construction et sa mise en scène, Romeo and Juliet se révèle bien plus convaincant que Roméo et Juliette made in France. L’alchimie entre les idées innovantes et la bonne direction d’acteur de David Freeman et l’expérience sur le spectacle de Redha fonctionne bien. Pour Redha qui avait signé seul la mise en scène et les chorégraphies de la version française, on imagine que ça n’a pas du être évident de partager cette fois son travail avec un metteur en scène plutôt « avant-gardiste » qui vient de l’Opéra. Redha a dû repenser et adapter ses chorégraphies pour tenir compte du nouvel espace plus restreint et des indications de David Freeman. Elles en ressortent bonifiées, plus au service de l’histoire et de l’action. On retiendra en particulier la scène du duel beaucoup plus percutante. S’il y a d’importants changements par rapport à Paris, on retrouve le style propre à Redha très différent de ce qu’on peut voir habituellement dans les musicals du West End. Selon Martin Matthias, le dance captain, les comédiens ont eu un peu de mal au début mais ils s’y sont fait et apprécient de sortir du conformisme.
Pendant la durée des previews (avant-premières), le spectacle continue d’évoluer et de s’améliorer comme, par exemple, les chorégraphies du bal et des « Kings of the world » ainsi que les enchaînements entre les scènes qui créent parfois des temps morts préjudiciables à la fluidité et au rythme du spectacle. Tout devrait être fin prêt pour la générale du 4 novembre. En revanche, il est hélas trop tard pour toucher au décor minimaliste, « cheap », à l’esthétique contestable qui se résume en une toile de fond ringarde, des panneaux peints amovibles et des structures métalliques sur roulettes qu’on déplace tout le long du spectacle, sans compter le décor du bal que David Freeman a volontairement souhaité « kitsch de mauvais goût » pour illustrer le côté parvenu et détestable des Capulet. C’est fort préjudiciable pour le spectacle. Il y a tout de même quelques images intéressantes comme le balcon de Juliette représenté symboliquement par une cage dans laquelle elle est enfermée ou encore celle du lit nuptial comme suspendu sur fond de ciel étoilé.
La qualité du cast mérite d’être soulignée. Tous les artistes jouent la comédie, chantent et dansent. Les interprètes principaux sont convaincants et investissent complètement leur personnage. On sent que ce ne sont pas que des chanteurs mais aussi des comédiens. Les scènes de comédie sont beaucoup plus développées et permettent de mieux cerner les personnages. La jeune Lorna Want (15 ans) campe une Juliette touchante et passionnée. Andrew Bevis incarne avec conviction un Roméo rebelle et fougueux. Mention spéciale pour Sevan Stephan (My Fair Lady, Lautrec, Martin Guerre) impeccable dans la peau de Frère Laurent.
Les premiers avis du public semblent très partagés. Si les uns ont plutôt l’air d’apprécier, rien ne trouve grâce aux yeux des autres. Quant à la critique anglaise, tout laisse à penser qu’elle risque de ne pas être très tendre : un classique de Shakespeare revu par un Français, une musique de variété, des chorégraphies « iconoclastes »,… Pourtant Romeo & Juliet tient bien la route, malgré ses lacunes (décors et textes) c’est un vrai musical qui a sa place dans le West End.