Robert Lopez, The Book of Mormon est un triomphe, vous avez gagné neuf Tony Awards. Comment vivez-vous ce succès ? Vous attendiez-vous à un tel engouement ?
Le succès est extrêmement gratifiant. Un musical pour Broadway représente des années de travail, dans ce cas six ou sept ans. Evidemment, si je n’avais pas pensé que le projet avait un potentiel, je n’y aurais pas consacré tout ce temps. Au fur et à mesure que nous développions le livret, nous avons organisé plusieurs représentations, devant un public d’invités, qui se sont toutes très bien passées. Nous ne pouvions pas entrer en phase de production tant que nous n’étions pas complètement sûrs de nous. Pourtant quand les répétitions démarrent et qu’on commence à créer les décors, vous réalisez subitement que le public va bientôt payer pour voir le show, que le succès n’est pas programmé, et soudain vous commencez à vous inquiéter. Dans notre cas, j’ai craint que les aspects « blasphématoires » de notre musical sortis de leur contexte suscitent des réactions négatives. Je n’ai jamais pensé que les mormons protesteraient, mais dans ce pays il y a quelques chrétiens fondamentalistes très militants, ce sont eux que je craignais. Mais finalement il ne s’est rien passé, j’ai été rassuré car dès les premières représentations, le public a bien compris que notre show n’était pas blasphématoire dans l’esprit.
Comment vous est venue l’idée d’écrire un musical sur les mormons avec Matt Stone et Trey Parker ?
Je m’intéresse aux mormons depuis longtemps, comme d’ailleurs à la religion en général. Les mormons fournissent une perspective unique sur la façon dont nait une religion car Joseph Smith, leur prophète-fondateur, vivait aux Etats-Unis dans les années 1800, c’est donc relativement récent. Le fait que cette religion soit basée sur des plaques d’or qu’il aurait trouvées après avoir parlé à Dieu semble bizarre et stupide mais au fond, ce n’est pas plus farfelu que les croyances judéo-chrétiennes qui paraissent plus crédibles juste parce que leurs racines sont plus anciennes.
J’ai rencontré Matt et Trey quand ils sont venus voir mon spectacle Avenue Q. Nous avons pris un verre ensemble. Ils m’ont demandé ce que je voulais faire ensuite. Je leur ai dit que j’étais intéressé d’écrire sur le mormonisme. Ils ne pouvaient pas y croire, parce qu’eux aussi avaient cette idée en tête depuis longtemps ! Du coup, nous avons décidé de le faire ensemble.
Comment s’est passée votre collaboration ? Qui a fait quoi ?
Nous avons eu beaucoup de plaisir. Nous nous retrouvions pendant une semaine deux fois par an pour échanger toutes nos idées. Il n’y a pas eu de division du travail, tout le monde a travaillé sur tout : livret, paroles, musique. Nous avons utilisé le studio dans la maison de Trey pour enregistrer nos démos. On avait l’impression de former un groupe : j’étais surtout au piano, Matt à la batterie et Trey dans la cabine de chant. Bien sûr il y a eu aussi des moments d’ennui et de frustration mais je me souviens surtout avoir beaucoup ri et les avoir fait beaucoup rire. Ce fut vraiment une collaboration joyeuse.
Vous avez déjà connu un grand succès avec Avenue Q. Cette expérience vous a‑t-elle aidé dans la création de The Book of Mormon ?
Disons qu’elle m’a permis d’éduquer Matt et Trey sur le processus d’élaboration d’une comédie musicale pour la scène, c’est une chose qu’ils ne connaissaient pas. Mais en réalité, avoir écrit un musical qui a marché n’aide pas vraiment dans la création de son prochain spectacle. C’est extrêmement difficile d’écrire une comédie musicale, c’est dur à chaque fois et rien ne peut le rendre plus facile.
Ne vous êtes-vous pas dit parfois que vous alliez peut-être un peu trop loin ? Je pense entre autres à la chanson « Hasa Diga Eebowai » (Fuck You God), à la scène où le missionnaire Elder Price se retrouve avec le Livre de Mormon dans le rectum…
Je n’aurais pas travaillé avec Matt et Trey si je n’avais pas voulu créer ce genre d’humour. Cela va peut-être vous surprendre mais c’est moi qui ai eu l’idée de la chanson « Hasa Diga Eebowai » et du livre dans le derrière !
The Book of Mormon a été plutôt bien reçu par les mormons. Le spectacle ne va-t-il pas les rendre populaires ?
Je pense qu’ils étaient populaires avant nous et continueront à l’être.
Quels sont vos moments préférés dans le spectacle ?
J’aime particulièrement la scène où Elder Price chante « I Believe » parce qu’elle fonctionne sur plusieurs niveaux. C’est hilarant, mais ce ne serait pas drôle si le personnage n’était pas à cent pour cent sincère. Du coup le public est en empathie et en même temps se moque de lui. J’aime bien aussi la reconstitution de l’histoire de Joseph Smith et des mormons par les habitants du village africain. C’est complètement « blasphématoire » mais ils le font avec sincérité, optimisme et plein d’espoir car c’est à la version qu’ils racontent qu’ils veulent croire. On assiste en quelque sorte à la création de leur nouvelle religion. C’est hilarant, six minutes de rires continus.
The Book of Mormon pourrait ouvrir à Londres en 2012. Confirmez-vous cette information ?
Je ne sais pas. Je pense que c’est en cours de discussion mais je n’ai pas de détail.
Envisagez-vous une adaptation pour le cinéma ?
Ce n’est pas prévu pour le moment mais c’est quelque chose dont nous avons parlé et que nous aimerions faire.
Savez-vous que Avenue Q sera créé en français à Paris l’année prochaine ?
Oui j’en ai entendu parler. J’adorerais venir le voir, toutes les excuses sont bonnes pour venir à Paris !
Quels conseils donneriez-vous aux comédiens qui vont jouer cette adaptation française ?
Essayez de ne pas jouer pour les rires, jouez juste la vérité de votre personnage et l’humour en émergera naturellement. Et surtout prenez du plaisir et amusez-vous !
Avez-vous déjà une idée de votre prochain musical ?
En même temps que The Book of Mormon, je travaillais sur un autre projet. Il est presque prêt mais nous continuons à travailler dessus. C’est une comédie romantique sur la conscience, j’espère que les gens l’apprécieront.
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