Pourquoi avoir choisi d’adapter Nine ?
J’ai toujours aimé ce que Nine dit sur la créativité d’un artiste, sur sa fragilité. Cette comédie musicale me permettait également d’envisager un casting hors pair, avec tous ces rôles extraordinaires : ce qui ne s’est pas vu depuis longtemps pour un film musical. Et Nine n’avait jamais été adapté au cinéma. Cette œuvre me parlait. La grande question pour moi est toujours : « pourquoi chantent-ils dans un film ? ». J’aime que tout soit justifié, en tout cas qu’il y ait une logique, une raison viable. Ce film conte ce qu’il arrive à Guido Contini. Il quitte la réalité pour se perdre dans l’onirisme : la clef se trouvait là pour moi. En prime j’adore l’Italie et les années soixante !
Quand avez-vous eu l’idée du décor en construction, que l’on découvre dès l’ouverture du film ?
Avant même de travailler avec Anthony Minghella, je me suis dit qu’il était indispensable de trouver le bon contexte pour les numéros musicaux. L’idée de cette scène en construction m’a aidé pour trouver le moyen de mettre en scène les différents morceaux musicaux qui s’inscrivent pour la plupart dans cette métaphore, l’aspect « en devenir ». Pour Guido, rien n’est fini, il est en plein marasme créatif. Il tente de meubler l’espace avec quelque chose. Il représente également le vide de sa vie, le côté inachevé de là où il se trouve actuellement.
Dans la version cinématographique, vous avez changé certains personnages, comme le rôle de la productrice, qui chante « Folies Bergère », devenue la créatrice de costume, pourquoi ?
Etant donné que nous bâtissions un véritable scénario, il nous fallait impérativement une histoire, un fil conducteur. Impossible d’avoir des personnages qui ne font qu’apparaître comme c’était le cas avec Liliane Lafleur, magistralement interprétée à Broadway par Liliane Montevecchi. Dans mon film, j’ai choisi de la transformer, d’en faire un personnage récurrent, la confidente de Guido qui est aussi la costumière de ses films. Quelqu’un qui le comprenne, qu’il n’ait pas besoin de séduire car ils se connaissent par cœur.
Ce personnage de costumière existe dans le film de Fellini, Eleonora, mais on ne le voit qu’au détour d’un plan.
Vous êtes observateur ! Je dois dire que j’ai auditionné une française, Guesch Patti. Elle était formidable et c’est d’ailleurs en la rencontrant que j’ai eu l’idée de faire du personnage une créatrice de costumes. Finalement nous n’avons pas pu faire le film avec elle car pour faire un film à Hollywood, il faut souvent des noms connus. Mais je garde un excellent souvenir de sa prestation. Elle a été à deux doigts de décrocher le rôle, mais il nous fallait des noms plus établis, surtout avec un tel budget. Je suis ravi d’avoir pu travailler avec Dame Judi Dench, que la plupart des spectateurs connaissent comme l’incarnation de « M » dans les derniers James Bond. Cette actrice n’en est pas à son coup d’essai en matière de comédie musicale puisqu’elle a créé à Londres le rôle de Sally Bowles dans Cabaret et, en 1996, a interprété Désirée dans A Little Night Music.
Comment avez-vous travaillé avec, dans une main, le film de Fellini et dans l’autre le show de Broadway ?
L’élément primordial était de ne surtout pas faire un remake de Huit et demi : c’est un tel chef d’œuvre qu’il serait totalement inconséquent de s’y attaquer. Je l’ai visionné, adoré, étudié puis mis de côté. J’ai procédé de la même manière avec le spectacle. Je l’ai disséqué pour en extraire tout ce qui pourrait être adapté au cinéma. J’ai eu la sensation étrange de créer une œuvre nouvelle, en reprenant tout depuis le début. Collaborer avec un scénariste comme Anthony Minghella fut très bénéfique. Une grande chance pour moi. Il avait toujours la bonne question au bon moment en ce qui concerne la dramaturgie, le sens d’une séquence, d’un mot. Maury Yeston, le compositeur, fut également d’une aide précieuse. Il était tellement ouvert pour créer de nouvelles choses, par exemple les trois chansons inédites que vous pouvez entendre dans le film. Il dit que : « mon nom de famille commence par Yes [NDLR : oui en français], par conséquent il m’est quasiment impossible de dire : No ! ». C’était tellement gentil de sa part.
Dans votre film certaines séquences sont similaires à celles qu’à tournées Fellini, est-ce un hommage ?
Vous retrouvez en effet certaines séquences en hommage à Fellini, qui sont directement inspirées de son film. Nous avions besoin de redéfinir la liaison charnelle entre Guido et Carla, de manière plus prononcée que sur scène. Dans le spectacle leur relation est évoquée par la chanson : « A Call From The Vatican », que l’on retrouve dans mon film. J’ai toutefois souhaité ajouter d’autres séquences avec Carla, superbement interprétée par Pénélope Cruz, telles qu’on les retrouve chez Fellini : l’arrivée à la gare, la séquence dans la chambre, Carla dans la station thermale. Pour la séquence avec la Saraghina, cette femme opulente qui séduit les gosses au bord de la mer et que l’on voit dans le numéro : « Be Italian », il me semblait juste de me réapproprier la vision du maestro, si ce n’est que dans Nine, la séquence s’intègre dans un numéro musical. Tout cela, c’est du travail délicat d’adaptation. Prenez par exemple la pièce Pygmalion qui devient à Broadway My Fair Lady ou même un autre film de Fellini : Les nuits de Cabiria qui devient Sweet Charity. On ne peut pas tout jeter, il faut réinventer à partir d’un matériau d’exception.
Pourquoi, selon vous, Fellini est-il une telle source d’inspiration pour Broadway ?
Je pense que son travail possède une musicalité intrinsèque, et un aspect visionnaire, une fantaisie totale. C’est un intellectuel mais qui ne rechigne pas à distraire, à rendre hommage au cirque – comme à la fin de Huit et demi -. Fellini est un véritable homme de spectacle. Pas étonnant que deux de ses films soient devenus des musicals. A quand : La dolce vita, the musical ?
Pourquoi avoir coupé la chanson finale : « Getting Tall » ?
L’idée principale dans cette chanson, que Guido enfant chante à Guido adulte, est : « tu vas avoir 40 ans et moi 9 ans ». Je resterai un enfant et toi tu dois être un homme. Mon sentiment est opposé : on conserve toujours l’enfant en soi, ce ne sont pas deux entités distinctes. L’enfant qu’il était apparaît dans les rêves de Guido, il l’emmène avec lui : ils s’élèvent tous deux dans le dernier plan du film. A mon sens ses rêves d’enfant manquent cruellement à Guido : les retrouver lui permet d’avancer dans la vie. C’est une autre philosophie. Par ailleurs, le message de Fellini à la fin de son film est : « acceptez-moi comme je suis : désordonné, créatif, parfois inconséquent… Venez rejoindre ma famille, le cirque de ma vie ! ». C’était une autre époque. A mes yeux il fallait que tout soit davantage axé sur le changement. Le dernier mot du film : « action », résume bien cela : c’est une porte ouverte vers : je vais changer pour devenir meilleur. Guido a été confronté à son ego, à ses abus.
Guido manque de confiance en lui ?
Oui, il est totalement déprimé, il ne sait plus où il en est. Dépassé par les événements, il se débat dans une spirale infernale. Il ment aux autres et se ment à lui-même. C’est pour cela que sa femme Luisa lui dit « évidemment que tu n’as pas de scénario : tu es bien trop occupé à écrire ta propre vie ». Il n’a plus de moyen de raconter une histoire, il est en quête de la vérité.
Guido était le double du cinéaste. Est-ce la même chose pour vous ?
Nine est un conte en forme d’avertissement. Il rappelle à tout un chacun de faire attention : vous ne devez pas écouter les voix critiques, elles vous détournent de votre chemin et vous attirent vers des réflexions qui peuvent se révéler stériles. Tout ce que vous pouvez faire, c’est faire confiance à votre voix intérieure, c’est ce que raconte le film et c’est un peu ma philosophie de la vie.