Richard Strauss, né en 1864, est un bavarois issu d’une riche famille sans aucun lien avec la dynastie autrichienne des Strauss, les grands maîtres de la valse viennoise. Il passe une jeunesse sage, sous la tutelle d’un père musicien. Il compose très jeune et est remarqué pour des partitions de facture classique mais déjà habiles. Il choisit rapidement une carrière de compositeur et de chef d’orchestre, et s’initie à la modernité musicale, Wagner en tête. Ses poèmes symphoniques, des pièces orchestrales basées sur un argument littéraires, le font connaître. Don Juan (1888) éclate comme un coup de tonnerre et crée la réputation du compositeur à 24 ans grâce aux sonorités extraordinaires qu’il tire de masses orchestrales gigantesques et parfaitement maîtrisées. Ensuite, le compositeur apporte régulièrement son nouvel opus, Mort et transfiguration (1889), Till l’espiègle (1895), Ainsi parlait Zarathoustra (1896), Don Quichotte (1899). Attiré par l’opéra comme tous les artistes de sa génération, il peine à se défaire de l’ombre écrasante de Richard Wagner qu’il décalque dans Guntram (1894) et Feuersnot (1901).
Le scandale de Salomé
Heureusement, Richard Strauss finit par trouver ses marques grâce au théâtre. Il voit sur scène Salomé de Oscar Wilde, puis Elektra, et les adapte successivement à l’opéra. Le premier opéra lui apporte en 1905 un énorme succès au parfum de soufre : « La danse des sept voiles » que Salomé termine nue et la scène où elle embrasse la tête tranchée de Jean-Baptiste font scandale. Mais la musique est irrésistible, tourbillonnante, érotique, et exaspérée. Strauss est reconnu comme compositeur d’opéra. Elektra (1909), à l’écriture très moderne, amène Strauss au contact du grand poète autrichien Hugo von Hofmannsthal (1874–1929). Tout deux satisfaits, ils conviennent de poursuivre leur collaboration. Hofmannsthal a été un adolescent poète surdoué, à la manière de Rimbaud en France puis, adulte, s’est tourné vers le théâtre et le roman. De son propre aveu, la musique lui permet d’exprimer ce que les mots seuls ne sauraient faire. Le Chevalier à la rose est un immense succès en 1911. Il mêle la farce aux tourments de l’âme d’une manière virtuose, et arrache rires et larmes, à travers un texte sophistiqué et une musique marquée par le Mozart des Noces de Figaro, et dont elle a séduction.
La première guerre mondiale marque le début de la suspension du temps pour Strauss. Il a 54 ans et se détourne du devenir de la musique pour se consacrer à son art. Il enchaîne ainsi Ariane à Naxos (1912), La femme sans ombre (1919), Intermezzo (1924, sans Hofmannsthal), Hélène d’Egypte (1929), Arabella (1933). Hofmannsthal meurt en 1929 pendant l’écriture de Arabella et laisse Strauss un moment inconsolable. La plus grande collaboration du théâtre musical depuis Mozart-Da Ponte a pris fin. Il envisage même de renoncer à 70 ans à écrire des opéras. Heureusement, il rencontre l’écrivain autrichien Stefan Zweig, qui élabore pour lui le livret de La femme silencieuse (1935). Strauss renoue avec l’enthousiasme de composer. Pourtant, malgré son poste de Président de la musique de chambre du Reich, la politique à l’écart de laquelle Strauss a toujours voulu se tenir, le rattrape. Il hurle au scandale en ne voyant pas le nom de son librettiste juif figurer sur l’affiche. C’est la rupture avec le régime nazi. Toutefois, n’ayant pas fui son pays, sa notoriété l’amène à fréquenter des notables nazis. D’encombrantes photos gardent le témoignage de ces douteuses fréquentations.
Lavé des soupçons de collaboration
Durant cette sombre période, un librettiste laborieux, Josef Gregor élabore des livrets médiocres à partir des esquisses que Zweig a laissé (Friedenstag et Daphné en 1938, L’amour de Danaé créé en 1954). Lassé par ces textes, Strauss s’associe avec le chef d’orchestre Clemens Krauss pour son dernier opéra. Il retrouve une lumineuse inspiration pour son oeuvre en forme de conversation musicale sur l’esthétique de l’opéra. Capriccio (1942) est son meilleur opéra depuis La femme silencieuse. A la fin de la guerre, il se présente aux soldats américains comme le « compositeur du Chevalier à la rose » et est rapidement exonéré des charges de complicité avec les nazis. Après avoir écrit les Quatre derniers lieder, les dernières mélodies de facture romantique, il s’éteint en 1949, au moment où Boulez, Stockhausen et consorts s’approprient la scène musicale contemporaine.
Singulier destin que celui de Richard Strauss. A une époque où la pression des mouvements collectifs se fait puissante, il maintient un individualisme forcené qui lui vaut bien des critiques. Au tournant des 19e et 20e siècles, on a attaqué la sauvagerie de son écriture. Plus tard, bien établi, il se voit reprocher sa sagesse bourgeoise. L’artiste ne laisse pas indifférent. Son écriture pour l’orchestre est flamboyante et virtuose pour les uns, cacophonique pour les autres. L’homme de théâtre a un goût sûr et il écrit magnifiquement pour les sopranos, tessiture de voix de sa propre épouse. A ces titres, il a incarné au début du 20e siècle l’opéra allemand moderne et revitalisé après le sommet Wagner, de la même façon que Puccini a repris le flambeau de Verdi en Italie. Incontournable, il a servi de modèle pour les jeunes artistes, et de repoussoir parfois.
Son influence a été diffuse mais considérable même si peu d’artistes se réclament directement de lui. Beaucoup des compositeurs européens qui ont fui aux Etats-Unis lui doivent quelque chose. A Broadway, Kurt Weill a amené sa science de l’orchestration et son attachement à des livrets originaux qui doivent un peu à Strauss. A Hollywood, Erich Wolfgand Korngold a baigné dans la musique de Strauss avant d’écrire les partitions pour des grands films des années 30 et 40. Depuis, les partitions des films américains sont redevables d’une immense dette envers le Strauss des poèmes symphoniques. En Europe, les opéras ne s’envisagent qu’avec de grosses pointures de la littérature et on ne craint plus d’alterner farce et drame, comédie et gravité, bref du vrai théâtre musical. Ainsi, les opéras de Strauss s’imposent nombreux au répertoire. En France toutefois, sa musique effraie encore un peu à cause de ses proportions vigoureuses. Si tout le monde connaît l’ouverture de Ainsi parlait Zarathoustra, popularisée par Stanley Kubrick dans 2001: L’odyssée de l’espace, ses opéras se fraient doucement mais fermement leur chemin auprès du public et révèlent de délectables splendeurs.
Les oeuvres de Richard Strauss
1894 — Guntram. Livret du compositeur
1901 — Feuersnot. Livret de Ernst von Wolzogen.
1905 — Salomé. Livret de Hedwig Lachmann, tiré de la pièce de Oscar Wilde.
1909 — Elektra. Livret de Hugo von Hofmannsthal.
1911 — Le Chevalier à la Rose (Der Rosenkavalier). Livret de Hugo von Hofmannsthal.
1912 — Ariane à Naxos (Ariadne auf Naxos) (version 2 en 1916). Livret de Hugo von Hofmannsthal.
1919 — La femme sans ombre (Die Frau ohne Schatten). Livret de Hugo von Hofmannsthal.
1925 — Intermezzo. Livret du compositeur.
1929 — Hélène d’Egypte (Die Aegyptische Helena). Livret de Hugo von Hofmannsthal.
1933 — Arabella. Livret de Hugo von Hofmannsthal.
1935 — La femme silencieuse (Die schweigsame Frau). Livret de Stefan Zweig.
1938 — Jour de Paix (Friedenstag). Livret de Joseph Gregor.
1938 — Daphné. Livret de Joseph Gregor.
1942 — Capriccio. Livret de Clemens Krauss et du compositeur.
1952 — L’amour de Danaé (Die Liebe der Danae). Livret de Joseph Gregor. Création posthume.