Pourquoi avoir choisi d’adapter She Loves Me ?
Laurent Lafitte : Il ne s’agit pas d’un musical typique de Broadway, ce n’est pas 42d Street par exemple. Même si l’écriture et l’efficacité sont à cent pour cent américaines, la dimension européenne de l’œuvre me paraissait idéale pour un public français. En France il est coutume de dire qu’il faut un tube pour qu’un spectacle soit un succès – et je commence à comprendre que c’est vrai – dans Rendez-vous le tube c’est l’histoire, que beaucoup de gens connaissent grâce par exemple au film The Shop Around The Corner d’Ernst Lubitsch.
Quand avez-vous découvert cette comédie musicale ?
Laurent Lafitte: She Loves Me fut mon « graduate show » lorsque j’ai fait mes études en Angleterre. Les diplômés font un spectacle en fin de cursus pour être présentés aux agents, nous avons donc présenté cette pièce.
Magali Bonfils : Pour reprendre une célèbre phrase d’un certain Laurent Laffite, c’est She Loves Me qui m’a choisie ! Je ne connaissais pas cette comédie musicale, ni la pièce. Laurent et Jean-Luc Revol, notre metteur en scène, par le biais d’un ami commun, m’ont contactée voilà huit ans pour passer une audition. En découvrant les chansons et les scènes à interpréter, je me suis tout de suite sentie à l’aise : c’est une forme de comédie musicale qui me convient parfaitement, tant sur la construction dramaturgique que dans les parties musicales.
Laurent Lafitte : Quand la version de 1964 a été créée à Broadway ce ne fut pas un triomphe, même si le spectacle a marché correctement, mais sa notoriété n’a pas traversé l’Atlantique contrairement à d’autres œuvres de ses auteurs, comme Un violon sur le toit, qui a bénéficié du hit « Ah, si j’étais riche » chanté par Yvan Rebroff.
Magali Bonfils : Quand on prend les chansons du show, par exemple la chanson titre « She Loves Me », elle est tellement brillante, superbe qu’elle reste dans l’oreille, musicalement elle marque.
Laurent Lafitte : C’est vrai, mais sortie de son contexte elle perd de sa force car les paroles sont totalement intégrées à l’intrigue. Je dois dire que je suis particulièrement sensible à la manière dont les chansons s’intègrent dans une dramaturgie.
Comment abordez-vous un rôle de comédie musicale, avez-vous une technique particulière ?
Laurent Lafitte : Etant donné qu’il s’agit de mon premier spectacle musical, je n’ai pas de technique. Si je fais un bilan, j’ai abordé le rôle de manière classique, en renforçant le travail sur les paramètres qui me sont moins familiers comme la danse et le chant. Pour ce dernier point, à partir du moment où l’on est loin du piano, mais en situation sur la scène, les choses changent totalement. Il m’aura fallu environ quinze représentations avant de me sentir à l’aise pour gérer le souffle et ne plus me poser de questions sur le placement de mes notes, pour ne plus angoisser. Je ne suis pas danseur du tout, Armelle Ferron est vraiment forte puisqu’elle arrive à créer une chorégraphie à partir de ce que l’on est capable de faire. Ensuite, il faut faire et recommencer jusqu’à atteindre le bon niveau. Mais je ne pensais pas que chanter me donnerait cette sensation, celle d’être à poil, qui n’a rien à voir avec le jeu pur.
Magali Bonfils : Je n’ai pas de méthode, je m’adapte en fonction de l’œuvre. Par exemple, je ne vais pas aborder un rôle que je crée comme un rôle, à l’instar de celui d’Amalia, qui a déjà été joué. Je tente dans ce cas de m’abstenir d’écouter les interprétations précédentes, en tout cas jusqu’à ce que je me sente suffisamment en possession du rôle. Au fur et à mesure, je me raconte l’histoire, nourris mon imaginaire du passé du personnage, de sa psychologie afin de lui donner corps. La partition de ce rôle est traitée de manière très lyrique, qui n’est pas ma manière naturelle de chanter : ma voix ne se place pas comme cela. J’ai vraiment fait un important travail musical en amont. Pour le jeu, même si j’avais une idée bien précise de mon Amalia, il fallait aussi voir comment la rencontre avec Kad allait se passer. De plus, il faut avoir l’écoute et la souplesse qu’exige le travail avec le metteur en scène et tous ses partenaires. C’est formidable de construire ensemble la pièce. Je me considère comme une marionnette entre les mains de mon metteur en scène, ce qui ne m’empêche donc pas d’avoir une idée très précise du personnage.
En tant que spectateur on ressent un véritable sentiment de troupe.
Laurent Lafitte : Lorsque nous avons distribué les rôles, dès les lectures, nous savions très bien ce que nous cherchions pour chaque personnage. En France, si on retrouve souvent les mêmes interprètes, on ne manque pas de talents pour distribuer une comédie musicale. Une erreur de casting ne se rattrape pas : il faut vraiment être vigilant durant les auditions. Heureusement, aucune déconvenue sur notre spectacle ! La distribution a permis également de moderniser cette pièce qui a plus de quarante ans : par exemple casser le premier rôle naïf de soprane. En effet Magali, même si elle a des aigus précis et puissants, possède une voix pleine qui s’étend sur une grande partie de sa tessiture. Cela nous a donc permis de moderniser le personnage que Barbara Cook avait créé. Ruthie Henshall l’avait modernisé, mais elle semblait lutter aussi avec ses graves, ce qui doit correspondre à une indication de jeu. On ne voulait pas de ça du tout. Avec Kad ce qui nous a intéressé c’est qu’il a un physique « boy next door », rien à voir avec le très séducteur James Stewart, du coup son histoire d’amour prend une autre dimension. On s’attache à lui en même temps qu’Amalia, petit à petit, ce qui est aussi une manière de moderniser le spectacle.
Magali Bonfils : Quelque chose d’incroyablement évident et efficace se trouve dans cette pièce, c’est la destinée de chaque personnage. En effet, chacun est important : l’histoire se boucle pour tous. Nous avons donc le temps de nous attacher. Et c’est vrai que nous nous entendons très bien, ce qui est primordial dans une troupe avec une tête d’affiche comme Kad et qui possède cet état d’esprit.
Laurent Lafitte : Il a peu d’expérience au théâtre et avait une véritable envie mêlée d’une grande humilité, ce qui compensait ce que sa notoriété aurait pu imposer. J’aime l’équilibre auquel nous sommes parvenus, tout le monde adore le spectacle. C’est d’ailleurs souvent le cas avec les troupes de comédie musicale à Paris car il y en a tellement peu qu’elles génèrent une énergie très particulière pour tous.
Avez-vous rencontré des difficultés pour monter ce spectacle ?
Laurent Lafitte : Quand on pense que la première lecture eut lieu en 2002… Oui ! D’ailleurs même lorsque Kad nous a rejoints, ce fut la croix et la bannière pour obtenir ne serait-ce qu’un rendez-vous avec un directeur de salles. Non seulement ce spectacle avait fait ses preuves à Broadway et à New York, enfin… on sait que ce n’est pas un gage de réussite pour les décideurs en France, mais en prime avec Kad qui venait d’avoir le César et Jean-Luc le Molière du meilleur spectacle musical. Je ne comprenais pas cette impossibilité de rencontrer ces directeurs ! Imaginez à Broadway si j’appelle un producteur pour lui proposer un musical avec un metteur en scène qui a eu un Tony Award avec en prime un acteur qui vient de recevoir un Oscar, je n’aurais eu aucun problème. Je sais qu’il est difficile de monter un spectacle, en revanche il devrait être plus facile de pouvoir le présenter. Enfin, nous y sommes arrivés et je suis reconnaissant aux personnes qui nous ont écoutés et nous ont accompagnés.
Aujourd’hui qu’est-ce qui vous fait le plus plaisir durant les représentations ?
Magali Bonfils : Ce que j’aime surtout ce sont ces spectateurs qui sont venus voir Kad et s’étonnent de la convention du théâtre musical avant de se laisser embarquer par cette manière de raconter l’histoire. On sent bien que les gens sont moins réfractaires qu’on pourrait le croire.
Laurent Lafitte : Le premier numéro provoque un certain flottement parmi les spectateurs et ensuite hop, ils nous accompagnent. Les entendre rire pendant les chansons : voilà qui prouve que le pari est réussi.