Olivier Desbordes, comment est né le Festival de St-Céré ?
Ça s’est fait au fur et à mesure, un peu au hasard des choses. Il y a eu d’abord un festival de chant choral à St-Céré jusqu’en 1980, que je suivais quand j’étais étudiant. Il y avait eu une expérience d’opéra et comme je faisais des études de théâtre, je me suis dit que ça, ça m’intéressait. En 1981, quand le président est parti, j’ai pris la suite en faisant de l’opéra. On a commencé un peu cahin-caha. En 85, c’était la grande période de décentralisation lancée par Jack Lang et la région Midi-Pyrénées nous a demandé de lancer Opéra Éclaté. A partir de là, on a « professionnalisé la boîte » en quelque sorte : on a commencé à avoir un peu de moyens et à faire des tournées régionales, puis nationales. La formule s’est affinée au fur et à mesure. On a également précisé notre ambition au niveau de politique de chanteurs : des prises de risques, des jeunes chanteurs qui à l’époque n’avaient aucun endroit où essayer des grands rôles. Voilà, comment c’est né.
Aujourd’hui, le festival a‑t-il évolué dans la direction que vous envisagiez au début ?
Dès le début, j’ai commencé à travailler avec des metteurs en scène qui venaient du théâtre. Je venais du théâtre et je trouvais que l’opéra avait besoin de cette théâtralité. Aujourd’hui, ça s’est un peu généralisé. Mais là où ça a évolué depuis quatre ans, c’est qu’on a repris avec mon ami comédien et metteur en scène Michel Fau, le Festival de Figeac. On a donc deux festivals dans la même région, la même structure pour les gérer. On a un pied dans le théâtre, un pied dans l’opéra, et ensuite, on a un ensemble qui va trouver des transversalités. Cabaret est l’exemple même de quelque chose de transversal puisqu’il utilise des chanteurs, des danseurs, des comédiens. Nous voulons mélanger les genres, aller du théâtre vers l’opéra et de l’opéra vers le théâtre.
Vous dites dans l’édito du catalogue du festival que vous voulez faire de votre projet « un lieu unique en France où le comédien peut être chanteur, le chanteur comédien, où les artistes sont acceptés dans toute l’étendue de leurs envies et leurs espoirs. » Vous trouvez que les artistes sont encore trop cloisonnés ?
Oui, et on essaie de casser ça. C’est avant tout un état d’esprit de troupe. On réunit une famille d’artistes avec laquelle on fait des choses. Un jour, un artiste a un grand rôle, le lendemain, un petit. C’est une manière de faire. L’esprit est tourné vers le public, sinon, on ne l’aurait pas fait ici, mais dans une grande ville, et on aurait eu beaucoup plus d’argent. On l’a fait là parce que je pensais que c’était important de se retourner vers les gens et de faire venir à nous un public de touristes pas captifs, de gens du tout-venant. Et l’hiver, on oriente notre action vers les écoles. Il faut se dire que si nous, directeurs de structure, n’avons pas envie de développer de nouveaux publics, l’opéra va s’assécher. D’ailleurs, dans certaines villes, le public vieillit. Or, l’opéra est un art qui a des choses à dire, sur la vie, la femme, la société…C’est un lien d’expression comme un autre qui n’est pas que décoratif.
En dehors de la décentralisation, vous dites aussi souhaiter rendre les œuvres plus accessibles. Pour vous, cela passe par quoi ? Dépoussiérer l’œuvre ? Démystifier un genre ?
Dépoussiérer est un bon et un mauvais terme. Une œuvre en elle-même n’est pas poussiéreuse. La poussière, c’est le temps et les traditions qui se sont rajoutées par dessus, ou même les goûts de certaines époques qu’on n’a pas su dégager pour retrouver l’essentiel d’une œuvre. Je ne dépoussière pas une œuvre, je dépoussière ce qu’on en a fait. Après, c’est prétentieux ce que je dis, mais j’essaie !
Sur toutes ces années de festival, pensez-vous avoir amené un nouveau public vers des œuvres qu’il ne serait pas forcément allé voir au départ ?
La vertu des festivals, et surtout un festival comme le notre, avec un château et un beau cadre, fait qu’on a un public captif d’opéra, ainsi qu’un public en vacances qui ne sait pas ce qu’il va voir et qui vient voir un truc dans un château. C’est aussi pour ça que je fais souvent des œuvres grand public, pour que ce public commence son approche de l’opéra par quelque chose qui est d’une approche facile. Rentrer dans l’opéra par La Traviata est plus simple que par du Hindemith. On a toujours des œuvres grand public et autour on essaie de mettre des découvertes pour ensuite apprendre au public à aller voir ailleurs. C’est une stratégie. On parlait tout à l’heure de cloisonnement : nous, on a envie de faire des portes dans les cloisons. Faire de l’opéra, ce n’est pas faire le même métier que faire du théâtre, mais il y a quand même des liens.
Venons-en à Cabaret que vous présentez cette année. Comment s’est fait le choix de cette œuvre ?
C’est tout à fait le hasard. Je n’osais pas rêver de le faire. Puis Folies d’O à Montpellier me l’a proposé. Je me suis beaucoup documenté. J’adore cette période : fascinante, créative, hallucinante, qui a inventé l’art et l’architecture contemporains.
Quel était votre rapport à l’œuvre ?
J’ai vu le film avec Minnelli quand il est sorti, c’est ça l’avantage de mon âge ! Là, j’ai pris l’œuvre telle que les Américains nous l’ont autorisée, c’est-à-dire pratiquement la première version. On n’a pas eu le droit de rajouter des chansons même si on a essayé [NDLR : les chansons écrites pour le film n’y sont pas]. En même temps, il y a de belles chansons qu’on ne connaissait pas. Je trouvais que la version que nous avons eue à Paris il y a quelques années édulcorait un peu le sujet de l’homosexualité, alors que c’est très clair dans le texte d’origine. Le film ne montrait rien mais on voyait très bien qu’il y avait un rapport trouble. J’ai essayé de travailler ça pour que le rapport entre l’écrivain et l’Allemand soit trouble.
A partir de là, vous faites une proposition assez radicale, notamment dans le traitement des personnages de Schultz et Schneider, ou bien le fait que les scènes hors cabaret, soient quand même jouées sur une scène à l’intérieur de la scène…
Je me suis posé la question du problème de la construction systématique des comédies musicales américaines où il y a les scènes d’ensemble, puis un petit chariot qui arrive avec la cuisine ou la chambre avec une scène. Que faire avec ça ? Souvent, on attend que les grosses scènes reviennent. En même temps, les situations de ces scènes sont intéressantes. Comment les rendre pas gnan-gnan. J’ai donc essayé de mélanger la réalité et la fiction. C’est un peu comme dans Les enfants du Paradis, on voit tout le temps le théâtre par les coulisses. Qui joue, qui ne joue pas ? Mélanger tout ça pour faire recréer une humanité. Tout le monde est dans le même bateau, et il tangue. C’est comme une cour d’immeuble, tout le monde s’interpelle. C’est un microcosme… Et notre métier est aussi un microcosme qui est en même temps une représentation du monde.
En dehors des films muets, quelles ont été vos autres références ?
Les robes de Marlene Dietrich : il y en a partout ! Le décor est inspiré des décors constructivistes des années 30, avec des diagonales dans tous les sens : c’est un monde qui tient encore mais qui bascule. C’est ça l’histoire de Cabaret. Et j’ai mis une fenêtre sur une réalité historique avec les projections qui sont toutes d’époque.
Quelles sont vos envies, vos perspectives pour le futur ? Le Théâtre de l’Usine à St-Céré est actuellement en travaux…
Ici, quand le site va être refait, on va avoir une nouvelle salle de spectacle, de répétitions, des lieux d’accueil, des hébergements : on va avoir des outils pour faire des résidences, accueillir nos équipes, travailler l’hiver et par voie de conséquence animer notre territoire, travailler avec les jeunes… faire un travail dans un milieu rural. Ce qui a intéressé l’État dans notre labelisation, c’est qu’on est justement dans un milieu rural et qu’on peut y faire des arts d’exception, qui sont pour le moment uniquement revendiqué par les grandes villes. C’est un peu facile à dire, mais j’ai une vision républicaine. Tous les citoyens ont les mêmes droits. Comme le disaient les créateurs du Festival d’Avignon, tous les citoyens ont le droit à l’eau, l’électricité et la culture. Et on va continuer ça. Et même si on n’est pas des guerriers, face à l’intolérance, la peur de l’autre, on peut avoir quand même une utilité pour l’ouverture d’esprit, la reconnaissance. Faire ressortir les gens de chez eux pour qu’ils partagent des émotions en commun. Ça passe par une fête de village comme par un spectacle. Retrouver de la société : c’est pour ça que je fais ce métier.
Lire nos critiques de Cabaret et Le Voyage dans la Lune
Lire notre interview d’Olivier Desbordes (2008)
Plus d’infos sur le site du Festival de St Céré et le site du Festival de Figeac