Kostia Testut et Paul Calori, comment a démarré votre collaboration ? Vous vous êtes rencontrés à La Femis (NDLR : école de cinéma) ?
Kostia Testut : On était dans la même promo mais pas dans le même département : j’étais en scénario, Paul en réalisation. On avait travaillé ensemble plusieurs fois et en sortant on a eu l’occasion de réaliser un court-métrage pour Arte et on a eu l’envie de faire une comédie musicale. C’était un sujet social, imposé par Arte, sur le thème « Vous êtes viré ». On s’est dit que le genre nous permettrait d’être plus original dans notre approche mais aussi, paradoxalement, d’insuffler plus de profondeur par la fantaisie, la légèreté qu’apporte — a priori — la comédie musicale. Grâce à une chanson, on peut rentrer plus profondément dans les thématiques. On a donc réalisé une comédie musicale de huit minutes, dans une usine de textiles, et on a eu l’opportunité par la suite de faire un long métrage sur ce même thème.
Est-ce que la comédie musicale était déjà un genre qui vous plaisait avant ?
Paul Calori : C’était un genre qu’on aimait mais qu’on n’avait pas particulièrement creusé. Quand Kostia m’a parlé d’ouvrières en colère, qui au lieu de parler leurs slogans les chanteraient, j’ai trouvé super cette idée de croiser la révolte sociale et la chanson. Je n’ai pas vu de film qui fasse ça vraiment et ça permet de dire des choses intéressantes sous une forme originale.

Comment s’est opérée la transition du court au long ?
Kostia Testut : Le court métrage a été sélectionné dans différents festivals. A l’occasion d’une projection à Angers, un producteur est venu nous voir pour nous dire qu’il avait aimé notre court et voulait qu’on le développe en long-métrage. On a pris du temps avec Paul pour écrire le scénario. Au cours de cette écriture, on a déterminé différents endroits qui selon nous donneraient lieu à de beaux numéros musicaux. On s’est dit qu’on allait essayer d’intéresser telle chanteuse, tel parolier, et de travailler avec une diversité d’auteurs compositeurs pour donner une diversité de styles à l’ensemble. Demander à Olivia Ruiz, Jeanne Cherhal ou Albin de la Simone d’écrire une chanson ne se fait pas du jour au lendemain, il faut les rencontrer, les intéresser, puis qu’ils aient du temps pour écrire les chansons en question. Ça a rajouté un temps incompressible. Tout ça nous a pris presque trois ans… jusqu’à ce que le producteur fasse faillite !
Avec Paul, on s’est posé la question de continuer le projet ou de passer à autre chose. On a eu envie de persévérer parce que ce projet nous habitait depuis longtemps et qu’on se disait que ce film avait une raison d’exister. On a fini par rencontrer le producteur Xavier Delmas, de Loin derrière l’Oural, qui a tout de suite eu un coup de foudre pour le projet et nous a accompagnés jusqu’à obtenir les financements supplémentaires. Tout ça, c’est une aventure de plus de cinq ans.
Quelles sont vos références en matière de comédie musicale ?
Paul Calori : On est allé chercher chez beaucoup de réalisateurs différents : du coté de Stanley Donen ou de Bob Fosse, qui peut aborder des sujets graves et sociaux comme Sweet Charity, qui parle de prostitution mais dont il arrive à faire quelque chose de drôle, ironique, acide et doux-amer. Bien sûr, on connaissait Jacques Demy qui a infusé chez nous. On est aussi allé du côté de l’opéra rock comme dans The Phantom of the Paradise, où ce n’est pas un compositeur qui écrit la musique mais plusieurs. On voulait être très large dans nos influences sans vouloir être élitiste.
Kostia Testut: Paul cite des films mais on pourrait aussi citer des spectacles. Je suis très sensible à ce que fait Stephen Sondheim, ou à toutes ces créations qu’il y a eu au Théâtre du Châtelet dernièrement. C’est la liberté que nous offre le genre qui nous plaisait et pas tant un hommage à un réalisateur particulier. Finalement, ce qu’on voulait, c’était se faire plaisir.
Quand on parle de comédie musicale cinématographique française, les critiques ou journalistes ne peuvent s’empêcher de faire la comparaison avec Demy même si le film n’a pas grand chose à voir avec. Est-ce que ça vous énerve ?
Kostia Testut : Oui, évidemment ça nous énerve parce que, au fond, c’est une preuve de manque d’intérêt pour le genre. On a rencontré des journalistes qui ne s’y connaissent pas énormément et qui nous citent Demy. C’est humain en même temps, parce qu’on croit que la comédie musicale se limite à Demy et à des films qui ont plus de cinquante ans.
On adore Demy. Une chambre en ville a été une de nos références. Mais c’est surtout révélateur d’un manque d’intérêt flagrant pour la comédie musicale en France comme si c’était un sous-genre vulgaire. Malgré des re-créations au Théâtre du Châtelet qui redonnent du prestige au genre, ça reste bizarrement un genre de sous-culture un peu méprisable.
Paul Calori : C’est peut-être un caractère français de se dire que les classiques ont déjà tout dit : Corneille sur le pouvoir, Racine sur la passion amoureuse et Demy sur la comédie musicale en France… Il y a un côté confortable à se dire que tout a déjà été traité et que quand on se lance dans un genre, c’est forcément pour rendre hommage à un classique. Du coup, il y a un manque de confiance dans le fait qu’on pourrait inventer des choses nouvelles, tenter des hybridations, explorer des nouvelles formes.

Par rapport à la mise en production, avez-vous eu du mal à convaincre les investisseurs avec un premier long-métrage, comédie musicale de surcroît ?
Kostia Testut : Il faut distinguer les financeurs privés des financeurs publics. Les financeurs privés nous ramènent toujours à cette réalité implacable que les comédies musicales n’ont pas de succès au box-office en France. Ils nous ont sorti la liste des comédies musicales qui sont sorties ces dix dernières années et aucune n’a été un succès en termes de rentabilité. Or, le cinéma est une industrie culturelle et le terme industrie veut bien dire qu’il faut faire du bénéfice et que ce n’est pas du mécénat !
En revanche, on a été épaulé par des financeurs publics — même s’ils ont eux aussi un intérêt de rentabilité — comme le CNC, France 3 Cinéma, la région Rhône Alpes ou la Fondation GAN.
On a donc été confronté à deux types de réactions. D’un côté, des personnes plutôt conservatrices qui, face aux lois du marché, pensaient qu’il ne fallait pas investir dans le film parce que ce serait un échec financier, et de l’autre, des personnes qui ont voulu participer au film pour le défi artistique qu’il représentait.
Paul Calori : Les gens qui nous ont soutenus sont des individualités précises, cinéphiles, qui ont compris le projet, qui avaient confiance en la comédie musicale et avaient des films fétiches. Ce n’est pas par une étude qu’ils ont été convaincus de l’intérêt du film, mais par goût personnel et du coup, ils ont osé le défendre face aux lois du marché.
A quelles difficultés inhérentes à une comédie musicale filmée avez-vous été confrontés ?
Paul Calori : Tout peut se préparer : on peut prévoir du temps pour les auditions des danseurs, pour les répétitions, pour le coaching des comédiens qui ne sont pas forcément des chanteurs, pour les échauffements, etc. Mais il y a tellement peu de comédies musicales filmées en France qu’il y a finalement peu de gens habitués à mettre ça en place. Il faut tout le temps faire attention à ce que ces temps spécifiques aient été prévus par la production et par tous les intervenants. On peut facilement « oublier » qu’il faut s’échauffer avant de danser. Ou encore, des danseuses qui viennent de la scène, habituées à se concentrer sur deux heures de spectacle, n’ont peut être pas l’habitude de rester concentrées sur des journées de huit heures et à être prêtes à tout moment dès que la caméra tourne. On a pas mal essuyé de plâtres car on était beaucoup à découvrir quelles étaient les nécessités d’une comédie musicale filmée.
A part Les Misérables, la plupart des comédies musicales utilisent des chansons pré-enregistrées sur le tournage, et c’est également ce que vous avez fait mais vous êtes-vous quand même posé la question de l’enregistrement en direct ?
Paul Calori : On a eu un temps de réflexion avec l’ingénieur du son de Holy Motors qui avait tourné cette séquence incroyable où Kylie Minogue chante dans la Samaritaine déserte. C’est un défi pour une équipe de cinéma et un ingénieur du son d’enregistrer une chanteuse en live, en comédie musicale, avec tous les problèmes de micro, de sons parasites, de justesse, de mouvements. Ca aurait été quelque chose de très excitant pour un ingénieur du son mais très compliqué.
Kostia Testut : Au delà de ça, il y avait aussi la question du sens : on s’est rendu compte que le propos du film ne s’y prêtait pas. Finalement, le play back irrigue ce qu’on voulait dire : au fond, tous les personnages chantent une chanson qui a trait à un monde rêvé, enchanté. Le sens du film est là : faites confiance à vos rêves. Chanter en direct aurait ramené du réel alors qu’on était plutôt parti à l’inverse avec l’envie de chanter un monde merveilleux dans un réel désenchanté.

Après ce premier long, avez-vous d’autres envies de comédies musicales ?
Kostia Testut : Ce qui m’exciterait le plus serait de travailler autour du corps, de la danse, du mouvement, de la chorégraphie et de faire une comédie musicale qui n’en soit pas vraiment une, qui ne chante pas vraiment mais où le corps et la chorégraphie seraient mis en avant. Je n’ai pas de projet en tête mais je sais que c’est ça que j’aimerais explorer. Par exemple, Stephen Sondheim et James Lapine ont eu une fois un projet autour d’un jeune homme qui fait de la musculation. Ce projet n’a pas été fait mais c’est exactement ça qui m’intéresse.
Paul Calori : J’ai le sentiment qu’à certains endroits du film, on est arrivé à toucher des émotions différentes, et ça me donne envie de continuer à explorer ce genre. Si c’est bien écrit, que la musique est bien, que c’est bien mis en scène et bien interprété, pendant un instant très court, qui est celui d’une chanson, il y a une émotion très forte qui passe, quelque chose de très direct entre le comédien et le spectateur. Je trouve ça très excitant ce côté « art total » dans lequel une information passe très vite : on résume rapidement l’état d’un personnage, son passé, son futur, son présent, son sentiment. Je trouve ça vertigineux et il y a encore plein de choses à explorer, surtout en France où il n’y a pas grand monde qui le fait. Si on arrive à convaincre des financeurs, ça peut donner un champ assez libre d’expérimentation.
Sur quel pied danser de Kostia Testu et Paul Calori, sortie nationale le 6 juillet 2016.
Lire notre avis sur le film, ici.
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