
Franck Berthier, comment êtes-vous arrivé sur ce projet ?
Avant tout par l’intérêt que je porte à 24 heures de la vie d’une femme, le roman, et la finesse et la qualité d’écriture de Zweig. Il y a une immense précision dans la peinture émotionnelle de cette femme à la fin du XIXe siècle. Il y a quelque chose de tchekhovien dans sa façon de dépeindre l’âme humaine. J’ai mis en scène plusieurs pièces de Tchekhov et je suis sensible à cette émotion.
Isabelle Georges portait ce projet, sous une forme musicale, et cherchait un metteur en scène : c’est ainsi que les choses se sont faites. C’était un challenge intéressant pour moi de mettre en scène du théâtre musical qui ne s’apparente ni à la comédie musicale, ni à l’oratorio mais qui n’est pas loin de ce que Brecht a pu faire avec Mahagonny : c’est de la dramaturgie théâtrale avant toute chose. Quant à la musique de Sergei Dreznin, c’est un melting-pot de plusieurs courants : opérette, musique romantique, comédie musicale… Il y a dans cette musique de l’exigence et de la diversité qui servent bien l’écriture de Zweig.
Vous étiez familier avec le théâtre musical auparavant ? Quels sont les principaux challenges du genre, selon vous ?
J’avais mis en scène L’Opéra de Quat’ sous et Cabaret Vienne Berlin. J’ai également travaillé avec Bob Wilson à Bastille pour de l’opéra pur. Ce qui est intéressant, c’est de trouver la raison pour laquelle la musique prend le pas sur le verbe, essayer de trouver la charnière et pouvoir se dire que c’est « normal » que les personnages chantent. C ‘est un exercice périlleux et il faut essayer de rendre ça le plus fluide possible.
Comment décririez-vous votre mise en scène ?
Graphique, picturale. Je me suis beaucoup inspiré de Edward Hopper. Je me suis attaché à « refroidir » la musique et créer un contre-pied à ses envolées romantiques par une radicalité de l’image. C’est une vision épurée de manière à ne pas boursoufler la musique avec une mise en scène qui en rajoute, au contraire, il s’agit de me rendre le plus invisible possible. Le parcours psychologique des personnages est dans le texte, l’interprétation : il fallait donc que l’image soit pure et réponde à quelque chose de cinématographique car le roman l’est.
Vous avez choisi de sortir le roman de son époque, pourquoi ce choix ?
Le piège premier est de faire quelque chose à la Visconti : c’est magnifique mais c’est tellement évident qu’il ne faut pas y aller. Cet amour incandescent est peut-être inscrit dans une époque mais il est avant tout intemporel. On pourrait très bien le placer dans une réalité actuelle. Aujourd’hui, il y a certes une plus grande liberté de ton et de mœurs, mais quand une femme ressent un émoi pour un homme qui pourrait être son fils, cela reste troublant. La question est intemporelle. Et puis, le réalisme au théâtre m’emmerde ! Quand je vais au théâtre, j’ai envie d’être ailleurs, j’ai besoin d’un décalage. Ce qui est beau dans une histoire comme celle-ci, c’est de susciter l’imaginaire du spectateur et lui proposer un support visuel qui lui permette de se projeter.
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