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Rencontre avec Anna Louizos, créatrice des décors d’Avenue Q

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Anna Louizos © DR

Anna Louizos, com­ment l’aven­ture d’Avenue Q a‑t-elle débuté pour vous ? Quels en sont vos pre­miers souvenirs ?
La pre­mière fois que j’ai vu Avenue Q, c’é­tait sous la forme d’un work­shop, il y avait juste quelques chan­sons, et les auteurs avaient au départ l’idée d’en faire un pilote télé des­tiné à un pub­lic qui avait gran­di avec 1 Rue Sésame, mais était main­tenant devenu adulte avec les prob­lèmes qui vont avec. Quand le met­teur en scène a été choisi [pour une ver­sion spec­ta­cle], nous avons dis­cuté des décors, de la façon dont le quarti­er serait représen­té. Puis, nous avons fait un autre work­shop l’été suiv­ant avant de le jouer off-Broad­way dans un petit théâtre. Nous voulions recréer un quarti­er un peu délabré en dehors de Man­hat­tan, comme le Queens par exem­ple. J’ai donc pris beau­coup de pho­tos de dif­férents quartiers et je voulais trou­ver la bonne com­bi­nai­son d’im­meubles qui pour­rait fonc­tion­ner. Comme les mar­i­on­nettes sont très col­orées, nous souhaitions qu’elles ressor­tent, je voulais donc que le quarti­er soit un peu gris et terne, ce qui est appro­prié puisqu’il est délabré.
Entre temps, nous avons dû définir où les per­son­nages habit­eraient : Trekkie dans cet immeu­ble, Prince­ton dans celui-là, etc. Comme c’é­tait une créa­tion, tout était pos­si­ble. Un des prob­lèmes était de gér­er la taille des mar­i­on­nettes et celle des humains, et la façon dont les deux pou­vaient coex­is­ter. J’ai donc réduit la hau­teur des immeubles afin qu’ils aient une taille adéquate pour les deux. Nous avons aus­si pen­sé que le côté « Cal­en­dri­er de l’Avent » du décor ajouterait du charme : il y avait une émis­sion télé des années 60 dans laque­lle les per­son­nages ouvraient une fenêtre, dis­aient quelque chose de drôle au pub­lic avant de refer­mer la fenêtre. Nous avons util­isé cette idée.

Vous avait-on don­né d’autres indi­ca­tions en dehors de « délabré » ?
Je ne pense pas que les auteurs avaient une idée extrême­ment pré­cise au moment de l’écri­t­ure en dehors de l’in­spi­ra­tion de 1 Rue Sésame. J’ai donc regardé cette émis­sion mais en ter­mes de décors, c’est un peu car­toonesque et pas assez authen­tique. Nous avons décidé avec le met­teur en scène que le décor devait avoir une cer­taine patine, et que si les per­son­nages habitaient dans un lieu plus réal­iste, cela marcherait mieux, les sit­u­a­tions auraient l’air plus réel. En revanche, les intérieurs sont à l’échelle des mar­i­on­nettes. C’est tout petit, mais c’est ça, à mon avis, qui fait le charme et l’hu­mour d’Avenue Q.

Avez-vous super­visé la con­struc­tion du décor parisien ?
Julien, qui super­vise la con­struc­tion, est venu à New York. Je lui ai con­fié toute la doc­u­men­ta­tion, les plans, les dessins, les recherch­es, les couleurs, et je lui ai fait vis­iter le décor. Le show paraît très sim­ple, vu de l’ex­térieur, mais il est en fait très com­pliqué. Il y a des gens qui changent de mar­i­on­nettes en plein milieu d’une chan­son, d’autres qui se pré­cip­i­tent en couliss­es puis appa­rais­sent à une fenêtre, puis dans la rue… Il y a des choses qui s’ou­vrent puis qui se fer­ment… Je voulais qu’il com­prenne cette com­plex­ité, qu’il ne pense pas que c’est facile. Julien a donc tout vu en détail. Ensuite, le décor a été con­stru­it en moins d’un mois, et je suis très heureuse du rendu.

La maque­tte d’Av­enue Q © DR Anna Louizos

Que ressen­tez-vous en voy­ant Avenue Q à Paris et en français ?
J’adore. Je ne com­prends pas tout mais je com­prends de plus en plus, surtout l’ar­got et ses mots si spécifiques !

Vous apprenez tous les gros mots en fait !
C’est ça ! (rires) J’ap­prends à jur­er en français !

Votre tra­vail a mon­tré dif­férents aspects de New York dans des spec­ta­cles tels que Avenue Q, In The Heights, tick, tick… BOOM ! ou encore la série Sex and The City dont vous avez été la direc­trice artis­tique. Qu’aimez-vous par­ti­c­ulière­ment dans cette ville et com­ment cela se traduit-il dans votre travail ?
Je pense que j’aime New York pour la même rai­son que j’aime Paris : ce sont deux villes uniques. Quand vous marchez dans la rue, vous voyez quelque chose d’actuel, puis une autre chose qui date d’il y a vingt ans, et une autre qui a plus d’un siè­cle… Il y a telle­ment de strates dif­férentes d’his­toire et tout ça co-existe. Quand je crée un décor new-yorkais, c’est vrai­ment très exci­tant pour moi car je dois recréer toutes ces strates et les faire vivre et se mélanger ensem­ble sur scène. Par exem­ple, le mur n’est pas qu’un mur bleu. Il est bleu, mais il y un peu de jaune qui date d’il y a quar­ante ans, et puis au final, il y a un peu de tout… C’est ce que j’ai fait sur Avenue Q et qui lui donne son aspect réal­iste. Ce n’est pas juste pro­pre et joli, il y a des touch­es spé­ci­fiques qui lui appor­tent de la vie et de l’histoire.

Vous aviez réal­isé des décors très impres­sion­nants pour In The Heights. Pou­vez-vous nous par­ler de votre tra­vail sur cette pro­duc­tion ?L’ac­tion se déroulait dans un quarti­er réel donc je devais ren­dre hom­mage à ce lieu mais comme c’est un musi­cal, il y a un sens de l’é­mo­tion qui doit être plus fort. Sur scène, bien enten­du, l’e­space pour représen­ter un quarti­er entier est plus lim­ité, donc une des solu­tions étaient de faire des immeubles trans­par­ents. Les étages supérieurs étaient trans­par­ents : on voy­ait à tra­vers les façades de briques. Cela créait l’im­pres­sion que beau­coup de gens vivaient dans ces immeubles et qu’il y a plus d’ar­chi­tec­ture que ce que l’e­space réel autoris­erait. J’ai égale­ment beau­coup joué sur les échelles de grandeur. Les étages supérieurs ne seraient pas suff­isam­ment grands pour que de gens y vivent réelle­ment. Ils sont de plus en plus petits pour créer le sens de la hauteur.

La maque­tte de In The Heights © DR Anna Louizos

Quel a été le décor le plus dif­fi­cile à concevoir ?
Le plus dif­fi­cile, c’est quand il y a beau­coup de scènes qui s’en­chaî­nent. J’ai créé les décors de White Christ­mas. Il y avait entre vingt et trente scènes. Il faut faire en sorte que toute la mécanique soit cal­culée au mil­limètre et à la sec­onde près pour qu’un décor appa­raisse quand l’autre part dans les cin­tres. Un autre décor que j’ai créé était pour High Fideli­ty. Ca n’a pas duré longtemps mais c’é­tait très com­plexe en ter­mes de décors. Cela m’a d’ailleurs valu une nom­i­na­tion aux Tonys.

Y‑a-t-il un musi­cal exis­tant dont vous rêver­iez de créer les décors ?
Hmm­mm.… Vous savez, je con­sid­ère avoir beau­coup de chance de pou­voir tra­vailler sur des créa­tions et c’est telle­ment rare de pou­voir le faire. J’ai fait des revivals comme My Fair Lady, Sev­en Brides For Sev­en Broth­ers. C’est sym­pa à faire, mais c’est telle­ment plus exci­tant de tra­vailler sur quelque chose d’o­rig­i­nal : par­tir de zéro et met­tre son empreinte.

Si vous deviez créer un décor parisien, que proposeriez-vous ?
Comme Gigi par exem­ple (rires).

Par exem­ple. Ou Un Améri­cain à Paris
Oh, j’ador­erais faire Un Améri­cain à Paris, ce serait telle­ment exci­tant à faire. Le chal­lenge serait de cap­tur­er la vital­ité de Paris, la beauté de ses rues et des immeubles mais égale­ment les vues que l’on a le long des avenues, les couleurs. Ce serait un rêve.