Nous sommes en pleine seconde partie, lorsque la comédie musicale prend un tour plus sombre, au moment où débute la répétition. Ce qui frappe tout d’abord c’est la majesté du décor, signé Alex Eales. Le saisissement devant cette forêt est le même que celui qui étreint chaque spectateur au Théâtre du Peuple de Bussang lorsque les portes de fond de scène s’ouvrent sur une véritable forêt. La magie opère déjà. Et lorsque, sous la baguette de David Charles Abell, l’orchestre attaque « Lament », plus aucun doute n’est permis : nous sommes bien propulsés dans l’univers des contes, en tout cas dans la vision qu’en donnent Sondheim et Lapine. Dans le rôle de la sorcière Berverley Klein fait preuve d’une nature formidable, idéale.
Dans le casting nous retrouvons avec plaisir certains noms qui figuraient sur les programmes de A Little Night Music, Sweeney Todd ou Sunday In The Park With George. Nicholas Garrett, Francesca Jackson, David Curry, Scott Emerson… seront de nouveau imprimés sur ceux de cette nouvelle production.

Comme autant de lutins les membres de l’équipe technique s’affairent pour que la vision de Lee Blakeley puisse s’épanouir et que, tel un puzzle, tous les éléments de mise en scène s’imbriquent pour faire vivre — ou mourir ! — les personnages, menacés par la géante à la voix spectrale, celle, ajoutant à la magie, de Fanny Ardant. Nous voilà cette fois ci totalement happés. Et même si les chanteurs interprètent de manière assez technique les chansons, il en faut de la concentration pour ne pas être perturbé dans son jeu par le travail des lumières, complexes à mettre au point, mais au rendu poétique indéniable.
Même si le jeu des comédiens, les déplacements ont été préalablement mises en place, Lee Blakeley a le regard perçant et se précipite sur scène corriger une intention, la position d’une main… Tout est dans le détail à l’instar des costumes de Mark Bouman, aux finitions incroyablement fines. Ce luxe se traduit par une caresse pour les yeux, tant sur le plan des couleurs que des matières. Les précédentes mises en scène des œuvres de Sondheim bénéficiaient de cette même attention.

La formation orchestrale permet de donner à la partition le relief nécessaire. De la fosse naît également une belle émotion : les mélodies, comptines, parties gaies ou tristes mettant en valeur les voix, très intéressantes, des divers chanteurs. La mise en scène joue d’un décor pentu, en tournette. La disparition de la sorcière, qui se doit d’être spectaculaire, mais avec douceur, sera un peu difficile à régler, mais l’effet fonctionnera. Ce bois est décidément peuplé de tout un tas de créatures diverses, certaines portants casque, d’autres harnais… C’est à ce prix que le spectateur pourra rêver éveillé.
Le final posera quelques soucis. Lorena Randi, chorégraphe, doit préciser les places, les mouvements déjà appris pour que les effets tombent parfaitement. Le hasard n’a pas véritablement sa place dans une œuvre où il est question de magie. D’autant que la pleine lune en voit de toutes les couleurs, passant de la froideur d’un bleu à un rouge sang. Et soudain la vache arrive sur scène. Lee Blakeley a choisi l’option de la marionnette manipulée à vue. Tous les animaux bénéficient du même traitement.
Alors c’est certain, comme le dit un couplet : « foolishness can happen in the woods ». Il serait bien dommage de ne pas tenter l’aventure et se perdre avec délice dans ces bois intrigants aux chemins subtils.
