Le plus célèbre des compositeurs russes Piotr Ilitch Tchaïkovski naît en 1840 aux confins de la Sibérie. Sa mère adorée a une ascendance française. C’est elle qui initie son jeune fils au piano avant d’être emportée par le choléra alors qu’il a 14 ans. Ce drame le marque à jamais, le rendant foncièrement pessimiste. Avant d’opter définitivement pour la musique, il suit une formation avancée en droit, et devient même un temps fonctionnaire. Mais irrésistiblement attiré, il embrasse définitivement la carrière musicale en mettant les bouchées doubles pour combler son retard de formation. Devenu professeur de musique, il compose quelques opéras médiocres, très marqués d’une empreinte russe en vigueur dans les milieux nationalistes d’avant-garde. Parallèlement, il devient critique d’art et il développe à partir de 1876 une correspondance régulière avec une riche veuve, madame von Meck, qui est également sa mécène. Etrangement, ils conviennent de ne jamais se rencontrer durant les 14 ans que va durer leur échange épistolaire. Tchaikovski a désormais les moyens de voyager en Europe, ce dont il ne se prive pas. Il se rend à Bayreuth en 1876 pour voir la première de La Tétralogie de Richard Wagner, et assiste à Carmen de Georges Bizet qui le bouleverse. Tchaïkovski saura enrichir à bon escient sa musique d’apports occidentaux.
La création du Lac des cygnes, son premier grand ballet en 1877 est un échec. Ce n’est que plus tard qu’il intégrera le grand répertoire grâce à une reprise qui rendra justice à ses qualités. L’année de la création du Lac des cygnes, il entreprend l’écriture de l’opéra Eugène Onéguine sur un texte de Pouchkine (1799–1837), le premier grand poète de langue russe. Cet opéra révèle à la fois ses fabuleux dons mélodiques et une sensibilité à fleur de peau. Il évoque aussi son thème de prédilection : la force irrépressible du destin (le fatum). Eugène Onéguine vaut avant tout pour la longue scène de Tatiana écrivant spontanément une lettre d’amour après son coup de foudre. La musique restitue magnifiquement la beauté virginale et la ferveur amoureuse, puis le choc du refus du distant Lenski. Tatiana passe de l’état de jeune fille fleur bleue à l’état de femme forgée aux épreuves de la vie. Tchaikovski traite cette transformation avec une exaltation sincèrement passionnée qui constitue sa signature.
Une fin mystérieuse
Durant la composition de Eugène Onéguine, le compositeur traverse un drame qu’il aura lui-même provoqué. En effet, il cherche à dissimuler son homosexualité, punie de mort en Russie. Pour se donner une façade sociale, il épouse une jeune élève. Le mariage est un désastre et il s’enfuit après quelques semaines, mortifié. Peut-être a‑t-il craint de repousser les avances d’une jeune fille qui s’est déclarée à lui, comme Tatiana de Eugène Onéguine s’était déclarée à Lenski. Il se remet toutefois de cette épreuve pénible et sa carrière prend son envol. Il est acclamé dans le monde entier, pour ses symphonies et ses concertos notamment. Par contre ses nouveaux opéras (Mazeppa, La pucelle d’Orléans) sont accueillis avec indifférence du fait de livrets calamiteux.
En renouant avec un autre grand texte de Pouchkine La Dame de Pique, Tchaïkovski compose son meilleur opéra, une fois encore imprégné du thème du destin implacable. Ici il s’agit d’un officier dévoré par le démon du jeu. Malgré l’amour d’une femme, il commettra l’irréparable pour soutirer un secret qui permet de gagner aux cartes. La création en 1890 est triomphale. Elle sera suivie d’autres grands succès que sont ses ballets La Belle au bois dormant et Casse-noisette chorégraphiés par Marius Petitpa, un français installé en Russie. C’est lui qui réhabilitera aussi Le lac des cygnes en 1895. Entre temps, peu après avoir mis le point final à sa symphonie « pathétique », le compositeur s’est éteint en 1893 dans des circonstances mal élucidées : choléra ou suicide provoqué par une affaire de moeurs ? La Russie perd alors un très grand compositeur, celui qui a ouvert la musique russe à l’Occident. Par la suite, d’autres compositeurs marcheront sur ses traces, Prokoviev et Stravinski en tête, et arrimeront les jeunes arts russes au reste du monde.
Quelques opéras de Piotr Ilitch Tchaïkovski
1879- Eugène Onéguine, livret de KS. Silovski et Modeste Ilitch Tchaïkovski, d’après Alexandre Pouchkine.
1881 — La pucelle d’Orléans, livret de VA. Zoukovsky, d’après Schiller
1884 — Mazeppa, livet de VP. Bourénine, d’après Alexandre Pouchkine
1890 — La Dame de Pique, livret de Modeste Ilitch Tchaïkovski, d’après Alexandre Pouchkine.
1892 — Iolanta, livret de Modeste Ilitch Tchaïkovski