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Pierre Notte — Un jeune auteur brillant propose un cabaret décalé

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Pierre Notte ©Aymeric Giraudel
Pierre Notte ©Aymer­ic Giraudel

Pourquoi un cabaret ?
Je reprendrais son titre pour vous répon­dre… tout sim­ple­ment pour « exis­ter » ! Ma soeur est de dix ans ma cadette. Notre enfance a été sauvée du désas­tre famil­ial grâce à la musique. A seize ans, j’ac­com­pa­g­nais au piano Marie qui inter­pré­tait mes com­po­si­tions. C’est resté quelque chose de très fort et là nous avons l’oc­ca­sion, suite à ma pièce Moi aus­si je suis Cather­ine Deneuve qui com­por­tait plusieurs chan­sons, de nous pro­duire ensem­ble, accom­pa­g­nés par une véri­ta­ble pianiste, Karen Loc­quet, dans le cadre de ce cabaret. Un rêve.

Tout d’abord j’ai réu­ni les chan­sons les plus impos­si­bles, per­cu­tantes, agitées, à con­di­tion qu’elles puis­sent être théâ­tral­isées. Je me suis vite ren­du compte qu’elles révélaient des thèmes pré­cis. Notre réc­i­tal compte 30 chan­sons organ­isées en un par­cours par­ti­c­uli­er. Les thèmes sont au nom­bre de sept. Etre sur Terre : pourquoi faire ? Il est beau­coup ques­tion d’im­age que l’on traite à tra­vers l’i­dole (on rejoint en cela la prob­lé­ma­tique de Cather­ine Deneuve), la mort, qui est la manière la plus fugace d’ex­is­ter, à tra­vers le sui­cide par exem­ple, la pros­ti­tu­tion, l’amour, les autres, la famille et enfin Venise, qui représente l’échappatoire.

Le par­cours s’or­gan­ise à l’in­térieur de ces thèmes via les chan­sons mais aus­si les images, le mou­ve­ment. Je tenais par exem­ple à une minute de danse, cet élé­ment a été inté­gré au cabaret. J’aime sim­pli­fi­er les propo­si­tions de manière à ce que les choses soient directes, sim­ples avec un humour omniprésent. Je sur­veille con­stam­ment notre pré­ten­tion à tous, pas ques­tion de se pren­dre au sérieux. Vous enten­drez égale­ment les voix de Cather­ine Deneuve, Fan­ny Ardant et Jean Marais.

Quelle est pour vous la déf­i­ni­tion du cabaret ?
Je me pose cette ques­tion depuis plusieurs années… Bien enten­du, on pense for­cé­ment au cabaret berli­nois, cet espace de lib­erté et de trans­gres­sion néces­saire dans une époque ter­ri­ble mar­quée par la mon­tée du nazisme. Rien de tel aujour­d’hui, fort heureuse­ment. Pour moi, le cabaret est une forme en per­pétuel mou­ve­ment, qui ne peut se réduire à une seule déf­i­ni­tion. Il doit con­serv­er un esprit fron­deur, inso­lent, une once de vul­gar­ité pour aboutir à une noirceur déli­cieuse, mariage per­ma­nent, dans une con­cep­tion presque enfan­tine, de la mort et du sexe. Un ami argentin m’a offert une boîte rouge sang avec à l’in­térieur deux squelettes en cos­tumes de mar­iés, comme une célébra­tion du ridicule de nos con­ve­nances sociales. Cet objet fait éclater les codes en se jouant de tout. Le cabaret, finale­ment, est un peu à l’im­age de cette boîte.

Com­ment se passe la com­po­si­tion d’une chanson ?
Je dirais que je com­pose plus des chan­son­nettes que des chan­sons. Je refuse que ce soit une entre­prise laborieuse, même si je peux pass­er du temps sur un texte. Même si le pro­pos ne l’est pas, la chan­son reste quelque chose de léger pour moi. Une ritour­nelle arrive dans ma tête, sou­vent accom­pa­g­née de quelques paroles, sur des sujets divers, et je me laisse guider. Des chan­son­nettes, il m’en arrive plusieurs par jour : je ne peux pas toutes les écrire ! Une m’est venue ce matin, un rien grivoise. A ce jour j’en ai env­i­ron 200 de prêtes… Et je n’ai pas choisi les plus belles pour nour­rir mon étrange cabaret !

Quel regard portez-vous sur la comédie musicale ?
Mes références en la matière sont plus ciné­matographiques avec le duo que for­maient Jacques Demy et Michel Legrand. Moi aus­si je suis Cather­ine Deneuve est un vibrant hom­mage. Le plaisir de ces chan­sons reste intact après de nom­breuses écoutes, des sens cachés, des vers cachés se révè­lent au détour d’un cou­plet. Les paroles sont sim­ples avec des cachot­ter­ies sophis­tiquées sur des har­monies mélodieuses et plus com­plex­es qu’elles en ont l’air. Le tout peut sem­bler un peu sucré, mais ça me con­vient : je voue une pas­sion au sucre ! Enfin l’u­nivers du musi­cal de l’âge d’or hol­ly­woo­d­i­en me séduit également.

A quel moment l’u­nivers de Demy est-il entré dans votre vie ?
J’ai décou­vert Les para­pluies de Cher­bourg à l’ado­les­cence, à un moment de la vie où notre sen­si­bil­ité est accrue. Puis j’ai décou­vert Peau d’Ane et ses autres films. Un univers viv­able s’of­fre à moi. Je me dis alors que le refuge est là. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir de l’ad­mi­ra­tion pour Bach ou Bergman. Ils représen­tent la beauté pure, Demy c’est autre chose. Ces univers très dif­férents m’aident à vivre.

Vous écrivez les paroles de vos chan­son­nettes, com­posez la musique, avez-vous une formation ?
Aucune. J’ai bien ten­té de fréquenter des cours, ne serait-ce que pour appren­dre le solfège, mais ce fut un désas­tre. J’ai préféré par­tir. Je con­nais la musique de manière empirique, je suis inca­pable de lire une par­ti­tion. Mon appren­tis­sage, je le dois à l’acharne­ment, la volon­té déli­rante que j’ai eu pour exis­ter. J’ai peut-être l’air d’ex­agér­er, mais vous pou­vez me croire, l’en­fance que nous avons vécu avec ma soeur n’avait rien de rose. Donc pour exis­ter et ne pas som­br­er, il a bien fal­lu trou­ver des solu­tions. Se plonger dans la musique fut l’une d’elles. Elle m’a égale­ment per­mis d’abor­der la lec­ture. En effet, j’é­tais inca­pable de lire un texte écrit. Met­tre en musique une poésie la rendait acces­si­ble, palpable.

Une dernière image pour définir votre cabaret ?
J’ai eu la chance d’in­ter­view­er Jean Marais, homme que j’ad­mire énor­mé­ment. Truf­faut s’est inspiré du geste qu’il a eu à l’en­con­tre d’un jour­nal­iste durant la sec­onde guerre mon­di­ale dans son film Le dernier métro. On y voit Gérard Depar­dieu gifler un jour­nal­iste. C’est ce que Marais avait fait. Lorsque je l’ai inter­rogé sur cette anec­dote, il m’a dit « je regrette de l’avoir fait. Per­son­ne ne doit ren­dre sa jus­tice lui-même. Mais que voulez-vous, tout le monde fait des erreurs… ». C’est que l’on enten­dra à l’is­sue du spec­ta­cle. On peut se tromper, ce n’est pas grave. L’im­por­tant c’est que l’on com­mette son erreur avec sincérité. Je suis très heureux que la grande com­plic­ité qui me lie à ma soeur nous con­duise à faire ce spec­ta­cle. Marie, d’une beauté stupé­fi­ante avec son prénom vir­ginal, elle, la grâce incar­née, va subite­ment aller s’asseoir sur un coussin péteur… A l’in­star de cette image, ce cabaret sera une grande terre de con­trastes, nous con­fron­terons les con­traires qui nous tor­turent gen­ti­ment afin de rire de tout cela ensem­ble, pour avoir moins peur, moins froid…