Pourquoi un cabaret ?
Je reprendrais son titre pour vous répondre… tout simplement pour « exister » ! Ma soeur est de dix ans ma cadette. Notre enfance a été sauvée du désastre familial grâce à la musique. A seize ans, j’accompagnais au piano Marie qui interprétait mes compositions. C’est resté quelque chose de très fort et là nous avons l’occasion, suite à ma pièce Moi aussi je suis Catherine Deneuve qui comportait plusieurs chansons, de nous produire ensemble, accompagnés par une véritable pianiste, Karen Locquet, dans le cadre de ce cabaret. Un rêve.
Tout d’abord j’ai réuni les chansons les plus impossibles, percutantes, agitées, à condition qu’elles puissent être théâtralisées. Je me suis vite rendu compte qu’elles révélaient des thèmes précis. Notre récital compte 30 chansons organisées en un parcours particulier. Les thèmes sont au nombre de sept. Etre sur Terre : pourquoi faire ? Il est beaucoup question d’image que l’on traite à travers l’idole (on rejoint en cela la problématique de Catherine Deneuve), la mort, qui est la manière la plus fugace d’exister, à travers le suicide par exemple, la prostitution, l’amour, les autres, la famille et enfin Venise, qui représente l’échappatoire.
Le parcours s’organise à l’intérieur de ces thèmes via les chansons mais aussi les images, le mouvement. Je tenais par exemple à une minute de danse, cet élément a été intégré au cabaret. J’aime simplifier les propositions de manière à ce que les choses soient directes, simples avec un humour omniprésent. Je surveille constamment notre prétention à tous, pas question de se prendre au sérieux. Vous entendrez également les voix de Catherine Deneuve, Fanny Ardant et Jean Marais.
Quelle est pour vous la définition du cabaret ?
Je me pose cette question depuis plusieurs années… Bien entendu, on pense forcément au cabaret berlinois, cet espace de liberté et de transgression nécessaire dans une époque terrible marquée par la montée du nazisme. Rien de tel aujourd’hui, fort heureusement. Pour moi, le cabaret est une forme en perpétuel mouvement, qui ne peut se réduire à une seule définition. Il doit conserver un esprit frondeur, insolent, une once de vulgarité pour aboutir à une noirceur délicieuse, mariage permanent, dans une conception presque enfantine, de la mort et du sexe. Un ami argentin m’a offert une boîte rouge sang avec à l’intérieur deux squelettes en costumes de mariés, comme une célébration du ridicule de nos convenances sociales. Cet objet fait éclater les codes en se jouant de tout. Le cabaret, finalement, est un peu à l’image de cette boîte.
Comment se passe la composition d’une chanson ?
Je dirais que je compose plus des chansonnettes que des chansons. Je refuse que ce soit une entreprise laborieuse, même si je peux passer du temps sur un texte. Même si le propos ne l’est pas, la chanson reste quelque chose de léger pour moi. Une ritournelle arrive dans ma tête, souvent accompagnée de quelques paroles, sur des sujets divers, et je me laisse guider. Des chansonnettes, il m’en arrive plusieurs par jour : je ne peux pas toutes les écrire ! Une m’est venue ce matin, un rien grivoise. A ce jour j’en ai environ 200 de prêtes… Et je n’ai pas choisi les plus belles pour nourrir mon étrange cabaret !
Quel regard portez-vous sur la comédie musicale ?
Mes références en la matière sont plus cinématographiques avec le duo que formaient Jacques Demy et Michel Legrand. Moi aussi je suis Catherine Deneuve est un vibrant hommage. Le plaisir de ces chansons reste intact après de nombreuses écoutes, des sens cachés, des vers cachés se révèlent au détour d’un couplet. Les paroles sont simples avec des cachotteries sophistiquées sur des harmonies mélodieuses et plus complexes qu’elles en ont l’air. Le tout peut sembler un peu sucré, mais ça me convient : je voue une passion au sucre ! Enfin l’univers du musical de l’âge d’or hollywoodien me séduit également.
A quel moment l’univers de Demy est-il entré dans votre vie ?
J’ai découvert Les parapluies de Cherbourg à l’adolescence, à un moment de la vie où notre sensibilité est accrue. Puis j’ai découvert Peau d’Ane et ses autres films. Un univers vivable s’offre à moi. Je me dis alors que le refuge est là. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir de l’admiration pour Bach ou Bergman. Ils représentent la beauté pure, Demy c’est autre chose. Ces univers très différents m’aident à vivre.
Vous écrivez les paroles de vos chansonnettes, composez la musique, avez-vous une formation ?
Aucune. J’ai bien tenté de fréquenter des cours, ne serait-ce que pour apprendre le solfège, mais ce fut un désastre. J’ai préféré partir. Je connais la musique de manière empirique, je suis incapable de lire une partition. Mon apprentissage, je le dois à l’acharnement, la volonté délirante que j’ai eu pour exister. J’ai peut-être l’air d’exagérer, mais vous pouvez me croire, l’enfance que nous avons vécu avec ma soeur n’avait rien de rose. Donc pour exister et ne pas sombrer, il a bien fallu trouver des solutions. Se plonger dans la musique fut l’une d’elles. Elle m’a également permis d’aborder la lecture. En effet, j’étais incapable de lire un texte écrit. Mettre en musique une poésie la rendait accessible, palpable.
Une dernière image pour définir votre cabaret ?
J’ai eu la chance d’interviewer Jean Marais, homme que j’admire énormément. Truffaut s’est inspiré du geste qu’il a eu à l’encontre d’un journaliste durant la seconde guerre mondiale dans son film Le dernier métro. On y voit Gérard Depardieu gifler un journaliste. C’est ce que Marais avait fait. Lorsque je l’ai interrogé sur cette anecdote, il m’a dit « je regrette de l’avoir fait. Personne ne doit rendre sa justice lui-même. Mais que voulez-vous, tout le monde fait des erreurs… ». C’est que l’on entendra à l’issue du spectacle. On peut se tromper, ce n’est pas grave. L’important c’est que l’on commette son erreur avec sincérité. Je suis très heureux que la grande complicité qui me lie à ma soeur nous conduise à faire ce spectacle. Marie, d’une beauté stupéfiante avec son prénom virginal, elle, la grâce incarnée, va subitement aller s’asseoir sur un coussin péteur… A l’instar de cette image, ce cabaret sera une grande terre de contrastes, nous confronterons les contraires qui nous torturent gentiment afin de rire de tout cela ensemble, pour avoir moins peur, moins froid…