
Pierre Lericq, avec Andromaque, Fantaisie barock, c’est enfin le retour des Epis Noirs à Paris, quatre ans après L’Odyssée…
Oui je suis très heureux, ça se passe très bien. Même si nous présentons nos spectacles au Festival d’Avignon et en tournée, jouer à Paris c’est quand même agréable, c’est une vitrine pour la compagnie, nous montrons que nous existons toujours. Et puis ça fait du bien à l’ego, il faut le dire.
Après Antigone dans Bienvenue au Paradis, Ulysse dans L’Odyssée, voilà maintenant Andromaque. Peut-on parler de trilogie grecque des Epis Noirs ?
Trilogie grecque peut-être. C’est vrai que je prends toujours des textes assez puissants pour les désacraliser, les faire vriller, tout en les respectant et sans les parodier. J’aime la profondeur des textes même si après je m’en moque, je fais des farces, j’ai toujours besoin de sens à ce que je dis. J’essaye d’en faire quelque chose de populaire comme la tragédie antique l’était à l’époque. Ce que j’aime aussi c’est toute la structure de la tragédie. Il y a le coryphée qui arrive et parle directement au public, j’ai toujours aimé qu’il n’y ait pas de quatrième mur dans mes spectacles. Et puis il y a le chœur. Je fais beaucoup de chansons, ça correspond vraiment à tout ce qui est chœur dans la tragédie antique.
Pour Andromaque, Fantaisie barock, qu’avez-vous conservé de la tragédie de Racine ?
J’ai surtout conservé les quatre personnages principaux, Andromaque, Hermione, Pyrrhus et Oreste, leurs aller-retour par rapport à l’amour, et l’extrême de leurs sentiments. Ce qui m‘a intéressé c‘est que l‘action se passe à la fin de la guerre et que les quatre personnages sont jeunes et ont tout à reconstruire, le monde à refaire. Il y a une urgence, c‘est à la vie à la mort.
Comment arrivez-vous à faire rire à partir d’une tragédie ?
C’est une sorte de décalage qui se fait dans mon esprit parce que je ne veux pas m’ennuyer, je vais à l’essentiel et cela m’amène à mettre de la trivialité dans quelque chose de sacré. On est dans la puissance de la tragédie et tout d’un coup j’amène le côté trivial de chaque être humain, c’est ce décalage qui fait rire.
Par rapport à vos précédents spectacles, quelles sont les spécificités de Andromaque, Fantaisie barock ?
Je suis allé beaucoup plus dans la théâtralité. Dans les autres spectacles, il y avait des numéros qui sortaient du contexte pour tout d’un coup donner une aération et donc on s’échappait de l’histoire, alors que là on ne s’en échappe jamais, on est vraiment dedans du début à la fin.
Comme toujours avec les Epis Noirs, le chant, la musique et la rythmique jouent un rôle important dans ce spectacle…
Pour moi, c’est un tout. Je pourrais mettre de la musique derrière toutes les scènes. Je crois que c’est Mnouchkine qui disait « toujours la musique et le théâtre ont été liés, je ne sais pas qui a coupé ce lien » . Même pendant le travail de création avec les acteurs, je mets toujours des boucles de batterie, cela crée un mouvement chez l’acteur et souvent c’est beaucoup plus fort qu’un travail psychologique ou un travail de table. Le tempo et surtout les basses se fixent dans le corps, la personne arrête de réfléchir et est vraiment dans sa sensibilité, c’est la base de l’énergie.
Quel style musical avez-vous choisi pour Andromaque ?
Cette situation de monde à refaire m’a fait penser à ce que j’écoutais quand j’étais adolescent. Il y a donc de la pop anglaise avec un côté Woodstock, psychédélique et peace and love, d’où les trois chansons en anglais, mais je me suis inspiré aussi de la chanson à texte française de cette époque.
Parlez-nous de vos trois comédiens partenaires qui apportent beaucoup au spectacle…
J’avais toujours travaillé plutôt avec des gens de « cabaret » et là, travailler avec des acteurs me permet de faire passer des choses que je n’avais jamais pu faire passer. Quand je leur donne un texte, ils ne vont pas d’abord voir ce qu’ils peuvent en faire comme numéro mais essayer de l’habiter dès le début. Et puis, on est arrivé à trouver un langage commun entre eux, qui sont des acteurs, et moi qui suis plutôt un bateleur, je leur apporte et ils m’apportent beaucoup. Comme je le leur ai demandé, ils ont su se laisser aller, lâcher prise, oublier tout ce qu’ils avaient appris dans leur école de théâtre et partir d’une page blanche pour créer et prendre des risques. Je considère que l’acteur est roi mais en tant que roi, il a une responsabilité, il est obligé de créer des choses et ne pas être sous une autorité. Je leur donne beaucoup d’indications mais ce sont plutôt des tremplins pour qu’ils sautent dessus.

Travaillez-vous déjà sur une nouvelle création ?
Oui, mais sur un spectacle que j’appelle « buissonnier », car en dehors des Epis Noirs, je l’interpréterai seul avec des musiciens. Il s’agit d’une adaptation, là aussi dépoussiérée, de l’œuvre de Gérard de Nerval. J’ai repris ses textes, ses poèmes, c’est mon livre de chevet depuis que j’ai seize ans. Je les ai mis en musique, j’ai vraiment envie d’aller jusqu’au bout, peut-être de le présenter au Festival d’Avignon cet été où nous devrions aussi reprendre Andromaque.
Vous nous aviez habitués à convier les spectateurs à prendre un verre avec vous juste après chaque représentation. C’était très convivial, mais ce n’est plus le cas ici…
Malheureusement là, c’est compliqué, comme il y a un spectacle qui se joue après, on ne peut pas le faire dans le théâtre ni dehors à cause de la législation, on le regrette beaucoup nous aussi. Mais on le refera la prochaine fois !