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Philippe Candelon — De Monclar à Rochefort

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Philippe Candelon ©DR
Philippe Can­de­lon ©DR
Philippe Can­de­lon, quand on regarde votre par­cours, on est frap­pé par la place qu’y tient votre tra­vail avec Roger Louret.
Je viens du sud-ouest. La com­pag­nie de Roger Louret avait son fief à Monclar, un petit vil­lage près d’A­gen. J’y ai fait mes class­es, j’é­tais le pre­mier élève de leur école en 1985. J’ai beau­coup joué et tourné avec eux. Après, je suis mon­té à Paris mais je fai­sais tou­jours des allers-retours entre le sud-ouest et ici. Je n’ai jamais quit­té la com­pag­nie. J’ai tou­jours été l’un des piliers prin­ci­paux. Roger Louret a fait beau­coup de spec­ta­cles pour moi. C’est de ma volon­té de faire cer­taines choses qu’est née La Java des mémoires au Théâtre de la Renais­sance en 92. Après, ça a été Les Années Twist. Là aus­si, c’est un cadeau qu’il m’a fait. Il a un peu con­stru­it ces spec­ta­cles autour de moi, jusqu’ à La Fièvre des années 80 et La Vie Parisi­enne qu’on a fait en 97 à Bercy. Et puis « Les Années tubes » sont nées de tout ça.

L’émis­sion présen­tée par Jean Pierre Fou­cault sur TF1 ?
Oui, l’idée venait de Gérard Lou­vin qui pro­dui­sait Les Années Twist. Il voulait pro­mou­voir le spec­ta­cle aux Folies Bergère en faisant une émis­sion de télé en prime qu’on avait donc bap­tisée Les Années Twist. L’émis­sion a été un tel tri­om­phe qu’on s’est dit : on va en faire deux ou trois autres. Et puis ça a con­tin­ué de marcher, tout le temps. On devait faire trois mois, on a fait cinq ans, jusqu’à juin 2000. On s’est arrêtés avec tou­jours 7 ou 8 mil­lions de spectateurs.

Quand les choses ont-elle s com­mencé à bouger véri­ta­ble­ment pour la compagnie ?
Le spec­ta­cle qui nous a fait con­naître nationale­ment, c’é­tait Les Années Twist en 1994. On est arrivés au Palais des Sports. Gérard Lou­vin a vu le spec­ta­cle et a pro­posé de nous pro­duire aux Folies Bergère qui étaient en train de met­tre la clé sous la porte. On y est restés cinq ans. Des spec­ta­cles comme Les Dix Com­man­de­ments ou Roméo et Juli­ette qui marchent, c’est génial, mais quand, en plus, ça part d’un noy­au de dix per­son­nes qui s’en­ten­dent et qui vien­nent d’un petit vil­lage, c’est d’au­tant plus mer­veilleux ! Ce n’é­tait pas fab­riqué à la base pour faire un gros show. Ce qui est arrivé, on ne s’y attendait pas, même si on l’e­spérait. Tout est né de quelque chose de très humain, ce qu’on a du mal à retrou­ver dans les gross­es machines.

Par­lez-nous de La Vie Parisi­enne.
C’é­tait un pari énorme. Je fai­sais le baron. J’ai tou­jours pen­sé que Roger était le met­teur en scène idéal pour ce spec­ta­cle. On avait déjà mis plein d’airs d’Of­fen­bach dans les spec­ta­cles qu’on fai­sait dans le sud. Et là, non seule­ment on a mon­té La Vie Parisi­enne, mais en plus on nous offre Bercy ! Deux semaines à Bercy ! On était 400 sur scène ! Il a été ques­tion de le repren­dre mais c’é­tait trop com­pliqué, trop lourd. Mais je pense qu’on le refera. Il y avait dans ce spec­ta­cle un esprit très comédie musi­cale. Les bal­lets de Red­ha étaient très mod­ernes. On était en cos­tumes d’époque mais ça démé­nageait ! Et puis, il y avait très peu de chanteurs lyriques dedans, juste deux ou trois. Moi-même je ne suis pas chanteur lyrique.

Vous avez étudié le chant avec Mireille ?
Quand je suis arrivé à Paris, je me suis retrou­vé avec Pierre Pal­made qui débu­tait aus­si à cette époque et on est allés ensem­ble au Con­ser­va­toire de Mireille. Lui n’est pas resté longtemps, il s’est vite lancé dans ses sketchs. Le con­ser­va­toire de Mireille, ça a été ma plus impor­tante for­ma­tion sur Paris, la plus belle en tous cas. Mal­gré son âge et le côté un peu has been qu’elle pou­vait avoir, il y avait vrai­ment à tir­er de son enseigne­ment quelque chose de fon­da­men­tal, d’éter­nel. Mireille avait une oreille et un oeil mer­veilleux. Elle m’a beau­coup appris et don­né con­fi­ance en moi. je suis resté chez elle pen­dant deux, trois ans. C’é­tait en fait ses dernières années. Elle s’est arrêtée ensuite parce qu’elle avait des ennuis de san­té. Elle est venue voir tous mes spec­ta­cles de La Java des mémoires aux Années Twist. C’est quelqu’un qui m’a tou­jours ému.

Elle avait la répu­ta­tion de ne pas ménag­er ses élèves et de leur par­ler très durement.
Oui, c’é­tait ter­ri­ble mais c’est le lan­gage qu’il faut tenir et qu’il faut enten­dre et ce n’est pas for­cé­ment celui qu’on entend aujour­d’hui où on encense un peu tout le monde, genre « mon chéri, qu’est-ce que t’es beau, qu’est-ce que t’as du tal­ent ». Elle, c’est l’in­verse. Quel que soit niveau le niveau d’un nou­v­el élève, elle va le tester. Si jamais elle sent que la per­son­ne n’est pas trop sûre d’elle, elle va plutôt le désta­bilis­er, lui dire qu’il y a plein d’autres métiers, que bouch­er ou char­p­en­tier c’est bien. C’est une bonne école quand on n’est pas trop sûr de soi. On se pose tout de suite les bonnes ques­tions. C’est impor­tant parce que si on a des doutes, il vaut mieux faire autre chose, c’est un méti­er trop dur. En ce moment, on a l’im­pres­sion que c’est facile avec toutes ces écoles qui se mon­tent. Et puis toutes ces émis­sions… Ca a beau s’ap­pel­er « A la recherche de la nou­velle star », per­son­ne là dedans ne devien­dra star. Il y a peu de stars en France. A part John­ny, il y en a peu.

Quand avez-vous décidé de vous éloign­er un temps de la com­pag­nie Roger Louret ?
Il se trou­ve qu’une fois Les Années Twist ter­minées, « Les Années tubes » se sont aus­si arrêtées. C’é­tait en 2000. La com­pag­nie a fail­li couler. Il y a eu des prob­lèmes et Monclar a dû fer­mer ses portes. Moi-même, j’é­tais un peu usé par un enchaîne­ment de représen­ta­tions où j’avais lais­sé beau­coup de plumes. La voix, le physique, le moral…Travailler comme je l’ai fait avec beau­coup de joie et d’en­t­hou­si­asme, c’é­tait presque trop : les télés, les spec­ta­cles le soir, le disque avec Bar­bara Scaff…

Le disque réal­isé par Cather­ine Lara ?
Oui. Bar­bara et moi, on avait les deux pre­miers rôles des Années Twist et de La Fièvre des années 80. Cather­ine com­po­sait la musique de la série télé Terre Indi­go. C’é­tait en 96 ou 97. Nous, on était en tournée avec Les Années Twist. Elle nous a appelé en dis­ant qu’elle pen­sait à l’un de nous deux pour enreg­istr­er la chan­son du générique. Pour nous, c’é­tait évi­dent ; on allait la chanter ensem­ble. On est arrivés de Toulouse pour faire la maque­tte. On a fait l’aller-retour en une journée. Le sin­gle a été au top tout de suite et, dans la foulée, on a fait l’al­bum avec Cather­ine. Après, Bar­bara et moi avons con­tin­ué nos chemins séparément.

Que s’est-il passé après l’ar­rêt des Années Tubes ?
Sur la fin, j’y ai un peu tout lais­sé. J’é­tais très affaib­li. Alors j’ai eu besoin de lever le pied et de m’é­carter de ce con­texte là pour me recon­stru­ire. Pen­dant plusieurs mois j’ai pen­sé arrêter le méti­er. Je ne me sen­tais plus de ressources vocales ni physiques. Et puis c’est là que Lou­vin m’a pro­posé d’en­tr­er dans la troupe de Roméo et Juli­ette pour dou­bler deux rôles, le père et Paris. Ca parais­sait bizarre d’ac­cepter d’être dou­blure après quinze ans de méti­er mais je n’avais pas le choix. C’é­tait l’oc­ca­sion de gag­n­er ma vie sans cass­er com­plète­ment la machine. Je remer­cie Gérard Lou­vin et Red­ha de m’avoir per­mis de me recon­stru­ire pen­dant deux ans. C’est là que j’ai ren­con­tré Richard Cross et son assis­tante Cécile. A eux deux, ils ont vrai­ment vu dans quel état j’é­tais vocale­ment, et su m’aider à remon­ter la pente.

Com­ment se passe le tra­vail de la dou­blure dans un spec­ta­cle comme Romeo et Juli­ette ?
Quand on est dou­blure, on est là tous les soirs. Si on ne rem­place pas un des rôles prin­ci­paux, on a tou­jours un petit rôle pour aller sur scène. Les dou­blures étaient vrai­ment inté­grées à la troupe. Cette expéri­ence m’a sauvé la vie !

Les spec­ta­cles de Roger Louret avaient une struc­ture assez réduite. Com­ment avez-vous vécu la tran­si­tion avec un « block­buster » comme le spec­ta­cle de Gérard Presgurvic ?
Pas tou­jours facile­ment. J’é­tais habitué à des spec­ta­cles off show-biz parisien, off télé, avec cette sorte de lab­o­ra­toire qu’é­tait la troupe dans laque­lle j’avais tou­jours bossé. La final­ité y était de s’é­clater avec des gens avec qui on partageait des choses très fortes, humaine­ment et artis­tique­ment. Quand on se retrou­ve dans un gros spec­ta­cle médi­atisé, ces choses-là dis­parais­sent très vite et on se retrou­ve rapi­de­ment un peu seul. J’ai eu beau­coup de mal à trou­ver mes repères. Quand on est très médi­atisé, c’est dif­fi­cile de ne pas péter les plombs. Mal­gré la médi­ati­sa­tion des Années Twist, j’ai essayé de ne pas le faire, et de garder ce que j’ap­pelle la gra­tu­ité de ce méti­er. Si on y réflé­chit bien, on est là pour s’a­muser sur scène, pour faire le con sur scène, pour y chanter ou pour y pleur­er, faire tout ce qu’on veut mais c’est gra­tu­it. Dès que ça n’est plus ça, et quand je côtoie des gens pour qui ça n’est pas ça, ça ne m’in­téresse pas. C’est ça que j’ai vécu dif­fi­cile­ment. Mais ça fait par­tie de l’ap­pren­tis­sage parce qu’à par­tir du moment où on se retrou­ve dans des spec­ta­cles impor­tants, il y a telle­ment de con­tin­gences autres — médi­a­tiques, finan­cières — qu’on ne peut pas garder cet esprit léger. De toutes façons, je ne peux pas aspir­er à faire ce que j’ai envie de faire — comme aller jouer une comédie musi­cale en Espagne ou à Lon­dres — sans en pass­er par là. Cette expéri­ence, tout comme celle des Demoi­selles aujour­d’hui, a donc été une étape importante.

Com­ment vous êtes vous retrou­vé dans Les Demoi­selles de Rochefort ?
Rhe­da m’a pro­posé le rôle de Simon Dame pen­dant Roméo et Juli­ette, à con­di­tion évidem­ment de plaire à Legrand et à Lou­vin. J’ai donc fait les audi­tions comme tout le monde.

Le spec­ta­cle a eu une longue gestation.
C’est une idée que Gérard Lou­vin a en tête depuis longtemps. Il y a eu un pro­jet avec les Native qui devait être mis en scène par Roger Louret. Il y a même eu une lec­ture avec Michel Legrand quand on était aux Folies Bergère mais les Native ne se sont pas enten­dues. Gérard l’a pro­posé à Red­ha, il y a deux ans, pen­dant Roméo et Juli­ette. Red­ha, qui sur Roméo avait pris la place d’un autre met­teur en scène ini­tiale­ment prévu, s’est retrou­vé cette fois à la base du pro­jet et de tous les choix con­cer­nant la distribution.

Comme dans les comédies musi­cales clas­siques, Les Demoi­selles de Rochefort alterne les chan­sons et les dia­logues par­lés. Cela représen­tait-il une dif­fi­culté supplémentaire ?
Je suis devenu chanteur par la force des choses mais, au départ, je suis comé­di­en. J’ai joué peut-être 40 ou 50 pièces avant de venir à Paris. J’ai inter­prété tous les jeunes pre­miers du théâtre clas­sique et aus­si des pièces de créa­tion écrites par Roger. J’ai eu la chance d’avoir des rôles impor­tants à défendre. Je suis donc surtout acteur. Ensuite il y a eu le chant. On était fou de chan­son alors on a fait des spec­ta­cles de chan­sons. Je me suis aperçu que ma voix sédui­sait et, petit à petit, le hasard m’a con­duit à ne faire plus que des comédies musi­cales. Mais avec une base d’ac­teur très forte. Je me suis donc sen­ti par­faite­ment à l’aise avec l’al­ter­nance par­lé-chan­té des Demoi­selles.

Le spec­ta­cle a ren­con­tré un franc suc­cès à Lille, com­ment envis­agez-vous l’aven­ture parisienne ?
Ca va dépen­dre du bouche à oreille. Il n’y a pas eu de suc­cès discographique comme pour Roméo et Juli­ette. Comme le dis­ait Gérard Lou­vin, à la pre­mière de Roméo et Juli­ette, il y avait déjà 4 mois de ven­dus. C’est le disque qui a fait venir les spec­ta­teurs. Là, ce sera le spec­ta­cle lui-même. La réac­tion des gens, pour l’in­stant, c’est l’in­con­nu. Apparem­ment, ça démarre bien, mais c’est un risque. Il y a des gens qui ne veu­lent pas le voir parce que Les Demoi­selles de Rochefort, c’est le film, c’est Deneuve, c’est Dor­leac. Quelque part, les gens ne veu­lent pas touch­er à ces choses là. Ils pensent que ça va être trop mod­erne, un peu super­marché. Moi, je crois que ça n’est pas le cas. Le spec­ta­cle est très beau. Ca chante très bien. Et c’est fidèle au film tout en étant contemporain.

Vous avez des projets ?
Par super­sti­tion je ne don­nerai pas de titre mais, oui, je par­ticipe à un pro­jet sub­lime, sur un per­son­nage his­torique. Une comédie musi­cale de la même ampleur que Roméo ou Les Demoi­selles, mais plus théâ­trale, je pense. J’y tiens infin­i­ment. On a enreg­istré toutes les chan­sons cette année. C’est une créa­tion qui sera mise en scène par Roger Louret. Avec une grande par­tie des gens de la troupe, plus cer­tains mem­bres de l’équipe de Roméo et Juli­ette. Ce sera, j’e­spère, pour la ren­trée 2004 à Paris. Au départ, je ne voulais pas en être parce que l’his­toire ne m’in­téres­sait pas. Et puis quand j’ai enten­du les musiques et qu’on a com­mencé à maque­t­ter, j’ai com­plète­ment craqué. Je crois qu’en matière de comédie musi­cale française, c’est ce qui s’est fait de mieux ces dernières années.