
Je viens du sud-ouest. La compagnie de Roger Louret avait son fief à Monclar, un petit village près d’Agen. J’y ai fait mes classes, j’étais le premier élève de leur école en 1985. J’ai beaucoup joué et tourné avec eux. Après, je suis monté à Paris mais je faisais toujours des allers-retours entre le sud-ouest et ici. Je n’ai jamais quitté la compagnie. J’ai toujours été l’un des piliers principaux. Roger Louret a fait beaucoup de spectacles pour moi. C’est de ma volonté de faire certaines choses qu’est née La Java des mémoires au Théâtre de la Renaissance en 92. Après, ça a été Les Années Twist. Là aussi, c’est un cadeau qu’il m’a fait. Il a un peu construit ces spectacles autour de moi, jusqu’ à La Fièvre des années 80 et La Vie Parisienne qu’on a fait en 97 à Bercy. Et puis « Les Années tubes » sont nées de tout ça.
L’émission présentée par Jean Pierre Foucault sur TF1 ?
Oui, l’idée venait de Gérard Louvin qui produisait Les Années Twist. Il voulait promouvoir le spectacle aux Folies Bergère en faisant une émission de télé en prime qu’on avait donc baptisée Les Années Twist. L’émission a été un tel triomphe qu’on s’est dit : on va en faire deux ou trois autres. Et puis ça a continué de marcher, tout le temps. On devait faire trois mois, on a fait cinq ans, jusqu’à juin 2000. On s’est arrêtés avec toujours 7 ou 8 millions de spectateurs.
Quand les choses ont-elle s commencé à bouger véritablement pour la compagnie ?
Le spectacle qui nous a fait connaître nationalement, c’était Les Années Twist en 1994. On est arrivés au Palais des Sports. Gérard Louvin a vu le spectacle et a proposé de nous produire aux Folies Bergère qui étaient en train de mettre la clé sous la porte. On y est restés cinq ans. Des spectacles comme Les Dix Commandements ou Roméo et Juliette qui marchent, c’est génial, mais quand, en plus, ça part d’un noyau de dix personnes qui s’entendent et qui viennent d’un petit village, c’est d’autant plus merveilleux ! Ce n’était pas fabriqué à la base pour faire un gros show. Ce qui est arrivé, on ne s’y attendait pas, même si on l’espérait. Tout est né de quelque chose de très humain, ce qu’on a du mal à retrouver dans les grosses machines.
Parlez-nous de La Vie Parisienne.
C’était un pari énorme. Je faisais le baron. J’ai toujours pensé que Roger était le metteur en scène idéal pour ce spectacle. On avait déjà mis plein d’airs d’Offenbach dans les spectacles qu’on faisait dans le sud. Et là, non seulement on a monté La Vie Parisienne, mais en plus on nous offre Bercy ! Deux semaines à Bercy ! On était 400 sur scène ! Il a été question de le reprendre mais c’était trop compliqué, trop lourd. Mais je pense qu’on le refera. Il y avait dans ce spectacle un esprit très comédie musicale. Les ballets de Redha étaient très modernes. On était en costumes d’époque mais ça déménageait ! Et puis, il y avait très peu de chanteurs lyriques dedans, juste deux ou trois. Moi-même je ne suis pas chanteur lyrique.
Vous avez étudié le chant avec Mireille ?
Quand je suis arrivé à Paris, je me suis retrouvé avec Pierre Palmade qui débutait aussi à cette époque et on est allés ensemble au Conservatoire de Mireille. Lui n’est pas resté longtemps, il s’est vite lancé dans ses sketchs. Le conservatoire de Mireille, ça a été ma plus importante formation sur Paris, la plus belle en tous cas. Malgré son âge et le côté un peu has been qu’elle pouvait avoir, il y avait vraiment à tirer de son enseignement quelque chose de fondamental, d’éternel. Mireille avait une oreille et un oeil merveilleux. Elle m’a beaucoup appris et donné confiance en moi. je suis resté chez elle pendant deux, trois ans. C’était en fait ses dernières années. Elle s’est arrêtée ensuite parce qu’elle avait des ennuis de santé. Elle est venue voir tous mes spectacles de La Java des mémoires aux Années Twist. C’est quelqu’un qui m’a toujours ému.
Elle avait la réputation de ne pas ménager ses élèves et de leur parler très durement.
Oui, c’était terrible mais c’est le langage qu’il faut tenir et qu’il faut entendre et ce n’est pas forcément celui qu’on entend aujourd’hui où on encense un peu tout le monde, genre « mon chéri, qu’est-ce que t’es beau, qu’est-ce que t’as du talent ». Elle, c’est l’inverse. Quel que soit niveau le niveau d’un nouvel élève, elle va le tester. Si jamais elle sent que la personne n’est pas trop sûre d’elle, elle va plutôt le déstabiliser, lui dire qu’il y a plein d’autres métiers, que boucher ou charpentier c’est bien. C’est une bonne école quand on n’est pas trop sûr de soi. On se pose tout de suite les bonnes questions. C’est important parce que si on a des doutes, il vaut mieux faire autre chose, c’est un métier trop dur. En ce moment, on a l’impression que c’est facile avec toutes ces écoles qui se montent. Et puis toutes ces émissions… Ca a beau s’appeler « A la recherche de la nouvelle star », personne là dedans ne deviendra star. Il y a peu de stars en France. A part Johnny, il y en a peu.
Quand avez-vous décidé de vous éloigner un temps de la compagnie Roger Louret ?
Il se trouve qu’une fois Les Années Twist terminées, « Les Années tubes » se sont aussi arrêtées. C’était en 2000. La compagnie a failli couler. Il y a eu des problèmes et Monclar a dû fermer ses portes. Moi-même, j’étais un peu usé par un enchaînement de représentations où j’avais laissé beaucoup de plumes. La voix, le physique, le moral…Travailler comme je l’ai fait avec beaucoup de joie et d’enthousiasme, c’était presque trop : les télés, les spectacles le soir, le disque avec Barbara Scaff…
Le disque réalisé par Catherine Lara ?
Oui. Barbara et moi, on avait les deux premiers rôles des Années Twist et de La Fièvre des années 80. Catherine composait la musique de la série télé Terre Indigo. C’était en 96 ou 97. Nous, on était en tournée avec Les Années Twist. Elle nous a appelé en disant qu’elle pensait à l’un de nous deux pour enregistrer la chanson du générique. Pour nous, c’était évident ; on allait la chanter ensemble. On est arrivés de Toulouse pour faire la maquette. On a fait l’aller-retour en une journée. Le single a été au top tout de suite et, dans la foulée, on a fait l’album avec Catherine. Après, Barbara et moi avons continué nos chemins séparément.
Que s’est-il passé après l’arrêt des Années Tubes ?
Sur la fin, j’y ai un peu tout laissé. J’étais très affaibli. Alors j’ai eu besoin de lever le pied et de m’écarter de ce contexte là pour me reconstruire. Pendant plusieurs mois j’ai pensé arrêter le métier. Je ne me sentais plus de ressources vocales ni physiques. Et puis c’est là que Louvin m’a proposé d’entrer dans la troupe de Roméo et Juliette pour doubler deux rôles, le père et Paris. Ca paraissait bizarre d’accepter d’être doublure après quinze ans de métier mais je n’avais pas le choix. C’était l’occasion de gagner ma vie sans casser complètement la machine. Je remercie Gérard Louvin et Redha de m’avoir permis de me reconstruire pendant deux ans. C’est là que j’ai rencontré Richard Cross et son assistante Cécile. A eux deux, ils ont vraiment vu dans quel état j’étais vocalement, et su m’aider à remonter la pente.
Comment se passe le travail de la doublure dans un spectacle comme Romeo et Juliette ?
Quand on est doublure, on est là tous les soirs. Si on ne remplace pas un des rôles principaux, on a toujours un petit rôle pour aller sur scène. Les doublures étaient vraiment intégrées à la troupe. Cette expérience m’a sauvé la vie !
Les spectacles de Roger Louret avaient une structure assez réduite. Comment avez-vous vécu la transition avec un « blockbuster » comme le spectacle de Gérard Presgurvic ?
Pas toujours facilement. J’étais habitué à des spectacles off show-biz parisien, off télé, avec cette sorte de laboratoire qu’était la troupe dans laquelle j’avais toujours bossé. La finalité y était de s’éclater avec des gens avec qui on partageait des choses très fortes, humainement et artistiquement. Quand on se retrouve dans un gros spectacle médiatisé, ces choses-là disparaissent très vite et on se retrouve rapidement un peu seul. J’ai eu beaucoup de mal à trouver mes repères. Quand on est très médiatisé, c’est difficile de ne pas péter les plombs. Malgré la médiatisation des Années Twist, j’ai essayé de ne pas le faire, et de garder ce que j’appelle la gratuité de ce métier. Si on y réfléchit bien, on est là pour s’amuser sur scène, pour faire le con sur scène, pour y chanter ou pour y pleurer, faire tout ce qu’on veut mais c’est gratuit. Dès que ça n’est plus ça, et quand je côtoie des gens pour qui ça n’est pas ça, ça ne m’intéresse pas. C’est ça que j’ai vécu difficilement. Mais ça fait partie de l’apprentissage parce qu’à partir du moment où on se retrouve dans des spectacles importants, il y a tellement de contingences autres — médiatiques, financières — qu’on ne peut pas garder cet esprit léger. De toutes façons, je ne peux pas aspirer à faire ce que j’ai envie de faire — comme aller jouer une comédie musicale en Espagne ou à Londres — sans en passer par là. Cette expérience, tout comme celle des Demoiselles aujourd’hui, a donc été une étape importante.
Comment vous êtes vous retrouvé dans Les Demoiselles de Rochefort ?
Rheda m’a proposé le rôle de Simon Dame pendant Roméo et Juliette, à condition évidemment de plaire à Legrand et à Louvin. J’ai donc fait les auditions comme tout le monde.
Le spectacle a eu une longue gestation.
C’est une idée que Gérard Louvin a en tête depuis longtemps. Il y a eu un projet avec les Native qui devait être mis en scène par Roger Louret. Il y a même eu une lecture avec Michel Legrand quand on était aux Folies Bergère mais les Native ne se sont pas entendues. Gérard l’a proposé à Redha, il y a deux ans, pendant Roméo et Juliette. Redha, qui sur Roméo avait pris la place d’un autre metteur en scène initialement prévu, s’est retrouvé cette fois à la base du projet et de tous les choix concernant la distribution.
Comme dans les comédies musicales classiques, Les Demoiselles de Rochefort alterne les chansons et les dialogues parlés. Cela représentait-il une difficulté supplémentaire ?
Je suis devenu chanteur par la force des choses mais, au départ, je suis comédien. J’ai joué peut-être 40 ou 50 pièces avant de venir à Paris. J’ai interprété tous les jeunes premiers du théâtre classique et aussi des pièces de création écrites par Roger. J’ai eu la chance d’avoir des rôles importants à défendre. Je suis donc surtout acteur. Ensuite il y a eu le chant. On était fou de chanson alors on a fait des spectacles de chansons. Je me suis aperçu que ma voix séduisait et, petit à petit, le hasard m’a conduit à ne faire plus que des comédies musicales. Mais avec une base d’acteur très forte. Je me suis donc senti parfaitement à l’aise avec l’alternance parlé-chanté des Demoiselles.
Le spectacle a rencontré un franc succès à Lille, comment envisagez-vous l’aventure parisienne ?
Ca va dépendre du bouche à oreille. Il n’y a pas eu de succès discographique comme pour Roméo et Juliette. Comme le disait Gérard Louvin, à la première de Roméo et Juliette, il y avait déjà 4 mois de vendus. C’est le disque qui a fait venir les spectateurs. Là, ce sera le spectacle lui-même. La réaction des gens, pour l’instant, c’est l’inconnu. Apparemment, ça démarre bien, mais c’est un risque. Il y a des gens qui ne veulent pas le voir parce que Les Demoiselles de Rochefort, c’est le film, c’est Deneuve, c’est Dorleac. Quelque part, les gens ne veulent pas toucher à ces choses là. Ils pensent que ça va être trop moderne, un peu supermarché. Moi, je crois que ça n’est pas le cas. Le spectacle est très beau. Ca chante très bien. Et c’est fidèle au film tout en étant contemporain.
Vous avez des projets ?
Par superstition je ne donnerai pas de titre mais, oui, je participe à un projet sublime, sur un personnage historique. Une comédie musicale de la même ampleur que Roméo ou Les Demoiselles, mais plus théâtrale, je pense. J’y tiens infiniment. On a enregistré toutes les chansons cette année. C’est une création qui sera mise en scène par Roger Louret. Avec une grande partie des gens de la troupe, plus certains membres de l’équipe de Roméo et Juliette. Ce sera, j’espère, pour la rentrée 2004 à Paris. Au départ, je ne voulais pas en être parce que l’histoire ne m’intéressait pas. Et puis quand j’ai entendu les musiques et qu’on a commencé à maquetter, j’ai complètement craqué. Je crois qu’en matière de comédie musicale française, c’est ce qui s’est fait de mieux ces dernières années.