Une vocation, mais tout s’est concrétisé assez tard. Je suis né dans un milieu on ne peut plus modeste, où on parlait moins culture qu’agri… culture : escargots, champignons, pêche à la ligne, plutôt que musique, littérature, peinture ! J’étais infirmier et rugbyman à Toulon, Fernand Bodifer, auteur de nombreuses opérettes, rencontré par hasard, m’a entendu chanter une chanson qu »il avait écrite. Il m’a demandé si je n’avais pas envie de monter sur scène. Pour être franc, mon rêve a toujours été davantage de jouer la comédie que de chanter, mais ma voix me permettait de percer rapidement dans le milieu musical. Il a parlé de moi au directeur de l’Opéra de Toulon.
Depuis tout petit je chantais pour mon plaisir (aux 3ème mi-temps de rugby, pour les mariages…), et là on vient me dire que je pourrais chanter pour le plaisir des autres, vous imaginez ! Pour mon audition, j’ai travaillé avec un pianiste aveugle un air du Pays du sourire et j’ai été engagé pour chanter dans les choeurs. J’ai eu rapidement des petits rôles. J’avais 25 ans et j’ai tout laissé tomber pour me lancer dans cette nouvelle aventure. Ce directeur dirigeait également l’Opéra de Nice, où on montait des productions plus prestigieuses. Il m’a proposé d’aller chanter des seconds rôles là-bas en envisageant, peut-être, un jour, d’accéder aux premiers rôles. Me voilà donc à Nice où j’ai vraiment pris conscience de la difficulté de ce métier… Mes rôles devenant de plus en plus importants, la partie chantée prenait le pas sur la comédie. Pour me sentir vraiment à l’aise, j’ai pris quelques cours de chant. J’avais de la voix mais je devais acquérir une technique.
Y a‑t-il eu un déclic dans votre début de carrière ?
Un jour, un baryton m’a entendu chanter un second rôle, alors que lui tenait le premier. Il a parlé de moi à l’Opéra de Lyon où j’ai été engagé. J’y ai commencé ma carrière de « premier plan ». Mon tout premier engagement, ce fut Eisenstein dans La chauve-souris. C’était assez drôle parce que l’année précédente, j’avais un rôle muet dans cette oeuvre, quasiment de la figuration. Et me voilà en tête d’affiche !
Après, toutes les portes se sont ouvertes : j’ai chanté beaucoup d’opéras comiques, certains rôles d’opéra, un peu partout. Toutefois, ce qui me passionnait depuis toujours c’était de jouer la comédie, faire du cinéma. Il y a huit ans, je suis monté à Paris. J’ai réussi l’audition des Misérables pour le rôle de Javert. Un soir, j’ai eu la surprise de voir arriver dans ma loge l’agent Dominique Besnehard : « Je vous ai trouvé génial, vous êtes fantastique, les types comme vous ont disparu du cinéma français, vous ne voulez pas faire du cinéma ? ».
J’ai rencontré Bertrand Tavernier, avec qui j’ai tourné L627 puis La fille de D’Artagnan. J’ai également rencontré d’autres réalisateurs. En parallèle, je travaille pas mal aussi pour la télévison , par exemple j’ai un rôle récurrent dans la série Julie Lescaut. Il ne faut pas oublier le théâtre. Jean-Claude Brialy m’a proposé de jouer dans Mr de St Futile, la pièce de Françoise Dorin. Avec Savary, j’ai fait Mère Courage, Arturo Ui et Irma la Douce dans lequel je fais le rôle de Bob le Hotu. Un hotu c’est un poisson d’eau douce qu’on appelle aussi un barbot.
Comment se passe le travail avec Jérôme Savary ?
Je débarquais de la douloureuse aventure de La cage aux folles où je jouais le rôle de Zaza. Jérôme m’a tout de suite mis le grappin dessus, il va même jusqu’à dire qu’il m’a sauvé ! J’adore changer d’univers : de Zaza Napoli à Bob le Hotu en passant par Javert, c’est un bonheur total !
J’adore le côté extraverti de Savary. J’ai un très bon feeling, il a confiance en moi et en ce que je sais faire. Le seul vrai talent que la nature m’ait donné c’est de savoir jouer la comédie, une grande facilité à aborder les personnages. Bob le Hotu, ça peut être moi avec l’accent parigot : le mec qui règne sur les petits mafieux de son rade, à une époque où il y avait un certain respect dans le milieu, une notion « d’honneur ». L’autre soir un acteur m’a fait un beau compliment : « Est-ce que dans la vie vous êtes aussi comme ça ? Parce qu’on a l’impression que la main de fer dans un gant de velours vous est naturelle : vous gérez tous ces gens avec une sorte de paternalisme ». Oui, c’est sûrement proche de moi…
Quel regard portez-vous sur la comédie musicale ?
La comédie musicale ne m’attirait pas spécialement. J’ai pris goût au théâtre musical parce qu’il m’a permis d’assouvir ce narcissisme qui m’a fait aller sur scène, et ce grâce à ma voix. J’ai beaucoup de plaisir à chanter, à jouer la comédie… Donc, la comédie musicale, c’est le rêve, sans oublier que la palette des rôles est extrêmement large. J’ai de vagues projets mais je suis superstitieux donc je ne peux vous en parler… Pour peu que je puisse passer d’un extrême à l’autre, ça me va !
Les rôles pour La cage aux folles ou Irma la douce ont-ils été difficile à apprendre ?
La partition de La cage fut très facile à apprendre, celle d’Irma encore plus puisqu’il n’y a aucune prouesse vocale. Pour donner vocalement toute son ampleur à Zaza, j’ai fait un vrai travail, ce fut un régal, un véritable bonheur. Le fait d’avoir une technique surtout acquise sur le tas à regarder les autres et une voix solide, ça rend feignant. Je suis trop gâté ! C’est mon oreille qui m’a appris la technique du chant et qui me permet d’aplanir les difficultés.
Voyez-vous régulièrement des comédies musicales ?
A Londres j’ai vu Le fantôme de l’Opéra, Miss Saigon, Les Misérables. Pour ce dernier spectacle, au risque de paraître chauvin, j’ai préféré la version française. Il y avait une âme qu’il n’y a pas, ou plus, dans le West-End où le spectacle se joue depuis plus de 10 ans. Sinon, c’est le rêve pour un comédien chanteur de vivre là-bas, il y a tellement de comédies musicales à l’affiche ! La tradition musicale en France paraît limitée. Et personne ne fait rien, aucune politique culturelle n’est là pour changer les choses. Pour Irma la douce, les deux comédiens principaux ont pris des cours de chant pour ce rôle. Or, en Angleterre et en Amérique du Nord, les comédiens sont polyvalents. Et on s’étonne que l’on soit envahis par les Québécois… Je crois qu’il faut tout apprendre.
On m’a proposé de travailler à Londres pour jouer Javert pendant neuf mois. J’étais très honoré mais j’avais à l’époque un beau projet de film et j’ai refusé. Sur une longue période comme cela, ce n’est pas facile de prendre une décision. Mon anglais n’est pas vraiment brillant, je pense que j’aurais eu moins de plaisir à interpréter ce rôle qu’à Paris. Je reste toutefois ouvert à toute proposition du West-End. Plus tard, peut-être…