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Patrick Haudecoeur — Energie et talent

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Patrick Haudecoeur ©DR
Patrick Haude­coeur ©DR
Par­lez-nous un peu de votre spectacle ?
Frou-Frou les Bains cor­re­spond vrai­ment à ce que j’avais envie de faire. J’avais très envie de quelque chose de musi­cal qui soit une par­o­die d’opérette. J’avais égale­ment envie de défendre une cer­taine idée du bur­lesque et revenir à la tra­di­tion des Bran­quig­nols, qui inté­graient dans leurs pièces des morceaux musi­caux. Cela trot­tait dans ma tête bien avant que je ne joue dans Là-Haut. Je me suis énor­mé­ment inspiré des répéti­tions des opérettes aux­quelles j’ai par­ticipé pour écrire ma pièce. L’idée des inci­dents tech­niques dans Frou-Frou vient directe­ment de ces obser­va­tions. Le lieu, l’époque, la cure ther­male cor­re­spon­dent au clin­quant de l’opérette tra­di­tion­nelle, appor­tant des choses très col­orées. Le cast­ing a été très impor­tant. Je voulais tra­vailler avec des gens que j’ap­pré­ci­ais, qui sont plus comé­di­ens que chanteurs. Le directeur musi­cal m’a don­né son point de vue. Je me suis d’ailleurs aperçu qu’à l’époque d’Of­fen­bach les rôles de femmes étaient sou­vent tenus par des voix lyriques et les rôles mas­culins par des comé­di­ens, ce qui est le cas pour Frou-Frou. Je le défini­rais comme un « spec­ta­cle musi­cal burlesque ».

Quel est votre parcours ?
Mon intérêt pour le théâtre résulte du mélange entre le hasard et la voca­tion… J’ai com­mencé dans une com­pag­nie ama­teur. Une fois par an, on cher­chait dans le réper­toire une pièce à inter­préter. Comme la troupe était très sym­pa­thique, j’ai décidé d’écrire pour elle en par­tant de ce que l’on vivait. Cela a don­né ma pre­mière pièce : Thé à la men­the ou T’es Cit­ron. Les choses se sont enchaînées. Depuis cette envie d’écrire ne m’a plus quit­té, mais j’aime aus­si inter­préter des rôles écrits par d’autres !

Vous vous situez comme digne héri­ti­er de tal­ents comme Dranem ?
En France on colle sys­té­ma­tique­ment une éti­quette, c’est un prob­lème. J’ai joué dans des opérettes « clas­siques » comme Là-Haut, L’Auberge du Cheval Blanc et Le Sire de Ver­gy. Entre temps, j’ai joué pour Jean-Lau­rent Cochet dans Chat en Poche de Fey­deau : j’aime donc la poly­va­lence. Frou-Frou les Bains me rep­longe dans le domaine musi­cal. En fait je souhaite avoir l’é­ti­quette : « aucune étiquette » !

D’où vient votre intérêt pour la musique ?
La musique me berce depuis longtemps, sans pour autant avoir jamais fait la con­nex­ion avec le théâtre. C’est véri­ta­ble­ment Là-Haut qui m’a fait décou­vrir le théâtre musi­cal et Willemetz. Je n’avais comme cul­ture musi­cale que les incun­ables du ciné­ma comme Hel­lo Dol­ly !, West Side Sto­ry, les oeu­vres de Michel Legrand… Je m’aperçois que ce style est très por­teur et me con­vient. J’aime appren­dre au jour le jour. Cette habi­tude me vient de la manière de fonc­tion­ner de la troupe ama­teur : on tra­vail­lait en fonc­tion d’en­vies et de ce que les autres pou­vaient apporter. Du coup on touchait un peu à tout en forgeant nos armes au fur et à mesure, tout en dévelop­pant un vrai sens de la curiosité. J’avais 10 ans lorsque j’ai com­mencé : j’ai donc eu du temps pour emma­gasin­er pas mal de choses.

Com­ment êtes-vous arrivé sur le pro­jet Là-Haut ?
Je jouais Mon­sieur de Saint-Futile avec Jean-Claude Bri­aly. Nous sommes restés un mois au théâtre des Célestins à Lyon, tenu par Jean-Paul Lucet. Au cours de ce spec­ta­cle je fre­donnais du bout des lèvres un petit air. Quelques mois plus tard, Jean-Paul Lucet s’ap­prête à mon­ter Là-Haut et m’ap­pelle pour me pro­pos­er le rôle de Frisotin, en l’oc­cur­rence des­tiné à un chanteur. Au tout début je pen­sais qu’il fai­sait erreur, j’ai donc passé l’au­di­tion. La musique, je la pra­tique depuis 15 ans donc je sais lire une par­ti­tion. En revanche, j’ig­no­rais tout de ma voix. Avec un directeur musi­cal je me suis pré­paré et l’au­di­tion s’est fort bien passée.

Com­ment avez-vous choisi les airs de Frou-Frou les Bains ?
Ces chan­sons, je les ai tou­jours enten­dues. Ma grand-mère les fre­donnait. On écoute Yvonne Print­emps, Mist­inguett et hop on se retrou­ve chopé par ce petit air que tout le monde con­naît… Ca me touche. On peut trou­ver cela un peu vieil­lot mais, con­traire­ment à ce qui se fait aujour­d’hui, ces chan­sons ont toutes une mélodie et il me sem­ble impor­tant de revenir à cela. Les musi­ciens qui nous accom­pa­g­nent ont une for­ma­tion de jazz. Ils ont su garder quelque chose de clas­sique avec une petite touche en plus. Nous avons remanié, coupé ces airs sans les déna­tur­er. C’é­tait une envie de ma part d’in­té­gr­er tout ce matéri­au que j’aime à ce spec­ta­cle. Sans m’in­téress­er à l’opérette, je les con­nais­sais déjà, comme quoi…

Pourquoi ne pas avoir écrit de chan­sons originales ?
C’est très dur et je ne suis pas com­pos­i­teur. Je me suis amusé à écrire l’air Frou-Frou les Bains, en un clin d’oeil. Isabelle Spade, qui joue dans la pièce, a écrit les paroles, elle pos­sède un vrai tal­ent à ce niveau.

On a le sen­ti­ment que toute la troupe s’a­muse sur scène ?
La plu­part des comé­di­ens sont des com­plices, qui ont tous une solide expéri­ence. Ils ont tous servi la soupe dans les pièces à tête d’af­fiche. Ce qui me plait dans Frou-Frou les Bains, c’est que cha­cun a quelque chose à défendre : tous les rôles sont d’é­gale valeur. Du coup les comé­di­ens s’é­panouis­sent et s’en don­nent à coeur joie. Nous sommes heureux tous ensem­ble. Per­son­ne n’est der­rière quelqu’un. Cette énergie porte le spectacle.

Vous avez choisi d’avoir de véri­ta­bles musi­ciens sur scène ?
C’est tout de même extra­or­di­naire car il ne me viendrait pas à l’idée d’u­tilis­er une bande pour un spec­ta­cle musi­cal ! C’est antin­o­mique. On perd tout : pourquoi dans ce cas, les chanteurs ne chanteraient-ils pas en play-back ? Le spec­ta­cle « vivant » doit le rester, dans tous les sens du terme. Jouer avec les musi­ciens par­ticipe égale­ment de l’én­ergie de la pièce.

Com­ment le spec­ta­cle a‑t-il été mis en scène ?
Pour moi qui suis du genre instinc­tif, avoir eu Jacques Descombes comme met­teur en scène fut un bon­heur. Il est venu vers le spec­ta­cle : notre col­lab­o­ra­tion a vrai­ment porté ses fruits. Il est rare qu’un met­teur en scène soit autant à l’é­coute d’un auteur-inter­prète. Il a une grande expéri­ence dans ce domaine. Dès la pre­mière lec­ture, ses propo­si­tions m’ont ouvert des portes. Je ne fais pas de dif­férences, en tant qu’in­ter­prète, entre un rôle joué et un rôle chanté.

Quelle fut la genèse de la pièce ?
Il m’a fal­lu env­i­ron 6 mois pour écrire la pièce, la pièce a été refusée partout pen­dant deux ans. Au tout début, il fal­lait avoir une grande imag­i­na­tion lors des pre­mières lec­tures car les airs musi­caux n’é­taient pas encore choi­sis. Seule la struc­ture était là. Sou­vent on m’a pro­posé de ne pas met­tre de chan­sons. Au fur et à mesure j’ai mis les chan­sons, indiqué les effets visuels, la choré­gra­phie… Le tout en restant dans cet état d’e­sprit de par­o­die d’opérette. Ce sont les Suiss­es qui nous ont aidé à mon­ter le spec­ta­cle. Denise Petit­di­di­er est venue nous voir et à l’en­tracte a dit : « je les prends ». Sans tête d’af­fiche, il faut croire au spec­ta­cle pour se lancer dans l’aven­ture : ce fut son cas. Les gens comme elle sont de plus en plus rares. Mais il ne faut jamais baiss­er les bras ! Il est vrai que les spec­ta­cles musi­caux aujour­d’hui ont ten­dance à se résumer aux « comédies musi­cales » à grand spec­ta­cle. Elles font tra­vailler pas mal de monde et c’est bien ain­si. Pour­tant on n’at­teint pas encore la qual­ité de Broad­way et je pense que, si on lui en pro­pose trop, le pub­lic risque de se lass­er de ce type de production.