Musique et paroles : Stephen Sondheim
Livret : James Lapine
Direction musicale : Andy Einhorn
Mise en scène : Fanny Ardant
Décors : Guillaume Durrieu
Costumes : Milena Canonero
Chorégraphie : Jean Guizerix
Lumières : Urs Schönebaum
Son : Stéphane Oskeritzian
Orchestre : Orchestre Philharmonique de Radio France
Fosca : Natalie Dessay
Captain Giorgio Bachetti : Ryan Silverman
Clara : Erica Spyres
Colonel Ricci : Shea Owens
Docteur Tambourri : Karl Haynes
Sergeant Lombardi, Cook : Michael Kelly
Lieutenant Barri & le père de Fosca : Nicholas Garrett
Major Rizzolli : Franck Lopez
Count Ludovic : Damian Thantrey
Private Augenti : Matthew Gamble
La mère de Fosca : Tara Venditti
Mistress : Kimy Mc Laren
Résumé : Après A Little Night Music, Sweeney Todd, Sunday in the Park with George et Into the Woods, le Châtelet continue à faire découvrir aux Français l’œuvre de Stephen Sondheim avec l’une de ses œuvres les plus rares : Passion. Mise en scène par Fanny Ardant, c’est « l’histoire d’un homme qui tombe amoureux d’une femme laide, malgré sa laideur, que pourtant il ne peut supporter » (Umberto Eco à propos du livre Fosca d’Iginio Ugo Tarchetti ).
Marqué par l’adaptation d’Ettore Scola (Passion d’amour en 1981), Sondheim a souhaité se situer entre la « théâtralité familière d’un musical et l’extravagante flamboyance d’un opéra », créant une œuvre qui s’avère être un bijou lyrique. La partition enchaîne les envolées mélodiques pour exprimer, crescendo e appassionato, les émotions extrêmes des personnages, portée notamment dans cette nouvelle production made in Châtelet par Natalie Dessay.
Notre avis : Le cinquième Sondheim produit au Châtelet nous permet de découvrir une œuvre plus intimiste, ne faisant pas partie des échecs cuisants du maestro (Passion fut le gagnant du Tony Award du meilleur musical en 1994) sans être pour autant un franc succès (il est le détenteur du record du plus petit nombre de représentations pour un lauréat de cette catégorie). Adapté du film Passione d’Amore d’Ettore Scola, lui-même basé sur le roman épistolaire Fosca d’Iginio Ugo Tarchetti, Passion se situe dans l’Italie du XIXe siècle, dans une petite ville de garnison où est affecté le jeune et séduisant capitaine Giorgio Bachetti (Ryan Silverman). Alors que celui-ci entretient une liaison à distance avec la belle Clara (Erica Spyres), une femme mariée, il rencontre Fosca (Natalie Dessay), la cousine malade du Colonel de la garnison. S’ensuit alors une étrange et intense relation entre Giorgio et Fosca.
A la mise en scène, Fanny Ardant a choisi d’ancrer cette histoire déjà sombre dans une atmosphère d’ombres et d’obscurité. De plus, pas de décors réalistes mais des toiles en noir et blanc aux motifs abstraits (lignes, points, taches, motifs géométriques), peu d’accessoires (une table servant également de lit, une chaise) : malgré la taille du plateau, ce dépouillement assumé fonctionne la plupart du temps. Cependant, même s’il permet de se concentrer sur la relation entre les personnages, ce parti pris esthétique peut déconcerter par son âpreté. Néanmoins, les magnifiques costumes de la quatre fois oscarisée Milena Canonero (de Barry Lyndon à The Grand Budapest Hotel) apportent une touche un peu plus charnelle et organique au tableau.
En tête du trio tragique de Passion, Ryan Silverman incarne un magnifique Giorgio dont les complexités et les déchirements, portés par une voix impeccable, provoquent une empathie certaine. De plus, le parcours psychologique du personnage fonctionne avec une grande subtilité. A ses côtés, Erica Spyres est une Clara lumineuse, au timbre parfait. Si on peut se lasser du procédé qui accompagne ses apparitions (la plupart du temps sur un plateau à roulettes), on ne se lasse certainement pas de l’entendre. Enfin, Natalie Dessay, après Les Parapluies de Cherbourg (qui était déjà un surprenant virage après sa grande carrière lyrique), prend un nouveau risque en interprétant le rôle difficile de Fosca, qui n’est pas forcément adapté à son type de voix, au départ. En effet, la partition, plutôt grave, appelle les mezzos ou les chanteuses au timbre singulier (Donna Murphy, Patti LuPone, Maria Friedman, Judy Kuhn…) mais Dessay défend le personnage de façon étonnante, lui offrant une grande sensibilité. Sa Fosca n’est pas « laide » (comme elle peut être représentée parfois), elle est plutôt étrange, curieuse… différente.
Enfin, la musique de Sondheim, sophistiquée et subtile, dans une orchestration de Jonathan Tunick, prend une dimension toute particulière ici, interprétée par l’Orchestre Philharmonique de Radio France, sous la direction d’Andy Einhorn. L’effectif important des musiciens permet de magnifier les envolées (magnifiques cordes) sans pour autant parasiter les moments intimistes.
Ce spectacle conclut le cycle des grands musicals américains (Sondheim, Bernstein, Rodgers & Hammerstein, Cole Porter…) initié par Jean-Luc Choplin, directeur du Théâtre du Châtelet dont le mandat s’achève à la fin de la saison. Remercions le pour cette démarche, initiée avec Candide en 2006, de présenter des spectacles parfois pointus, parfois populaires, mais toujours de qualité, et espérons que la prochaine ère du Châtelet continue sur cette belle lancée.