
L’opéra comique vient de la rue
Le personnage est bien sûr un brin mytho-mégalo, tendance demain-on-rase-gratis, mais il l’est avec cette pointe d’ingénuité qui fait qu’on l’aime aussi pour ça. Sa nomination à la tête de l’Opéra-Comique, après la quasi-mise en faillite de la gestion précédente n’est pas passée inaperçue. Et d’aucuns de se demander si cette salle, qui traverse une cirse d’identité depuis trop longtemps, méritait d’être confiée à un tel bateleur… Et que dire du reproche de cette de vulgarité dont il aimerait à se draper selon ses détracteurs ?
Magic Savary balaie cette crainte d’un revers de son écharpe blanche : « C’est oublier que l’opéra comique — un genre avant d’être un lieu — vient de la rue. Et cette salle a été celle de toutes les audaces. Carmen qui y a débuté a été qualifiée d’oeuvre pornographique ! Je veux en faire ce théâtre musical populaire qui manquait à Paris ».
De fait, après l’annulation de la saison en cours, et alors qu’il ne prendra officiellement possession des lieux qu’à la rentrée, il a travaillé très vite pour offrir une programmation 2000–2001 riche, jouissive et qui met déjà l’eau à la bouche. Pour la présenter, il s’est entouré de quelques-unes de ses futures têtes d’affiche.
Un éclectisme de saison
La saison sera moins lyrique que les précédentes, plus axée opérette et comédie musicale. « Avec le budget que j’ai, de toute façon, je ne peux pas concurrencer l’Opéra de Paris ou le Châtelet. Donc, il faut faire radicalement différent. Je mettrai en avant ce qu’on appelle parfois en France, où l’on semble en avoir honte, la musique légère. Est-ce à dire que l’autre serait lourde ? ».
Côté spectacles musicaux, il reprendra donc La Périchole, son plus gros succès à Chaillot Et il enchaînera avec Mistinguett, la dernière revue. « Il ne s’agit d’ailleurs pas à proprement parler d’une revue mais bien d’une vraie pièce. Jean-Marc Thibault y sera Volterra, le célèbre directeur de salles, et Ginette Garcin, l’habilleuse de Miss ».
Et c’est à ce moment là que l’incroyable se produit : quelqu’un parvient à voler la vedette à Savary ! En deux chansons (« Je cherche un millionnaire » et « Mon homme ») et un éclat de rire carnassier, Liliane Montevecchi soupèse et emballe la salle. Meneuse de revue égarée un temps à Hollywood et depuis, avec grand succès, vedette à Broadway, elle reviendra pour la première fois depuis des années à Paris. « D’ici quelques mois », admet le maître de cérémonie, magnanime, « elle va devenir culte dans tous les milieux branchés ». Et comme la grande Miss M a vraiment un rire de gorge et une gouaille inimitables, le doute n’est guère permis.
Autre (re)création très attendue, celle de La mascotte. Si cette opérette est un peu passée à la trappe aujourd’hui, on en conserve au moins le souvenir grâce à sa kitschissime chanson des dindons et des moutons ! C’est Isabelle Vernet, grande voix lyrique, et Jacques Sereys qui en seront les vedettes. « La taille de la salle nous permet d’être moins sonorisés qu’à Chaillot qui est très grand. Mais sonorisés ou pas, j’en profite pour rappeler que dans mes spectacles, tout est toujours en direct. Je préfère un chanteur qui a un soir la voix un peu fatiguée à ces shows karaoké où l’on pratique bande-son et play-back ! ».
Des spectacles branchés et à destination des jeunes
Dans des genres très différents, l’Opéra-Comique proposera Shockheaded Peter, un « junk opera » avec… les Tiger Lillies, Tout Rossini (non pas l’intégrale de Rossini, mais bien celle de ses opéras en un acte !) et Macadam Macadam, un ballet déjanté de Blanca Li. Ses danseurs de hip-hop et autres artistes des rues graffiteront les ors de Favart !
Même ceux qui avaient caressé un temps l’idée de convertir cette salle en un temple baroque se consoleront avec Catone in Utica où le grand chef d’orchestre Jean-Claude Malgoire a dû « palimpsester » la partition de Vivaldi, en partie perdue.
Les jeunes, dont Savary a pu constater à Chaillot qu’ils avaient afflué en masse pour voir La Périchole, seront l’une de ses cibles de choix. Les représentations se dérouleront relativement tôt (les soirées sont à 20 heures et il y aura beaucoup de matinées) et les prix des places pour les spectacles musicaux sont relativement bas. Et certains spectacles visent délibérément le jeune public, comme l’initiative très intéressante de La Péniche Opéra, Faisons un opéra ou le petit ramoneur, à partir de la musique de Benjamin Britten. La metteur en scène Mireille Larroche a bien précisé : « Nous voulons les séduire pour qu’ils reviennent plus tard dans cette salle… et ailleurs ».
L’Opéra-Comique en fête
Proposer des oeuvres du répertoire et des créations, avec de vrais chanteurs, des comédiens, des orchestre live, et former le goût des nouvelles générations au théâtre musical : il faut avouer que le programme est plus qu’alléchant.
D’autant qu’il y a ce sens de la fête et du délire que Savary possède au plus au point et qu’il entend faire raisonner fort sous les voûtes de Favart. « Pour le carnaval, nous inviterons les Parisiens à venir déguisés, nous organiserons un bal masqué. Et puis, pour le réveillon du 1er janvier, nous parodierons le grand bal de Vienne, cette ville où il se passe en ce moment des choses sinistres. Et je dirigerai moi-même à la baguette la ‘Valse de l’Empereur’ « . Gageons que cela donnera des aigreurs à Haider…
« Il va y avoir de quoi s’envoyer en l’air », conclut Jérôme Savary. Il faut bien sûr entendre par là, un « Air » d’opéra-comique !