Olivier Benezech, par quel biais avez-vous découvert Sweeney Todd ?
D’abord par le disque de la version originale de Broadway et aussi avec le concert de San Francisco avec Patti LuPone et George Hearn. En 2004, à Londres, j’ai découvert la production britannique mise en scène par John Doyle, avec une particularité : tous les protagonistes jouaient également d’un instrument. Un conte de fées pour cette production qui débute dans un petit festival britannique et termine à Broadway ! Je fus très impressionné, cette forme m’a donné envie de me lancer dans l’aventure actuelle. J’ai par ailleurs assisté à six représentations de la production du Châtelet dans la mise en scène de Lee Blakeley et j’ai bien entendu vu le film de Tim Burton.
Quelle est votre vision de cette œuvre ?
Je considère qu’il existe plusieurs façons de la voir. Loin de moi l’idée de rivaliser avec l’une ou l’autre des versions précitées. La version de chambre, qui sera celle présentée au Château d’Hardelot, me semble très forte et fait ressortir toutes les nuances de l’intrigue. J’ai fini par persuader l’équipe du festival franco-britannique de monter
Sweeney Todd — j’avais déjà monté pour eux une œuvre de Britten. Le lieu est situé en pleine campagne dans un endroit idyllique sur la côte d’Opale. A la base de ce festival, nous avons une idée partagée par Tony Blair et Jacques Chirac de réhabiliter un lieu pour en faire un musée britannique et faire un festival de musique anglaise.
Nous pourrons m’opposer que Sweeney Todd est une œuvre américaine, mais la thématique est britannique. L’intrigue se déroule à Londres. Pour mettre tout en place, nous avons organisé un mariage avec la Clé des Chants de Lille, avec qui je travaille souvent. Avec eux j’avais mis en scène la création française de The Craddle Will Rock. Ils sont devenus producteurs principaux. Le théâtre, de moins de 300 places, est très intime et ne peut accueillir que la version de chambre, avec neuf musiciens.
L’œuvre sera interprétée dans quelle langue ?
Puisqu’il s’agit d’un festival anglais, l’œuvre devait être interprétée dans sa langue d’origine. Ce qui me semble important c’est d’arriver de monter ce spectacle avec des français capables de parler et chanter anglais. C’est un défi que je me suis imposé et me suis entouré pour cela d’une équipe artistique en or. Seuls Alyssa Landry et Scott Emerson sont des français d’adoption. Je suis ravi qu’Alyssa endosse le costume de Mrs Lovett, on dirait que le rôle a été écrit pour elle, c’est une nature ! Les solistes font les chœurs, je les ai intégrés dans l’action. Parfois ils sont dans l’action, à d’autres ils sont masqués. Avec neuf protagonistes, nous faisons tout. Le travail théâtral est énorme. Le premier rang est à un mètre vingt des artistes : les spectateurs vont vivre avec les artistes. Ils risquent de recevoir quelques gouttes de sang. Les gens vont avoir peur, ce qui me plaît beaucoup.
Dans quelle direction orientez-vous votre mise en scène ?
J’avoue avoir beaucoup tâtonné. Je ne voulais pas aller dans le XIXème siècle car il faut le faire dans une grande version avec beaucoup de moyens. Outre l’aspect financier, et ce point de vue est tout à fait subjectif, je trouve que l’œuvre a quelques rides et a besoin d’un coup de fouet. Le premier qui le pense est son auteur, Stephen Sondheim, puisqu’il vient d’autoriser une version rock/métal. Nous jouons la version orchestrée par Jonathan Tunick, mais mon choix s’oriente résolument vers une vision très contemporaine. La mise en scène, la scénographie, les décors, les costumes le reflèteront. Nous serons dans un lieu unique, un appartement, qui pourrait se trouver dans le quartier de la City d’aujourd’hui. Nous avons affaire à des gens qui sont dangereux, mystérieux qui font ressortir un aspect très violent. J’ai retiré tout le côté anecdotique anglais : pas de marché par exemple. Nous uniformisons tout. La cuisine est réaliste avec four, congélateur. En hauteur, un salon un peu angoissant. L’orchestre est visible. La vision est très brute. L’avenir nous dira si ces choix sont bons ou pas. En France, nous sommes relativement tranquilles, mais il faut bien savoir que pour les Américains il y a autant de tradition et de conventions dans la mise en scène Sweeney Todd que pour les français dans Carmen de Bizet… Comme si un imaginaire s’était mis en place et qu’il faut le suivre. Les visions doivent évoluer.
L’œuvre évolue, donc ?
C’est une œuvre qui a déjà eu plusieurs vies et qui en aura plusieurs. Une chose est sûre : la version de 1980, celle de la création, est impossible à regarder aujourd’hui. Les personnages étaient grimés, tout était extravagant. Beaucoup de problématiques dans l’œuvre résonnent encore aujourd’hui et supportent sans problème la transposition. C’est peut être l’œuvre de Sondheim qui se prête le plus à l’imaginaire.