d’après les textes de Falk Richter
mise en scène Cyril Teste
avec le collectif d’acteurs La Carte Blanche Elsa Agnès ou Valentine Alaqui, Fanny Arnulf, Victor Assié, Laurie Barthélémy, Pauline Collin, Florent Dupuis, Katia Ferreira, Mathias Labelle, Quentin Ménard, Sylvère Santin, Morgan Lloyd Sicard, Camille Soulerin, Vincent Steinebach, Rébecca Truffot
Dans un dispositif cinématographique en temps réel et à vue, Nobody nous fait assister simultanément à la projection du film et à sa fabrication. Cyril Teste entaille en tension, avec humour et lucidité, la violence sourde d’un système qui infiltre nos structures intimes. Il décompose et réassemble l’oeuvre politique de Falk Richter et constitue un scénario inédit sur les dérives managériales et la déshumanisation au travail.
Jean Personne est consultant en restructuration d’entreprise. Intelligence, charisme et assurance sont de mise. Soumis aux lois du benchmarking, lui et ses collègues notent, évaluent, évincent à l’autre bout du monde comme de l’autre côté du couloir. Héros cynique d’un jeu dont il n’a pas le contrôle, à la fois acteur de l’éviction des autres et de sa déchéance, Jean perd pied et s’enfonce dans une torpeur où s’abattent ses peurs et les réminiscences de sa vie privée.
Notre avis : Inspirés par le dogme qu’imposa en son temps Lars Von Trier, qui prônait le cinéma brut, avec le moins d’artifice possible (et qui donna le meilleur comme le pire), le collectif MXM sous la houlette de Cyril Teste aboutissent à un objet théâtral hors norme, poussant plus loin des techniques déjà largement utilisées. Soit un écran cinémascope qui surplombe le décor d’un open space déshumanisé (et d’une chambre dissimulée) où évolueront les comédiens ainsi que deux cadreurs. Puisque le parti pris gonflé étant que les acteurs jouent sur cette scène, mais sont filmés en temps réel, les images étant projetées sur l’écran. Les concepteurs ne s’arrêtent pas là puisqu’ils empruntent largement à la grammaire cinématographique : champ/contre-champ, gros plans, voix-off, musique, flash-back, visions imaginaires… Un travail extrêmement minutieux qui, à lui seul, impressionne. Les jeux de lumière, les musiques, les bruits… Tout se doit d’être précis. Double intensité pour les comédiens et les techniciens que chaque représentation. Nous pourrions alors nous dire : mais pourquoi ne pas avoir fait directement un film à partir de ces textes glaçants qui dénoncent, au travers le parcours de Jean, le côté inhumain du travail dans ces entreprises internationales qui misent sur le profit avant tout, gommant chaque individu en le conduisant à des pratiques peu reluisantes. Eh bien le côté artificiel de la scénographie donne sans nul doute encore plus de force au texte, le parti pris culotté de la mise en scène explose rapidement comme en totale adéquation avec le propos. Le côté glaçant des images froides (ou plus chaudes lorsqu’il s’agit de souvenir, d’intériorité) délimitées par le cadre rectangulaire de l’écran de cinéma donne une dimension implacable au récit, qui se joue en direct sous nos yeux avec ces personnages comme pris dans un aquarium, lui aussi rectangulaire. Saluons sans plus attendre le talent de toute la troupe, techniciens compris, qui rendent chaque minute palpitante. Car, sur un pareil sujet, la tentation du verbiage serait grande. Rien de tel ici : le récit coule sans temps mort, l’empathie l’emporte, les intentions portent à plein.
En outre l’humour s’infiltre pernicieusement dans le récit. Lors d’une réunion mémorable pour ressouder l’équipe et lui donner plus de cohésion, n’est-il pas question de monter une… comédie musicale autour d’un pingouin, métaphore animalière du parfait petit employé appelé à se dépasser ? Et lors de chaque beuverie (qui suit l’accueil d’un stagiaire ou d’un événement heureux, surtout sur le plan économique), les employés ne sont-ils pas tenus de chanter les airs du Roi Lion ? Nous ne pouvons, à ce stade, qu’imaginer ce que pourrait donner ce procédé, adapté à une vraie comédie musicale… En attendant, nous ne pouvons que vous conseiller d’aller découvrir Nobody, une pièce salutaire et inspirée.
Pour en savoir plus, visitez le site du Monfort.