Muriel Hermine — Conversation au bord de la piscine.

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Muriel Hermine ©DR
Muriel Her­mine ©DR
Sous le chapiteau règne une chaleur écras­ante. La tem­péra­ture n’empêche pour­tant pas le con­tor­sion­niste de répéter patiem­ment les étire­ments que ce soir il effectuera devant 1200 spec­ta­teurs. A prox­im­ité, deux nageuses con­versent en russe de la nou­velle coif­fure d’une troisième tan­dis qu’un tech­ni­cien décou­vre, avec un respect non feint, la note affichée sur le tableau : Michael Jack­son en per­son­ne a en effet assisté à une représen­ta­tion de Crescend’O la veille et il a tenu à adress­er un mes­sage de félic­i­ta­tion à la troupe. Dans moins de deux heures, ils auront tous enfilé leurs cos­tumes déli­rants et seront en scène, par­don, en piste. Au milieu de l’ef­fer­ves­cence générale, une jeune femme à la longue sil­hou­ette élé­gante passe tran­quille­ment, un mot gen­til pour cha­cun, avant de dis­cuter avec Yan­nick Quen­nehen, le co-pro­duc­teur du show et son mari.

« Quand nous nous sommes ren­con­trés, il organ­i­sait des spec­ta­cles pour entre­pris­es et il a été le pre­mier à croire en mon pro­jet, explique sans fard Muriel Her­mine. Dès qu’on touche à l’eau, les bud­gets en jeu sont très impor­tants. Alors, mal­gré mon pal­marès sportif, j’ai vrai­ment galéré quand j’ai voulu me lancer dans la pro­duc­tion. Nous avons mon­té ensem­ble le spec­ta­cle dont je rêvais depuis que j’ai 20 ans ».

La déter­mi­na­tion est bien l’une des car­ac­téris­tiques de Muriel. Petite fille timide, elle décou­vre l’eau et c’est une révéla­tion. « J’ai tout de suite aimé l’élé­ment aqua­tique car je m’y sen­tais pro­tégée. Et la com­péti­tion en nata­tion syn­chro­nisée m’a per­mis de m’af­firmer »… 12 titres de cham­pi­onne de France, 4 de cham­pi­onne d’Eu­rope et une médaille de bronze aux cham­pi­onnats du monde en attes­tent élo­quem­ment ! Mais bien avant qu’elle n’an­nonce, à l’is­sue des Jeux Olympiques de Séoul en 1988, son retrait de la com­péti­tion, elle réfléchis­sait déjà à une recon­ver­sion artistique.

« En général, quand on dis­ait ‘spec­ta­cle aqua­tique’, les gens pen­saient ‘Muriel Her­mine’ et j’é­tais sou­vent sol­lic­itée par des mairies, des clubs ou des entre­pris­es. A 20 ans, j’ai mon­té ma société et j’ai répon­du à la demande, avec mes copines de l’équipe de France. Je fai­sais tout, les musiques, les choré­gra­phies, je cou­sais même le mail­lot des filles ! ». Mais le show de ses rêves est évidem­ment beau­coup plus ambitieux. C’est ain­si que Sirella qu’elle pro­duit, met en scène et inter­prète, prend peu à peu forme.

Une sirène chez Mickey
En 1997, en vis­i­tant le Cirque d’Hiv­er, Muriel apprend l’ex­is­tence d’une piscine qui avait som­bré dans l’ou­bli depuis les années 50. Elle cher­chait un thème pour son nou­veau spec­ta­cle, le voilà tout trou­vé : Crescend’O mar­quera la ren­con­tre des univers du cirque et de l’eau. Le suc­cès est tel que le show est repris un an plus tard et, par­mi les spec­ta­teurs, le P.D‑g de Dis­ney­land Paris pro­pose à Muriel de venir pos­er sa tente sur le site de son cen­tre de diver­tisse­ments, à Dis­ney Village.

« Ici, nous ne sommes déjà plus en France mais pas encore tout à fait aux Etats-Unis où je rêve d’aller un jour présen­ter ce spec­ta­cle ». La clien­tèle du parc à thèmes l’a-t-elle con­duit à mod­i­fi­er Crescend’O ? Oui et non. « Je n’ai pas voulu touch­er à l’i­den­tité très européenne du spec­ta­cle, cette émo­tion qu’il véhicule et dont les gross­es machines améri­caines, hyper rôdées, man­quent par­fois ». Un petit sup­plé­ment d’âme en quelque sorte même si la tech­nique ici aus­si est gérée à l’améri­caine. « En revanche, j’ai tenu compte du fait que le pub­lic n’é­tait pas seule­ment français mais inter­na­tion­al. J’ai apporté beau­coup plus d’hu­mour, j’ai changé les cos­tumes et la lumière et nous avons renou­velé une grande par­tie de la troupe. Les gens qui vien­nent ici ont l’habi­tude de voy­ager et donc de com­par­er : mon ambi­tion est de faire de Crescend’O un des dix plus beaux spec­ta­cles du monde. L’avenir dira si j’ai réus­si ».

En tout cas, elle ne lais­sera rien au hasard pour y par­venir. Déjà, aux numéros tra­di­tion­nels où cha­cun gère sa pro­pre per­for­mance, Muriel Her­mine a préféré un feu d’ar­ti­fice visuel qui demande à ses artistes une poly­va­lence unique dans le méti­er… et une for­ma­tion d’en­fer assurée par la pro­duc­tion. « Nous audi­tion­nons les artistes en regar­dant le numéro qu’ils ont pré­paré mais en nous deman­dant ce qu’ils peu­vent nous offrir d’autre, con­firme-t-elle. S’ils sont ouverts à autre chose, tout est pos­si­ble ». Ain­si, une nageuse peut appren­dre la trapèze ou la choré­gra­phie équestre. Ces tal­ents mul­ti­ples per­me­t­tent en out­re aux artistes de se rem­plac­er les uns les autres en cas d’absence.

En par­lant d’ab­sence, on ne peut s’empêcher d’évo­quer celle de Muriel qui se con­tente désor­mais d’as­sis­ter au spec­ta­cle depuis les couliss­es. « C’est un change­ment dont j’avais envie depuis longtemps. Il fal­lait que je choi­sisse entre la mise en scène et l’in­ter­pré­ta­tion car je ne pou­vais plus tout faire. Main­tenant, je suis vrai­ment passée de l’autre côté. Et puis, cela me laisse plus de temps pour réfléchir aux autres choses que j’aimerais faire à présent ». Pour autant, que Dacha Vol­naya, la « pri­ma aqua­bal­le­ri­na » (« une jeune fille extra­or­di­naire et qui a un tal­ent fab­uleux ») se blesse et « je reprendrai le rôle… avec grand plaisir », avoue-t-elle en riant.

Der­rière nous, les pré­parat­ifs du spec­ta­cle vont bon train : Crescend’O est une énorme machine qui néces­site 30 tech­ni­ciens pour 29 artistes en scène. La piscine, unique au monde et d’une capac­ité de 600 000 litres d’eau, est en fait con­sti­tuée de deux pistes cir­cu­laires sur caille­bo­tis qui mon­tent et descen­dent à volon­té. Il suf­fit de 30 sec­on­des pour pass­er de la sur­face sèche où vien­nent patin­er deux « pin­gouins » à un bassin d’une pro­fondeur de 4 mètres ! Des accès sous-marins per­me­t­tent alors aux artistes par­tis en apnée d’ap­pa­raître et de dis­paraître comme par magie… Et comme dans les bons tours de magie, nous n’en saurons pas beau­coup plus. « Ce serait dom­mage de bris­er le rêve », assure Muriel.

Main­tenant qu’elle a réus­si à mêler le cirque et l’eau avec maes­tria, à quoi pense-t-elle ? Un retour à d’autres sources d’in­spi­ra­tion : « Il fau­dra faire au moins aus­si bien que Crescend’O. Et si pos­si­ble, plus grand et plus fort. Je réfléchis à quelque chose ayant trait à l’Asie ou à Ver­sailles »… Quel que soit le sujet de son prochain spec­ta­cle, on peut pari­er que les rêves de Muriel Her­mine sont, comme ceux du philosophe, écrits sur l’eau.