Timing impeccable
Le décor, très ingénieux, est bâti sur une tournette. En pivotant, ce procédé permet de découvrir soit la loge de Miss, la scène du Casino, les coulisses ou même une rue de Paris. Pas de perte de temps, Jérôme Savary a le sens du rythme: avant même que le décor change une nouvelle scène débute. Il faut, bien entendu, recommencer plusieurs fois pour que comédiens et techniciens trouvent leurs marques.
Ce qui frappe d’emblée dans cette répétition, c’est bien de voir naître une véritable comédie musicale. En effet, Jean-Marc Thibault, Ginette Garcin, Nina Savary et Liliane possèdent tous le sens du timing indispensable pour ce genre de production. Gérard Daguerre, comme il l’a fait pour Irma la douce, a prévu des phrases musicales inspirées des chansons de Mistinguett ou spécialement composées pour l’occasion, qui viennent renforcer certaines situations. Ses arrangements, très swing, conviennent parfaitement à la nature de leurs interprètes. Tout comme le créateur des costumes, Michel Dussarrat, Gérard Daguerre sait insuffler un nouveau son à des oeuvres anciennes sans les dénaturer, avec un profond respect.
Dans les coulisses, les nombreux costumes de la Miss sont sagement pendus sur le portant. Michel Dussarrat explique combien la robe et la tiare du dernier tableau ont demandé un minutieux travail: « toutes ces aigrettes sont cousues une par une. Cette tiare est le fruit du travail de quatre artisans ». Les couleurs choisies, la forme des vêtements pour tous les comédiens, prouvent le grand talent de cet artiste multidisciplinaire !
Jérôme Savary avec l’aide de Laurence Bruley, a conçu les décors : « cela me permet d’avoir une idée précise de ma mise en scène. En réfléchissant à ce décor, je pense déjà à ce qui va s’y passer, où tel comédien entrera, comment je finirai telle scène ». Son inspiration, il avoue l’avoir puisée du côté du cinéma : « avec cette tournette, je peux traiter presque deux scène à la fois. Par exemple ce qui se passe sur la scène du Casino et dans les coulisses. » Très attentifs, les acteurs se concentrent sur les directions du metteur en scène qui, parfois, parle à de nombreuses personnes simultanément ! Liliane insiste pour que des chaises soient rajoutées devant la fosse d’orchestre « sinon je ne peux pas sentir la salle, et j’ai besoin du contact avec le public ». Jérôme acquiesce : vite installées ce complément intervient autant en faveur du décor que du public !
Ginette Garcin et Jean-Marc Thibault et une débutante nommée… Savary
Ginette Garcin, divine dans le personnage d’Ernestine, l’habilleuse-confidente de Miss, monte sur le plateau, claquettes aux pieds. « Il faudrait arranger le sol : ça glisse trop ». Elle épate tout le monde avec un numéro de claquettes très au point; décidément cette femme sait tout faire. Avec une aisance remarquable, tranquillement, presque sans y penser, elle passe du chant à la comédie. A coup sûr les spectateurs vont la redécouvrir. De plus, elle parvient à ne pas rendre caricatural un personnage décrit comme très porté sur la bouteille.
Changement d’atmosphère avec Lily, interprétée par Nina Savary qui rêve un jour de remplacer Mistinguett. Ce personnage teinte l’oeuvre d’un mordant à la All About Eve. Avec son beau visage et sa superbe voix, la jeune actrice interprète à merveille plusieurs chansons comme « Pars », dans laquelle elle met toute son âme.
Dans la séquence de séduction entre Jacques Marchand, un acteur de cinéma qui doit épouser la Miss, et la star, Antonin Maurel se prend pour Fred Astaire. Il improvise des pas acrobatiques en sautant sur une chaise, voilà qui plaît à Jérôme Savary… Les musiciens sont plus inquiets lorsque Antonin tente un numéro avec une canne qui finit parfois dans la fosse. Après avoir répété dans d’autres locaux toutes les chorégraphies, Jean Moussy, qui a déjà travaillé avec le metteur en scène pour Cabaret, rectifie les pas des girls et des boys en fonction du décor. Habitué du cabaret, créer une chorégraphie inspirée de la revue ne lui pose aucun problème.
Même si les coups de gueule sont fréquents, Savary est comme un père pour sa troupe « les enfants, s’il vous plaît, on se remet en place pour le tableau final et, tiens Volterra, viens donc chanter un petit refrain sur l’avant-scène de façon à donner à Liliane le temps de se changer ». Volterra, c’est Jean-Marc Thibault. Il vient juste de répéter sa chanson avec l’orchestre et se montre un peu timide. Quelques essais plus tard, le comédien est dans le ton et la sauce prend. Lorsqu’une scène devient fluide, quand tout est bien réglé, le sourire qui illumine son visage est une vraie récompense pour les artistes. Il garde malgré tout toujours un sourcil interrogateur, prêt à remettre en cause un détail pour atteindre ce qu’il considère comme « juste ».
23h10, toute la troupe reste très concentrée pour répéter à nouveau le final. « C’est vrai » retentit, Liliane descend l’escalier plus glamour que jamais. Un pont musical est aménagé pour permettre à Lily et Jacques Marchand d’échanger quelques répliques, le calage du texte avec la machinerie pose des soucis vite résolus grâce au professionnalisme de chacun. Enfin, Miss triomphe sous les applaudissements d’un public pour l’heure imaginaire, portée par deux boys. Liliane et Miss sont de nouveau prêtes à conquérir Paname.